Du côté des Ch’tis

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Bien sûr, il n’est pas d’origine nordiste, mais Mgr Ulrich est quand même du Ch’nord, puisqu’il est actuellement l’archevêque de Lille. Voici une de ses réflexions récentes, datée du 18 janvier, sur les enjeux du développement durable… Une bonne synthèse des positions de l’Eglise catholique. On notera que Mgr Ulrich cite notamment les travaux du géologue et prêtre Stopani au XIXè siècle, que cite aussi Patrice de Plunkett dans son livre.

 

 

En évoquant le sujet, ne faut-il pas préciser d’emblée qu’il y a souvent méprise, quant à la réflexion de l’Église en la matière ? Elle s’explique en partie par le doute sur la relation entre l’Église et la science : dans le contexte actuel, on a tendance à penser que dès qu’un thème se présente comme scientifique, l’apport de l’Église sera simpliste, idéologique ou dogmatique. Et pourtant, l’Église est préparée par sa tradition à un dialogue avec la culture et la société et plus encore depuis Vatican II (voir ce qui est en cours à propos de la Bioéthique !) Le dialogue suppose et signifie que l’on ne cherche pas à séparer les domaines du savoir, ni à hiérarchiser les données. On accepte la quête d’un langage commun et d’une philosophie de la nature, susceptibles de rencontrer les débats y compris scientifiques.

La question posée se présente bien dans ce contexte : face à la problématique de l’environnement, l’Église apporte une relecture de sa tradition, qu’elle revisite à l’aide de la raison. Et le donné fondamental de sa tradition, c’est que la nature dans laquelle l’homme vit n’est pas « un tas de choses répandues au hasard », comme le reconnaissait déjà Héraclite d’Éphèse au 5è siècle avant JC, mais qu’elle est mise à notre disposition pour que nous y vivions. On attribue à Antoine de Saint-Exupéry cette fameuse phrase : « nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ». Benoît XVI a récemment attiré l’attention sur le fait que notre réflexion ne vient pas seulement de la considération des conséquences néfastes de notre usage des ressources terrestres. (Message du 1er janvier 2010, n°10)

Non, notre tradition dit davantage que cela, se rapportant à Genèse 2,15 : la nature est l’environnement de la vie de l’homme, un don, non pour en disposer arbitrairement et l’exploiter violemment, mais à « garder et à cultiver » pour y vivre heureusement.

1°  – Le développement durable est considéré par l’Église comme un défi pour l’humanité. L’Église est attentive aux conséquences inaperçues jusqu’alors… Son apport sur cette question est sans doute apparemment récent : il y a 50 ans le Concile Vatican II n’évoquait pas spécifiquement cette problématique, mais celle de la destination universelle des biens. La constitution Gaudium et Spes précise : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent affluer équitablement entre les mains de tous», (n°69), alors que le Catéchisme universel qui date de 1992 rappelle que « la création est créée dans un état de  cheminement vers une perfection… » (302).

L’Église ne méprise pas les constats naturels. En 1880, c’est un prêtre italien l’abbé Stopani, géologue à Milan qui évoque, pour la  première fois probablement, le réchauffement climatique ! Je signale aussi un propos du cardinal Villot qui peut être considéré comme révélateur, car il date de 1971 et ce n’est qu’en 1980 que le thème apparaît au congrès international des juristes à Rome : » Toute atteinte à la création est un affront au créateur ».

On sait aussi que les deux récits de la Genèse évoquant la création ne peuvent être invoqués comme des réponses aux questions de la science d’aujourd’hui. Mais Dieu s’engage dans cette aventure partagée avec l’homme en sa finalité. Un monde où l’imprévu n’est pas interdit y compris l’hypothèse qui donne à l’homme la possibilité de menacer sa propre vie par la puissance de certaines recherches techniques. On se réfère donc ici à l’interdit des premières pages de la Bible ! Rien ne nous empêche justement de réfléchir sur le mystère de la destinée humaine et de la place de l’homme en ce monde, comme le dit le psaume 8 : le ciel, la lune, les étoiles sont une source d’admiration pour l’homme que le Seigneur « établit sur l’œuvre de ses mains ». Et le message précurseur de Paul VI dès 1971, lors du 80ème anniversaire de Rerum Novarum : « L’exploitation inconsidérée de la nature risque de la détruire ».

Depuis la vulgarisation de la notion de développement durable, en 1987 rapport Brundtland- l’Église y retrouve une conviction : « Le développement répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Intéressante concordance avec la Genèse ! … et demeure disponible pour revisiter sa tradition.

Depuis cette période, l’Église ne cesse de se mobiliser au sujet de ce développement durable et des questions écologiques en partageant et en apportant à la société ses éléments de discernement. Deux messages majeurs marquent cet intérêt répété des papes : Jean Paul II, le 1er janvier 1990, journée mondiale pour la paix : « L’humanité est invitée à explorer l’ordre de la nature, à le découvrir avec une grande prudence et à en faire ensuite usage en sauvegardant son intégrité ». Benoît XVI, déjà lors d’un déplacement en Italie, à Lorette le 2 septembre 2007, puis à Rome le 1er janvier 2010 : « Si tu veux construire la Paix, protège la création ». Et il cite notamment Jean Paul II dans son intervention faite 20 ans auparavant : « l’Alliance entre l’être humain et l’environnement doit être le miroir de l’amour créateur de Dieu ».

Je cite aussi l’épiscopat français en 2000 par sa commission sociale, puis en 2008 par son Conseil pour les questions familiales et sociales. En 2005, la section Française de l’organisme pontifical Justice et Paix, publiait un ouvrage collectif : Notre mode de vie est-il durable ? et y évoquait la responsabilité des pouvoirs publics, celle des entreprises, celle de la société civile et celle du citoyen consommateur. Ce qui était clairement indiquer la dimension essentiellement éthique de cette question.

La même année, le mouvement Pax Christi France publiait, sous la direction de mon confrère l’évêque de Troyes, Marc Stenger, un autre ouvrage collectif, sous le titre Planète Vie, Planète mort, l’heure des choix. En sa troisième partie, il invite à proposer des pistes éducatives auprès des jeunes et en famille. Et il rapporte quelques expériences menées par des paroisses, des monastères, et dans le cadre d’actions politiques locales. On peut dire que ