AUTEUR – Jean-Pierre Raffin

Jean Pierre Raffin nous fait profiter d’un travail de synthèse qu’il a effectué en 2004 pour présenter l’émergence en France d’un mouvement écolo-sceptique, à travers quelques ouvrages récents…

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Obtenant 10,59 % des voix aux élections européennes de 1989 (plus que D.Cohn-Bendit en 1999) les Verts conduits par Antoine Waechter venaient troubler le jeu de ping-pong convenu entre « la Droite » et « la Gauche ».  Il était donc vital, pour la classe politique en place et le petit monde médiatico-intellectuel parisien (celui pour qui le boulevard périphérique intérieur marque la frontière des espaces fréquentables) de réduire à merci des trublions qui attiraient un électorat venu d’horizons divers. Qui plus est, ces trublions développaient des modes de pensée contraires à la pensée unique et comble de l’horreur s’étaient dotés d’un responsable, obscur élu de la lointaine Alsace, n’ayant fréquenté ni les « Grandes » Ecoles, Sciences pô, l’ENA, ou les cabinets ministériels et encore moins les  coquetèles parisiens où l’on glose, fait et défait les réputations.

Tout serait bon pour que l’on puisse rapidement se retrouver entre soi dans un club où les jeux de rôles étaient bien répartis et la pauvreté des idées commune. A dire vrai, au sein même des Verts, certains qui ne voyaient dans ce mouvement qu’un wagon à raccrocher à la gauche pensaient de même. Ils s’inquiétaient d’une autonomie qui risquait de rendre difficultueux un partenariat ultérieur  avec le grand frère socialiste. Création de novo d’un mouvement concurrent, tentative d’ « écologisation » du PS ou du RPR (qui seront très transitoires), libelles, « enquêtes », publications de livres hâtivement rédigés jaillirent alors comme rosés des prés après la pluie. Il s’agissait tout à la fois de freiner le développement des Verts et d’en récupérer certaines idées.

Quelques semaines après avoir vivement reproché publiquement (Que Choisir n° 258.-Février 1990) à A. Waechter de « vouloir constituer une force politique (…). Voilà la différence fondamentale. Lui veut constituer un parti et un parti va aux élections pour les gagner », alors qu’il déclare que l’«écologie » doit rester une force associative, Brice Lalonde fonde…Génération Ecologie. Ce « mouvement » ou « parti » ira, bien sûr,  à diverses élections… Il bénéficie alors d’une sollicitude marquée de l’Elysée (F. Mitterrand), de Matignon (M. Rocard) et du Parti socialiste qui missionne quelques-uns de ses parlementaires pour conforter, par leur adhésion, la structure naissante (Jean-Michel Belorgey, Marie-Noëlle Lienemann, Franck Serusclat). Jean-Louis Borloo, Christian Huglo, Corinne Lepage, Noël Mamère, Haroun Tazieff, etc. apportent leur concours à l’opération. Bernard Kouchner et René Dumont, sollicités, refusent..

Michel Barnier publie  Chacun pour tous : le défi écologique (Stock. Avril 1990) reprenant l’essentiel d’un rapport parlementaire qui lui a été confié en 1989. Il écrit, en conclusion :

« Si l’écologie est restée jusqu’ici l’affaire des écologistes, c’est parce que les autres s’en sont moqués. Il y a dans cette  indifférence un vrai risque car les écologistes ne sont ni naïfs ni incompétents. Ils ont aussi une passion qui peut devenir passéiste. Ils ont une obsession qui peut être réactionnaire. Ils ont une exigence qui peut empêcher le mouvement. Qu’on prenne garde à ne pas les laisser seuls. On aurait tort, aussi, de ne pas les écouter. » (pp. 265-266)

Peu après, Laurent Fabius, président de l’Assemblée nationale, fait adopter (15 juillet 1990) un ajout au règlement intérieur de l’Assemblée aux termes duquel

« les rapports faits sur un projet ou une proposition de loi susceptible d’avoir un impact sur la nature comportent en annexe un bilan écologique, constitué d’éléments d’information quant aux incidences de la législation proposée, notamment sur l’environnement, les ressources naturelles et les consommations d’énergie »

(Plus « écolo » que le PS  tu meures…). Cela restera un aimable discours.

Claude Allègre (Economiser la planète, Fayard, septembre 1990) tient, alors, ces propos:

« Il faut noter que la position française (à propos de l’indifférence accrue des responsables aux questions touchant l’environnement) est représentative de ce qu’est alors l’attitude dans les autres pays : le productivisme l’emporte, on ne pense qu’à sauver l’économie mondiale, on s’occupera du reste après »(p.23). » (…)« Les dangers qui menacent la planète ne font que s’accentuer » (p.26) (…) « Les écologistes ont raison de se mobiliser contre ces méthodes (stockage des déchets nucléaires dans le sous-sol, dans les formations géologiques solides et aménagées) de stockage. Géologiquement parlant, le sous-sol est le plus mauvais endroit pour stocker des déchets à long terme »(…) « Il faut laisser les déchets à la surface dans un endroit sec »(…)« A la surface,, il est toujours possible de surveiller voire d’intervenir. En profondeur, c’est pratiquement impossible »(pp. 328-329 ). « Parlerait-on d’écologie si des mouvements se réclamant de cette inspiration n’avaient fait une entrée spectaculaire dans le champ clos des compétitions électorales ? » (…) « Il faut se rendre à l’évidence : à eux seuls, les scientifiques auraient sans doute mis beaucoup de temps à obtenir de tels résultats (meilleure sécurité des centrales nucléaires, adoption de l’essence sans plomb, débat sur la couche d’ozone et l’effet de serre, etc.), à supposer qu’ils y soient jamais parvenus. » (p.362).

On s’amusera en comparant avec les propos actuels du même Claude Allègre notamment ceux de  son  article « L’intégrisme écologique » ( L’Express, 27/02/2003) . Il s’insurge contre le fait que le comité de la recherche danois ait demandé à un comité chargé d’étudier la malhonnêteté  scientifique d’examiner  le livre de Björn Lomborg (The skeptical environnementalist. 2001). Au grand dam de M. Allègre, ce comité a conclu que cet ouvrage frôlait la malhonneteté, ce que  d’ailleurs, d’autres scientifiques avaient déjà fait remarquer. M. Allègre dénonce une chasse aux sorcières plutôt que d’examiner les faits  et il s’en prend …aux « écologistes ».

Comme l’écrivait le journaliste Michel Feltin (La Croix, 28/04/1990) :

« On peut toutefois s’interroger sur l’engouement subit pour l’environnement  affiché par l’ensemble de la classe politique depuis les récents succès électoraux des Verts. On ne peut nier qu’il est aujourd’hui de bon ton, voire indispensable de porter en  bandoulière  ses convictions écologiques. »

Et puis sont publiés, notamment :

Gérard Bramoulé (La peste verte. Editions Les Belles lettres. 1991) / Christopher Nick (Les écolos fachos. Actuel. Octobre 1991) /Luc Ferry (Le nouvel ordre écologique. Grasset .1992) / Bernard Thomas (Lettre ouverte aux écolos qui nous pompent l’air. Albin Michel . 1992) / Marianne Bernard (Génération démagogie. Editions S.E. Bihet. 1992)

On peut également citer l’appel dit  d’Heidelberg, lancé en juin 1992 avant le sommet de la Terre de Rio de Janeiro. Rédigé lors d’une réunion sur les nuisances industrielles organisée en Allemagne et soutenu par des milieux industriels inquiets de projets de normes environnementales plus strictes, cet appel  se voulait  une réaction de scientifiques face  « à l’émergence d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès scientifique et industriel ».  Signé, en France, quasi exclusivement par des scientifiques pratiquant des sciences dites « dures » (biologie moléculaire, chimie, mathématiques, physique, etc) l’appel, très scientiste fin XIX°, suggérait qu’il convenait de laisser aux seuls savants (hommes de Progrès, il va de soi) de dire en quelque sorte «le Bien» face à ces empêcheurs de tourner en rond qu’étaient  les «écolos». Les signataires proclamaient adhérer totalement « aux objectifs d’une écologie scientifique axée sur la prise en compte, le contrôle et la préservation des ressources naturelles » et ce sur « des critères scientifiques et non sur des préjugés irrationnels » . On peut cependant constater que pour ce qui concerne  la France, la grande majorité des signataires avaient,  jusque là, fait preuve d’un désintérêt profond pour l’écologie scientifique, discipline en voie d’extinction comme le faisait remarquer le rapport di Castri (1984).

A la lecture de ces ouvrages, l’on constate, en général, (comme pour des publications plus récentes) :

  • Un confusionnisme atterrant entre écologie, écologisme, protection de la nature et de l’environnement, protection des sites et paysages, écologue, écologiste, agriculteur biologiste, Vert, ami des animaux, etc. à moins qu’il ne s’agisse d’amalgames soigneusement élaborés. Lorsque tel ou tel auteur fustige les « écolos » l ’on n’arrive pas à savoir quelle est la cible désignée au lecteur. Il faut bien dire que ce confusionnisme est parfois entretenu par d’éminents scientifiques dont on aurait pu cependant  attendre un peu plus de précision dans les concepts (cf. par exemple la phrase « L’écologie, c’est un peu comme les retraites : tout le monde est pour, mais qui va payer ? » du prix Nobel, Pierre-Gilles de Gennes, lors de l’Heure de vérité sur France 2  du 27 décembre 1992)
  • Une certaine détestation des idées de sauvegarde de la diversité du vivant, de prise en compte de générations futures et de solidarité actuelle avec les pays dont nos sociétés occidentales exploitent les ressources et qui ne souhaitent pas forcément adopter nos modes de développement. Mais, « mondialisation », libéralisme et commerce obligent, c’est à eux de se plier à nos façons de faire.
  • Une croyance mystique dans les bienfaits automatiques du «Progrès». Toute réserve est considérée quasiment comme blasphématoire.

Le soufflé médiatique retombera après avoir nourri de futiles débats parisiano-parisiens. Tout au plus peut-on noter un combattant d’arrière-garde : Bernard Oudin (Pour en finir avec les écolos. Gallimard, 1996). Même si la situation politique a quelque peu changé – les Verts sont maintenant parfaitement capables de s’autodétruire sans concours extérieur – on constate aujourd’hui un phénomène similaire rythmé par quelques écrits comme ceux de :

Guy Sorman (L’écologie est-elle de gauche ? Le Figaro. 11-05-2001, Le progrès et ses ennemis. Fayard. Août 2001) / Jean-Jacques Brochier (Danger ! Secte verte. Editions La Différence. Février 2002) / Jean-Paul Croizé (Ecologistes, petites esbroufes et gros mensonges, le Grand-Guignol des peurs vertes. Editions Carnot. Mai 2002) /  Pierre Kohler (L’imposture verte. Albin Michel. Juillet 2002).

Il s’agit de démolir des idées diffusées par les « écolos » qui, abomination des abominations, sembleraient avoir récemment contaminé le président de la République lui-même. Ces écrits ont un point commun, celui de s’abriter souvent derrière une approche prétendument scientifique « objective » qui n’empêche pas leurs auteurs d’ époustouflantes affirmations dont  seront relevées quelques unes :

G. SORMAN :

«On prétend aussi que cette biodiversité est particulièrement menacée par le développement économique dans les forêts tropicales et qu’il conviendrait de les transformer en zones naturelles. Faux ! Car la diversité est tout aussi grande dans les zones tempérées comme la France »
(Le Figaro, 11-05-2001).

Cette affirmation montre que M. Sorman n’a jamais lu le moindre ouvrage de biogéographie ou d’écologie et que le constat de l’inégale répartition de la diversité biologique lui est inconnu. Il ne doit pas lire, non plus, les articles publiés sur la question de la diversité biologique dans  le journal quotidien où il écrit  assez souvent, articles qui infirment ses propos. Mais il est vrai que M. Sorman se dit essayiste et qu’un essayiste peut écrire n’importe quoi… A propos des différentes formes d’agriculture

« N’existe-t-il pas des alternatives aux OGM ? Celles qui paraissent évidentes ne sont pas viables » (p. 27).

L’auteur présente ensuite ce qui pourrait être entrepris avec une tendance lourde à minorer les aspects positifs et majorer les aspects négatifs. L’un des sommets semble atteint dans cette démonstration du manque de pertinence de l’agriculture biologique (pp. 28-29) où M. Sorman réfute l’argument de l’équivalence des prix entre production «non-bio » et production « bio » en Autriche avancée, dit-il,« par les détracteurs des OGM » au motif que la production « bio » reçoit des subventions publiques  (curieusement l’auteur qui se pique par ailleurs de visions économiques semble ignorer que les productions « non-bio », bénéficient d’infiniment plus d’aides publiques…). Enfin, argument massue, le choix de soutenir  une agriculture différente « serait envisageable avec sérénité si, par ailleurs, les produits dits biologiques n’étaient pas dangereux »(…) « Les pesticides dits chimiques, autorisés et d’usage, n’ont aucune incidence sur la santé »(p.29). Il faut faire son deuil de la « tradition des terroirs, de spécialisation des cultures » et accepter les OGM  (p.33) tout en  précisant que « la vocation de l’Europe serait évidemment de renouer avec la tradition des terroirs spécialisés que la politique agricole commune a détruits par ses subventions à la production de masse »( p. 53). Il est étonnant de constater que l’auteur reprend à son compte les interrogations de ceux qui n’ont pas une foi absolue dans la pertinence de l’utilisation généralisée de plantes génétiquement modifiées :

« Dans cette course à la productivité et vers une culture de type industriel, les Chinois respecteront-ils le principe de précaution, seront-ils asses vigilants ? Ne risque-t-on pas de voir apparaître ici, plus vite qu’ailleurs, des phénomènes de résistance qui ramèneraient les cultivateurs de coton  à une situation pire que la précédente, s’ils se trouvaient confrontés à des insectes immunisés à la fois contre les insecticides et les OGM ? (p.99) (…) « Imaginons qu’en Chine se développe un marché sauvage, non capitaliste et tout-OGM » (…) « On ne peut exclure que la résistance aux OGM grandisse alors rapidement et qu’elle puisse difficilement être cantonnée à la Chine, puisque tout circule à toute allure dans notre  monde, en particulier  les insectes »(p.100).

Le péril jaune et la fourmilière chinoise sont de retour !  Le monde occidental et son capitalisme policé heureusement ne tomberont pas dans de tels errements mais est-il bien sage, comme le laisse entendre l’auteur, de laisser aux mains de bureaucrates qui pratiquent la langue de bois des technologies avancées lourdes de conséquences pour l’avenir. A quand des commandos de bovétistes parachutés clandestinements dans la province du Hébei ou ailleurs ?

D’une manière générale et même s’il cite Diderot en introduction « L’incrédulité est le premier pas vers la philosophie », M. Sorman dans les différents chapitres de son livre s’inscrit dans une approche scientiste où l’incrédulité ne concerne, en fait, que ceux ne pensant pas comme lui, qu’ils apportent ou non des arguments scientifiques au débat. Tout ce qui est techniquement possible doit être entrepris y compris dans le domaine des biotechnologies (par exemple clonage quelle qu’en soit la finalité).  Ceux qui n’adhèrent pas aux idées de M. Sorman ne sont que des millénaristes adeptes  de « l’antiscience »…

 

J-J. BROCHIER

« L’éthologie est une science, l’écologie une morale » (p.11).

Ainsi commence le libelle du directeur du Magazine littéraire qui a manifestement arrêté sa bibliographie à Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire (1858). Haeckel (1866-1868-1870) est inconnu de notre auteur tout comme d’ailleurs des écologues francophones comme Acot, Aguesse, Barbault, Dajoz, Deléage, Di Castri, Duvigneaud, Dreux, Lefeuvre, Ramade, etc. Le ton est donné. M. Brochier va pérorer sur un sujet pour lequel il n’a même pas eu l’honnêteté intellectuelle de s’informer

 « Une forêt dont on ne coupe pas régulièrement les arbres à un certain âge est une forêt qui tombe malade, et meurt »(p.28).

Voilà un poncif abondamment diffusé par l’Office national des Forêts qui ne résiste cependant pas à un minimum d’esprit d’analyse. Comment diable les forêts boréales, tempérées et tropicales ont-elles bien pu croître depuis des centaines de milliers d’années avant même que n’existassent les Eaux & Forêts puis l’Office national des Forêts, mystère, mystère ?

Le père des lois de l’hérédité, « Mendel était juif »(p.70)… Cette précision a dû faire se retourner dans sa tombe, le très catholique Johann (en religion Gregor) Mendel, natif d’origine rurale de Moravie (1822), élu en 1868  supérieur du couvent Saint-Thomas des Augustins  de Brno  où il décéda en 1884. etc.

J-P. CROIZE

Ce« spécialiste » de l’environnement donne dans un genre voisin. Se préoccupant peu des faits il se  contente d’affirmations étonnantes.

On peut ainsi lire que la réduction de la pollution par le souffre (sic) dans la capitale a provoqué un retour « en masse » des lichens « sur les branches des arbres de la capitale » (l’auteur a manifestement ses yeux dans la poche car les lichens installés sur les arbres sont plutôt rares en plaine qu’il y ait ou non pollution…) et « les faucons crécerellettes » (espèce dont il n’existe plus en France qu’une population relictuelle en Crau  et  alentour estimée à 20-30 couples…) s’y « voient de plus en plus souvent. »(p.36) !

Aux dires de M. Croizé, (p.64) après l’accident de Tchernobyl, les « écolos » ont tenté de faire croire que le gouvernement de l’époque avait caché à l’opinion publique le passage du nuage et les retombées radioactives consécutives. C’était de la malveillance desdits « écolos ». Et pourtant un communiqué du ministère de l’agriculture (dont le titulaire, François Guillaume, n’était pas un abominable « écolo », c’est le moins que l’on puisse dire) de mai 1986 n’annonçait-il pas :

« Le territoire français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné par les retombées de radionucléides consécutives à l’accident de la centrale de Tchernobyl » ?

M. Barnier, autre détestable « écolo » analysant  ce qui s’était passé  dans l’Est de la France, n’écrivait-il pas en 1990 :

« L’Alsace, aux premières loges, a été confrontée : au discours, rassurant et minimaliste des autorités françaises, après un silence  embarrassé  de quelques jours… » ?

Le changement climatique est un fromage pour les experts. Ainsi

« les écologistes et autres protecteurs de la nature ont eux aussi leurs petites hypocrisies, notamment lorsqu’il s’agit de voyager aux frais des contribuables ».(p.104).

S’il y a discussion sur le changement climatique, c’est pour permettre aux écologistes, protecteurs de la nature  et « milliers de plus ou moins hauts fonctionnaires à travers le monde » de se déplacer en un perpétuel mouvement brownien.  Les émissions de gaz à effet de serre  ne sont que roupie de sansonnet à coté de ce facteur voyagiste pour tenter d’expliquer les soubresauts climatiques. C.Q.F.D…

Le chapitre consacré aux OGM  (pp. 125-140) est un morceau d’anthologie. L’on y apprend que le colza doté du gène dit « Terminator » par la firme Monsanto (car les semences où a été introduit ce gène donnent des plants dont les graines ne peuvent germer, ce qui empêche l’agriculteur d’en garder une partie pour ressemer l’années suivante et l’oblige a en acheter de nouvelles) « a été  mis au point pour empêcher la propagation incontrolée de plantes mutantes »… C’est donc par philanthropie pure et pour protéger l’environnement que Monsanto proposait Terminator dont le projet de commercialisation sera abandonné en 1999.

M. Croizé s’enthousiasme au projet japonais d’introduction d’un gène d’épinard dans des porcs pour que ceux-ci aient une chair moins grasse qui puisse être abondamment consommée sans risque de production de cholestérol. De même rêve-t-il du moment où l’on pourra introduire dans l’organisme de nos compagnes un gène du carotène leur permettant de bronzer plus facilement, d’avoir jusqu’à un âge avancé un joli teint de pêche sans risquer de mélanome de la peau par suite d’expositions prolongées au soleil. D’une certaine manière ces propos rappellent ceux avancés il y a une trentaine d’année par les augures qui annonçaient la fabrication de beefsteaks à partir  de pétrole pour remplacer un élevage bovin jugé désuet…

Sur la question générale des OGM et sans discuter du bien ou mal fondé des arguments des uns et des autres, M. Croizé  se laisse aller :

« Refuser les OGM, c’est tenter de casser un marché largement dominé, depuis sa naissance voici maintenant plus d’une dizaine d’années, par les Américains » (…) «  Comment croire qu’une poignée d’intellectuels associés à des paysans révoltés parviendra à aller contre une telle réalité économique, même en abusant l’opinion publique pour obtenir son soutien passif ? » (p. 127).

Ce qui, en d’autres termes, veut tout simplement dire que ce sont les « lois » du marché qui doivent prévaloir… Et si de gros intérêts financiers poussent à certaines thérapies dont l’utilité est  fortement contestée (cf. D. Sicard, La médecine sans les corps.  Plon 2002) voire peut-être demain au clonage humain et  bien le bon peuple consommateur doit s’incliner…Business is first !

Brice Lalonde est un « scientifique (affirmation qui a dû certainement beaucoup amuser l’ancien littéraire de la Sorbonne ) doublé d’un humanisteMême s’il est un ancien de Greenpeace et même si certaines de ses idées, notamment contre le plutonium, suscitent la méfiance » (p.141)…

Dans le chapitre consacré à la chasse (pp. 146-154) l’on apprend avec surprise que sans la très grande majorité des chasseurs que « compte notre pays, sa nature serait privée de gardiens précieux » (p.147). Ce fut peut–être vrai au début du XXe siècle. Mais M. Croizé feint d’ignorer qu’actuellement les chasseurs s’intéressent quasi exclusivement à quelques vertébrés à sang chaud (oiseaux et mammifères) ne constituant qu’une infime partie de la faune sauvage en particulier et de la « nature » en général. Lorsqu’il s’est agi, en 1997, de changer le nom de l’Office national de la chasse (ONC) en Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), les responsables cynégétiques ont fait savoir qu’il était hors de question que la composition du Conseil d’administration de cet organisme reflète la réalité de la faune sauvage en France. L’ONCFS devait se consacrer essentiellement au gibier et son conseil devait être constitué de seuls chasseurs. La situation n’a pas beaucoup changé. L’Observatoire national de la Faune sauvage et de ses habitats (ONFSH) lancé en 2002 par Mme Bachelot-Narquin, ministre de l’écologie et du développement durable s’inscrit dans la même logique. Le décret l’instituant (17 juillet 2002) place cet observatoire auprès du ministre chargé de la chasse ( y compris aux papillons et à la baleine ?) et non pas auprès du ministre chargé de la protection de la nature et de l’environnement, de l’écologie et du développement durable, etc. L’arrêté en fixant la composition et le fonctionnement (7 février 2003) démontre la vocation cynégétique exclusive. Le champ d’action de l’observatoire est , en effet, limité aux seuls oiseaux et mammifères (en contradiction avec le décret constitutif) et il est manifeste (articles 2, 3, et 4) qu’il ne s’intéressera qu’aux questions … de définition des périodes, modalités de prélèvements et chasse. Les termes de « faune sauvage » et « habitats » ne sont donc que des masques. Il est très étonnant que cette nouvelle institution soit due à une ministre de l’écologie et du développement durable, dénomination impliquant par définition une approche globale de la gestion de la faune et de ses habitats et non pas une vision partielle et partiale.

Par ailleurs, le slogan « la chasse, c’est naturel » souvent utilisé par les organisations cynégétiques prête au sourire lorsque l’on sait que la plus grande partie du petit gibier ( notamment canard colvert, faisans, perdrix, etc.) est issue d’élevages ! Pour ce qui concerne le maintien de la qualité des milieux, les chasseurs ont été et sont au premier rang des opposants aux mesures de protection et/ou de gestion ( parcs nationaux, réserves naturelles, propositions de sites Natura 2000, etc.). Le signataire de ces lignes, peut attester qu’il n’a pas reçu une seule protestation ou demande d’intervention du monde de la chasse relative à l’altération ou la destruction de milieux, lors de son mandat au parlement européen (1989-1994)  tout comme  lors du temps passé au cabinet de la ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement (1997-1999). Par contre les sollicitations provenant d’associations de protection de la nature et de l’environnement étaient quasi journalières.  Les chasseurs pourraient, devraient être effectivement  de précieux alliés, mais…

L’auteur manifeste une ignorance étonnante de l’Agriculture biologique (pp.155-162) présentée comme sans soins apportés aux cultures et sans cahier des charges.  On lui devrait la production de « légumes moins sympathiques que (…) les appétissants légumes qu’il suffit de regarder une seconde, sains et brillants à l’étal du marché pour mourir d’envie de la potée qui mijotera toute la journée en parfumant la cuisine ». (Je ne sais si M. Croizé a une compagne, un compagnon ou fait lui-même la cuisine mais j’aimerais savoir combien il connaît aujourd’hui de personnes ayant la possibilité de faire mijoter une potée toute une journée !). Les premiers sont dûs à des « écolos » post soixante-huitards, les seconds à des « agriculteurs qui s’engagent à respecter scrupuleusement » des « protocoles » de production. Ils pratiquent une agriculture raisonnée « qui s’impose lentement » (…) «  à l’opposé même du « systémique » d’après-guerre » auquel les « écolos » tentent « de continuer à nous faire croire alors que celui-ci n’existe pratiquement plus ». Bigre, si l’agriculture raisonnée est encore peu répandue (p.160), l’agriculture systèmique maintenant quasi inexistante (p.160) et l’agriculture biologique marginale, quelle est  donc cette mystérieuse agriculture  occupant l’essentiel  de la SAU  (Surface Agricole Utile) en France ?  A quoi sont dus les « excès de produits phytosanitaires » évoqués, plus loin, (p.164) par l’auteur comme « la principale source de pollution des sols ». Bizarre, bizarre !

L’on apprend également que la limite de 50 mg de nitrates par litre « n’est que rarement dépassée au robinet, et que quand c’est le cas, cela ne se produit qu’en Bretagne »(p.167). M. Croizé n’a certainement jamais lu les travaux du CORPEN, les rapports Hénin (1980), Lefeuvre (1981, 2000), etc.  ou  les états de l’environnement de l’IFEN, voire certains articles publiés dans le quotidien dont il est le « spécialiste de l’environnement ».  Il ne s’est manifestement pas posé la question de savoir pourquoi certains captages d’eau potable de la région parisienne ont  dû être fermés…Par ailleurs, seul l’aspect sanitaire direct est évoqué. Les marées vertes, roses ou jaunes et leurs conséquences sur le fonctionnement de certains écosystèmes continentaux ou littoraux, sur des activités économiques comme le tourisme ou la conchyliculture, sont totalement ignorés de notre spécialiste des questions d’environnement…etc. Il n’a manifestement pas lu l’ouvrage de M. Barnier (1990) constatant, comme bien d’autres auteurs, le développement de la pollution de l’eau « par les nitrates, les pesticides, les métaux  lourds ».

M. Croizé, termine son ouvrage en affirmant « les écologistes, les véritables, ont un rôle à jouer dans la société : celui de garde-fou face aux excès auxquels certains seraient certainement tentés de se livrer s’ils savaient ne pas trouver de solides contradicteurs en face d’eux » (p.185). Mais comme l’auteur n’indique pas qui sont ces « véritables écologistes » le lecteur  ne peut que rester sur sa faim…

P. KOHLER

ancien chef des informations scientifiques d’une chaine radio-télévisée voit de la conspiration écologiste partout. Coiffé du heaume de la Science, abrité d’ un haubert de certitudes, armé d’une lance du Progrès vengeur et positiviste, notre auteur enfourche un quad pour aller guerroyer l’infidèle écolo. Curieusement sur près de 200 références utilisées, une trentaine seulement correspondent à des publications scientifiques. On trouve en revanche des noms cités mais sans références bibliographiques, des relations d’entretien, de messages électroniques, des informations de seconde main (articles de chers confrères souvent guère plus sérieux que les écrits de M. Kohler), des dépêches de l’AFP, etc.  On aurait pu cependant s’attendre à ce qu’un ex-chef des informations scientifiques procède avec un peu plus de rigueur.

Les « perles » abondent :

-Le Conservatoire du Littoral et des rivages lacustres, en achetant des terrains qui deviennent inaliénables (ce qui est la mission qui lui a été confiée en 1975 ) fait preuve  « d’une hostilité obsessionnelle à l’égard des propriétaires privés (ils sont nombreux à se plaindre), ce qui le conduit à sortir de sa mission. » (p.17)

-A propos de l’un des tracés de l’autoroute A 10 notre homme écrit « cette seconde option, refusée catégoriquement par les écologistes, ne traversait en fait qu’une zone sans aucun intérêt touristique » (p.28). Si l’on comprend bien les seules raisons valables pour demander  une modification de tracé seraient des raisons « touristiques »…Il convient de signaler que l’auteur semble ignorer qu’il faut, en cas de mise en place d’une infrastructure linéaire (autoroute, voie de chemin de fer, etc.), tenir compte de l’emprise de l’infrastructure elle-même mais également  des effets induits (par exemple remembrement  pouvant affecter  un  territoire infiniment plus étendu que l’espace dévolu à la seule infrastructure).

-Dans le contexte de propos relatifs à l’application de la directive « Habitats » (92-43-CEE) (p.31), M.Kohler rapporte que c’est à cause de la présence de lézards verts que les «écologistes» ont  empêché de vaillants vignerons alsaciens de recouvrir de terre les 11 hectares de landes sèches du Bollenberg. Or le lézard vert n’est pas inscrit à l’annexe II de cette directive impliquant la désignation de zones spéciales de conservation (réseau Natura 2000). Ce que ne dit pas l’auteur c’est qu‘une partie de ce territoire, loué depuis une trentaine d’année à l’association Alsace Nature pour son intérêt floristique et faunistique, avait été proposé comme site Natura 2000. Alsace Nature y avait préparé un projet pilote de plan de gestion. Peu soucieux de la sauvegarde de la diversité  biologique, en général, et de la directive « Habitats » en particulier,  le ministère de l’Agriculture et de la Pêche et le ministère de l’Economie et des Finances prenaient, en février 2001 un arrêté autorisant la plantation de vignes sur des parcelles retenues pour faire partie du site Natura 2000.  Le Conseil d’Etat saisi par Alsace Nature, a donné raison à cette association  en suspendant l’arrêté précité.

-Les « babouins (…) passent de branche en branche » dans la forêt guyanaise (p. 46). Pas de chance pour notre chef des informations scientifiques, ces singes ne se trouvent qu’en Afrique et en Arabie…

-Les « écologistes » n’ont pas protesté  avant la construction du barrage de Petit-Saut  sur le fleuve Sinnamary en Guyane (p.49). Et pourtant, dès 1986, associations de protection de la nature et scientifiques s’alarmaient au sein du CNPN (Conseil national de protection de la nature, instance créée en 1947) des effets de ce barrage sur la forêt et sur la qualité des eaux (pollution par le mercure liée à la mise en eau sans déboisement préalable).

-Phosphates et nitrates : les nouveaux parias.(pp. 272-288) M. Kohler débute ce chapitre par ces  mots :

« Ce qu’on en dit : Les phosphates sont nocifs pour l’environnement, en provoquant l’eutrophisation des lacs et des rivières. Une seule solution : les supprimer dans les lessives. Quant aux nitrates pollueurs de nappes phréatiques, ils inquiètent par leur présence dans l’eau du robinet.

Ce qu’il en est : Les lessives ne sont pas le principal pourvoyeur de phosphates, et l’environnement n’a rien gagné à leur suppression, cette affaire ayant eu pour véritable motif la domination du marché européen des poudres à laver. Les nitrates, pour leur part, ne sont pas dangereux pour la santé. C’est une mauvaise compréhension de leur action, dans les années d’après-guerre, qui a conduit à fixer une norme qui n’a plus aucune raison d’être, mais que personne ne souhaite supprimer… ».

L’on peut faire remarquer que le « ce qu’on en dit » correspond peut-être à une certaine vision de M.Kohler, mais certainement pas à ce que pensent et disent ceux qui se préoccupent des différentes pollutions des eaux continentales ou marines. Oui les phosphates sont indispensables à la vie des milieux aquatiques mais leur présence en excès (qu’ils proviennent des lessives, des fertilisants agricoles, de la décomposition de la matière organique ou d’autres sources) participe aux processus de dystrophisation.

Il en va de même des nitrates et l’on s’étonne que notre auteur soit d’une telle pudeur de violette sur la question  des marées vertes ou roses dont l’augmentation en nombre et en ampleur ne fait que croître depuis les années 1960.

Comme dans d’autres chapitres, d’ailleurs, M. Kohler  aborde le sujet qu’il traite par un  seul aspect et généralise ensuite ses conclusions à l’ensemble. Le cas des nitrates est significatif. Il est possible que la nocivité des nitrates ingérés ait été surestimée (l’auteur de ces lignes n’est pas compétent en la matière). Cela n’en exonère pas pour autant, l’impact négatif sur les milieux aquatiques ! Il est vrai qu’en matière de nitrates, l’on a pu lire et entendre des propos surprenants comme ceux de J & J-L. L’Hirondel , auteurs de « Les nitrates et l’homme : le mythe de leur toxicité » (Institut de l’Environnement, 1996). Aux pages 17 et 18 de leur livre, ces deux médecins considèrent que l’augmentation des apports azotés en agriculture a bénéficié aux forêts, à la flore et la faune, ce qui a conduit à la forte croissance du grand gibier !  L’adoption du plan de chasse pour ces grands herbivores qui est le principal facteur du développement de leurs effectifs n’est même pas évoqué. Quant à l’Institut de l’Environnement (qu’il ne faut pas confondre avec l’Institut français de l’environnement-IFEN, organisme public), c’est un institut privé financé notamment par des coopératives agricoles et éleveurs de porcs bretons dont l’essentiel de l’activité est  de minimiser l’impact de certaines pollutions (comme celles dûes aux entreprises agro-alimentaires).

-La crépidule est une « algue envahissante » (p. 295). Et non ! la crépidule n’est pas une algue mais un mollusque !

-La  sargasse  (une algue, cette fois-ci…) a disparu des côtes de Bretagne après avoir prospéré pendant des années (p. 296). Cette algue n’est manifestement pas au courant  de sa disparition. Elle est toujours présente notamment à Roscoff devant la station de biologie marine…

etc.

Le rapport de l’ ACADEMIE DES SCIENCES  (Les plantes génétiquement modifiées. RST n° 13 décembre 2002 ) rappelle d’une certaine manière les écrits de G. Sorman (cf. ante) . Après avoir affirmé que leur travail s’appuyait « sur des arguments scientifiques solides pour plaider largement en faveur de la transgénèse chez les plantes » (avant propos, p. XIII) les auteurs proposent « une introduction raisonnée et prudente, au cas par cas, des plantes transgéniques »(…)« de nature à contribuer au développement des pays du Sud », affirmant par ailleurs que « les plantes transgéniques constituent potentiellement un atout considérable pour l’agriculture, le monde industriel » (p. XXV) alors que dans le corps du texte, à propos de la tolérance à des prédateurs ou maladies, on peut lire « toute généralisation sur les risques (ou avantages) potentiels des OGM est impossible » (p.72)  et dans le point consacré aux biotechnologies et à la sécurité alimentaire dans les pays en développement , il est clairement précisé « Rappelons d’abord une évidence : la sous-alimentation et la malnutrition qui affectent aujourd’hui, d’après la FAO, quelques 800 millions de personnes dans le monde sont des conséquences d’une situation qui a bien d’autres causes que l’incapacité physique à produire, sur l’ensemble de notre planète, des quantités suffisantes de nourriture. De multiples facteurs sociaux, politiques et économiques sont à l’origine des problèmes du sous-développement dans lesquels les insuffisances techniques ne  jouent qu’un rôle second » (p.98).

Ce rapport stigmatise « une critique particulièrement profonde de la société de consommation et plus particulièrement de sa logique du profit immédiat »(p. LVII) et les chercheurs qui « ayant franchi la ligne qui sépare le travail purement scientifique (aussi objectif et apolitique que cela est possible) des opinions personnelles, sans doute légitimes mais au caractère partisan très marqué » (p.31). Le consommateur européen, actuellement réticent vis-à-vis des plantes transgéniques, « ne devra pas se désolidariser  de la chaîne de production et de distribution dans son ensemble, pour éviter de participer à l’affaiblissement d’une agriculture soumise à la concurrence américaine et bientôt des pays émergents comme ceux de l’Europe de l’Est. Notre indépendance alimentaire, en qualité comme en quantité, en dépend »(p. 66)…En d’autres termes, ceux qui émettent des réserves sur le développement des cultures de plantes génétiquement modifiés sont de mauvais  citoyens !

Sur la question de l’approche scientifique de la question des OGM, même si dans l’avant–propos (p.XIII) il est annoncé que « l’impact sur l’environnement est évoqué dans la plupart des chapitres », force est de constater que cette « évocation » est très fugace. Les auteurs du rapport ont une vision de la diversité biologique et du fonctionnement des écosystèmes très limitée  (vision  similaire à celle que décrit pour la médecine, D. Sicard. La médecine  sans le corps. Plon. 2002). Elle s’inscrit dans un esprit dogmatique qui se développe en biologie et que critique, à juste titre, G.N. Amzallag (La raison malmenée. Editions du CNRS. 2002). Cela n’est pas tellement étonnant lorsque l’on examine la composition  du groupe de travail  et du groupe de lecture critique de ce rapport. L’un et l’autre sont constitués pres qu’exclusivement de biologistes moléculaires, généticiens moléculaires, physiologistes cellulaires, etc. dont certains travaillent d’ailleurs pour des entreprises de biotechnologie. Il faut attendre les pages 147-153 (commentaire du Museum national d’Histoire naturelle) pour prendre conscience que des  études à long terme et  une expertise écologique sont nécessaires avant utilisation des OGM !

Il est amusant de constater que l’un des auteurs de ce rapport  n’hésite pas à écrire (p. 33) « On peut également considérer que désavouer objectivement et de manière récurrente les travaux sur les OGM de la Commission du génie biomoléculaire (pourtant majoritairement apolitique (sic) et ouverte à la société civile ( ?)) contribue à la perte de confiance en l’Etat ». En effet, la Commission du génie biomoléculaire (CGB) qui a théoriquement pour mission d’évaluer les risques de dissémination d’OGM « pour l’environnement » à une composition tout à fait similaire aux groupes qui ont rédigé et critiqué le rapport de l’Académie des sciences. Alors que l’on s’attendrait à y voir, puisqu’il est question « d’environnement », des systématiciens (botanistes, zoologues), des écologues, des épidémiologistes, des économistes, etc., ceux-ci font défaut  dans cette commission. Il est également  amusant de constater que  certains membres du groupe de travail et du groupe de lecture critique sont également membres de la CGB.

Aussi bien le statut de la CGB que la constitution du groupe de travail de l’Académie des sciences  conduisent à s’interroger sur  la composition d’ instances d’expertises  composées  de personnes juges et parties  au travers de leur implication dans des entreprises ou dans des programmes de recherches dont les financements dépendent  des opinions qu’ils défendent. C’est d’ailleurs ce qui amenait les quatre sages (MM. Babusiaux, président du Conseil national de l’alimentation; Le Déaux, président de l’Office parlementaire de l’évaluation des choix technologiques; Sicard , président du Comité consultatif national d’éthique et Testart , président de la Commission française du développement durable, rédacteurs du rapport «  A la suite du  débat sur les OGM et les  essais au champ », mars 2002)  à proposer que les membres de telles commissions d’expertise signent une déclaration d’indépendance et que le champ des disciplines scientifiques recouvert par les experts soit élargi.  Ils précisent :«Il est indispensable de mieux représenter la toxicologie, la biologie des populations, l’écologie, les disciplines relatives à la physiologie animale et végétale » (Eléments de recommandations. 4. 2. Améliorer le fonctionnement des instances d’expertise scientifique, pp.27-28). On notera qu’il n’est fait aucune allusion à ce document  dans le rapport de l’Académie  des sciences…

Comme les auteurs et signataires de l’appel d’Heidelberg les rédacteurs de ce rapport ont une vision de l’opinion publique et des médias très particulière. Les attentes des citoyens sont « conjoncturelles et irrationnelles » (p.32) et les médias animés par une logique commerciale sont très souvent « partiaux » en ne recueillant pas l’avis des industriels et des chercheurs partisans d’un juste milieu (p. 33). Leurs propos correspondent à l’état d’esprit que soulignait le rapport des sages précité, précisant que l’on ne saurait  se satisfaire d’une vision où il y aurait d’un côté « l’élite scientifique, technique, politique, économique, et de l’autre côté l’archaïsme des peurs et des corporations » .

L’importance accordée par ce rapport au « maintien de l’ordre public » dans le contexte des expérimentations en milieu ouvert (pp. XXXIV, LVI, 33-34, 36, 51,88,) est à sens unique. S’il est question de la destruction d’essais au champ de plantes transgéniques et de respect dû aux biens, il n’est pas fait allusion au respect  dû à ceux qui ne souhaitent pas de disséminations de transgènes dans leur cultures. Il apparaît (p.83) que ces derniers doivent se plier aux exigences des premiers en acceptant des « seuils raisonnables » de contamination  transgènique dans des récoltes théoriquement non OGM !

Bref après avoir lu ce document l’on ne sait plus très bien s’il s’appuie vraiment sur une analyse scientifique « apolitique » envisageant toutes les hypothèses et présentant ensuite diverses solutions laissant ensuite au « politique » le choix ou s’il s’agit  d’un argumentaire élaboré pour étayer une vision prédéterminée de la société et un plaidoyer  pro domo  d’une certaine approche  disciplinaire. Est-ce de la science ou de la croyance  (la bonne conscience affichée confine à la mauvaise foi) ? La question mérite d’être posée et elle rejoint celle formulée par J-C. Guillebaud (Vous avez dit laïcité ? La Vie, n° 2993, 9 janvier 2003) au sujet de l’enseignement de l’économie dans l’enseignement secondaire ou les grandes écoles. Il constatait une prévalence écrasante du néolibéralisme par rapport à d’autres théories économiques.

L’auteur de ces remarques ne s’est pas attaché aux aspects énergétiques, climatiques ou économiques des ouvrages cités, domaines pour lesquels il n’a pas de compétences. A vue de nez, il semble bien que les propos concernant ces aspects ne soient pas plus sérieux que le reste.

Conclusions ?

Björn Lomborg n’avait pas tort d’intituler son livre « l’environnementaliste sceptique », en introduisant le doute comme d’autres auteurs ci-dessus cités, y compris par un argumentaire douteux. Il s’inscrit dans une ligne de pensée que l’on pourrait appeler « révisionniste » aux termes de laquelle les différentes questions « environnementales » n’ont finalement pas tellement d’importance.  Le bon peuple d’en haut ou d’en bas constatant que des gens réputés sérieux (quelqu’un qui écrit régulièrement dans un quotidien ou qui cause dans le  poste ne peut-être que « sérieux ») ne sont pas d’accord ne pourra que se dire pourquoi s’en faire et imaginer de changer tant soit peu son de mode de vie. Avec de la débrouillardise, nos enfants et petits-enfants s’en sortiront  bien. Comme le déclarait en juin 2001 le président de la Commission des toxiques en agriculture :

«  Je suis complètement interloqué quand on me dit : il faut faire attention aux générations futures. Mais les générations futures, excusez-moi du terme, elles se démerderont comme tout le monde ».

En 1975, un non moins éminent agronome français déclarait

« il ne s’agit pas de perdre du temps à des problèmes mineurs tels que ceux de la pollution, de l’environnement. Il s’agit de maîtriser la faim dans le monde ».

Il était très perspicace car nous avons, aujourd’hui tout à la fois des problèmes de pollution et d’environnement et près de 792 millions de personnes souffrant de la faim dans les pays du Sud (18 % de la population de l’ensemble des pays en développement . J-Y Carfentan. La mondialisation déloyale. Fayard. 2002)…

Paris, le 1° mars 2003                                                                              Jean-Pierre Raffin

Ont été publiés depuis la rédaction de ce texte deux ouvrages qui s’inscrivent dans la même veine que les ouvrages ci-dessus cités:  « Ecologiquement incorrect » d’Eric Joly (J-C. Godefroy, 2004) et « La face cachée de l’écologie : un antihumanisme contemporain ?» de Laurent Larcher.( Les éditions du Cerf . 2004)

L’ouvrage de M. Larcher mérite le détour. Dès la première page est posée la question « Les écologistes sont-ils des imposteurs ?», quelques lignes plus loin, il est question des « grandes peurs vertes », quelques pages plus loin il est question de « peur verte » à propos du film « La Planète des singes », de l’oppression en Chine et des massacres au Cambodge et au Rwanda qui sembleraient ne pas intéresser les écologistes. Cela tendrait à démontrer que les « écologistes » sont « les Verts » encore que l’on puisse s’interroger sur ce que représente le mot « Vert » pour l’auteur qui n’hésite pas à qualifier René Dumont de candidat « Vert » aux élections présidentielles de 1974, 8 ans avant que ne se constitue le mouvement « Les Verts-parti écologiste ». Sous le titre « L’écologisme, une nouvelle idéologie» l’auteur énonce : «L’écologie n’est pas un monde clos. C’est une galaxie aux contours flous. Divisée en disciplines (scientifique, politique, philosophique, artistique, religieuse), subdivisée en courants (environnementaliste, humaniste, utilitariste, Deep Ecology, christianisme) qui eux-mêmes sont composées de chapelles, de familles, de sensibilités diverses, parfois contradictoires, l’écologie contemporaine n’est pas simple à saisir d’un trait ou d’un mot ». On apprend ensuite que trois courants de « l’écologie » préparent l’avènement d’une nouvelle idéologie: un produit de synthèse entre l’esprit libertaire de Mai 68 et la société de consommation, une vision de l’animal qui  serait plus qu’un animal et la Deep Ecology etc. Bref, l’auteur n’a manifestement pas compris la différence entre écologie et écologisme et l’on ne sait finalement pas de quoi et de qui  il parle lorsqu’il traite de « l ‘écologie environnementaliste, un hédonisme vert », des « environnementalistes branchés dont l’icône serait D. Cohn-Bendit » (qui ne se revendique d’ailleurs pas comme environnementaliste…), de « la logique environnementaliste qui voudrait que l’animal comme la nature soient objets de plaisir », etc. En faisant de la « Deep ecology » « le noyau, le point central de l’écologisme contemporain » M. Larcher démontre qu’il a une vision très superficielle de l’écologisme.

Il est par ailleurs assez curieux que ne soient faites aucunes allusions aux réflexions d’écologues comme Barbault, Bourlière, di Castri (qui a remarquablement exposé en 1984 ce qu’était et n’était pas l’écologie) Dubos ou Ramade pour se limiter à quelques auteurs de langue française qui pourtant devraient si l’on en croit L. Larcher appartenir à « l’écologie contemporaine». Ne sont pas, non plus, évoqués les travaux de chercheurs ayant travaillé sur les idées et les mouvements écologistes comme Bourg, Kalaora, Larrère ou Lascoumes. Bref si l’on voulait être méchant, l’on dirait que les écrits de L. Larcher résultent plus d’opinions que d’une analyse rigoureuse du sujet abordé.

M. Larcher se gausse des réintroductions animales dans lesquelles il ne voit que la marque d «une écologie utilitariste» conduisant l’homme «incapable de franchir l’espace qui le sépare du monde naturel » à réussir  « avec talent à le recréer dans son univers pour sa plus grande distraction ». Il omet (ou ignore) qu’une bonne part des réintroductions concerne des plantes ou des espèces animales peu spectaculaires et qu’il y a dans l’économie des réintroductions un aspect « réparation » souligné il y a près de 30 ans par Robert Hainard. En effet, si bien des espèces (ou certaines de leurs populations) ont disparu ou disparaissent actuellement, c’est du fait d’activités humaines et non pas comme l’écrit M. Larcher parce qu’elles n’ont pas été « capables de se maintenir». L’homme qui a le pouvoir de faire disparaître a aussi celui de réparer en réintroduisant (opération consistant non pas à reconstituer une espèce éteinte, ce qui n’est pas possible, mais à apporter des specimens d’une espèce pour rétablir une population en un endroit d’où elle a avait disparue). Si comme le déclarait  en décembre 1971 le Cardinal Villot «toute atteinte à la création est une atteinte au Créateur» (ce que met en valeur M.Larcher) une participation à une bonne gestion de la Création, une réparation des dégâts commis devraient être présentées comme des actions positives et non pas des opérations dérisoires. M.Larcher n’est pas très cohérent.

Sur le fond du phénomène des « peurs vertes », M. Larcher reprend à son compte les «avis» de Bjorn Lomborg, Pierre Kohler ou Guy Sorman sans avoir cherché à vérifier si les arguments qu’ils avancent étaient pertinents.

Ce manque de discernement touche d’autres aspects. L. Larcher met en exergue des propos de L. Ferry (L’Homme-Dieu ou le Sens de la vie, 1996) selon lesquels  les animaux « sont déterminés (…) par un instinct, à vivre et à se comporter selon les lois immuables qui sont celles de leur espèce depuis des millénaires ». C’est là une thèse qu’avait déjà développée L. Ferry dans son Nouvel ordre écologique de 1992 et qui le conduisait à dire que « l’animal est programmé par un code qui a nom instinct. Granivore ou carnivore, il ne peut s’émanciper de la règle naturelle qui régit ses comportements. Le déterminisme  est en lui si puissant qu’il peut entraîner sa mort, là où une dose infinitésimale de liberté à l’égard de sa propre norme lui permettrait sans peine de survivre ». L. Ferry étayait sa démonstration par une citation de J-J. Rousseau «la bête ne peut s’écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui serait avantageux de la faire, et que l’homme s’en écarte souvent à son préjudice. C’est ainsi qu’un pigeon mourrait de faim près d’un bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur des tas de fruits ou de graine, quoique l’un ou l’autre pût très bien se nourrir de l’aliment qu’il dédaigne, s’il s’était avisé d’en essayer ». Le seul problème est que J-J. Rousseau n’était manifestement pas un bon observateur du monde animal et que les études menées sur le comportement animal depuis ses écrits par l’éthologie, discipline scientifique née au milieu du XIX° contredisent ses affirmations. L’animal est doté de capacités d’adaptation (voire de «cultures» dans  certaines sociétés animales ) qui n’en font pas cette machine programmée décrite par Rousseau ou Ferry… Pour en revenir au « pigeon » de Rousseau, espèce typiquement «granivore », n’importe quel observateur peut constater tous les jours dans les rues de nos villes que l’oiseau ne dédaigne pas des aliments carnés dont MM. Rousseau et Ferry lui interdisent la consommation au nom de leurs théories. Ceux qui ont vu une émission récente de Thalassa sur la mer d’Aral (4 juin 2004) auront pu constater que des chameaux de Bactriane, herbivores typiques, s’accommodaient parfaitement des poissons que leur donnaient à manger les pêcheurs les utilisant comme bêtes de somme. Bref, le fondement même de certaines démonstrations péremptoires (Le Nouvel ordre écologique présente d’autres exemples du même acabit dans d’autres domaines) n’est pas très solide et fait douter de la pertinence des conclusions.

L’on peut être étonné de l’importance accordée par M. Larcher à la « Deep ecology » qu’il considère comme le point central de l’écologisme contemporain alors que ce phénomène reste très marginal en France et ne mérite pas autant d’attention quand d’autres aspects de l’écologisme sont passés sous silence. Il est vrai que l’essentiel des références concernant ce point sont anglo-saxonnes, aussi lorsque l’auteur nous dit traiter de « l’écologisme contemporain » l’on ne sait plus s’il s’agit d’une vision mondiale (au quel cas font défaut bien d’autres aspects de l’écologisme) ou s’il s’agit de discuter de la situation française. Bref, là aussi, le manque de précision dans le discours conduit à bien des confusions.

Il est, par contre, un aspects du livre de M.Larcher fort intéressant, celui qui met en valeur le discours de Jean-Paul II sur les questions environnementales, discours en général passé sous silence dans la presse catholique et largement ignoré de l’épiscopat français (à la différence de ce qui se passe en d’autres pays européens). Certes, Paul VI s’était déjà préoccupé de ces questions, mais la permanence et la pertinence du discours de Jean-Paul II méritent bien la place accordée. De même, l’auteur rend-t-il un hommage justifié aux efforts réalisés par Pax Christi pour qu’au sein de l’ église catholique se développe une réflexion « environnementale ». Il est cependant regrettable que le message de Jean-Paul II soit présenté sous l’intitulé « une écologie chrétienne » qui rappelle trop l’époque stalinienne où Lyssenko voulait instituer une «biologie soviétique» dont le but n’était pas l’approfondissement des connaissances mais la justification de l’ idéologie dominante du moment. Admettrait-on le concept d’ une zoologie chrétienne, d’ une botanique chrétienne, d’ une physique chrétienne, de mathématiques chrétiennes, d’ une biologie moléculaire chrétienne, etc.? Bien sur que non ! Que les chrétiens aient une vision particulière sur l’utilisation des connaissances et sur les moyens de les acquérir est une chose, qu’il y ait une « science » chrétienne » en est une autre.

Les attaques contre l’humanisme contemporain et le christianisme attribuées par L. Larcher à « l’écologisme » ne sont peut être qu’un reflet du manque d’intérêt des catholiques pour ces questions.

Paris, le 20 juin 2004                                                                                 Jean-Pierre Raffin

(titre original : LES  ZECOLOS ?  TUEZ  LES  TOUS !  L’ECOLOGIE  RECONNAITRA  LES  SIENS…)

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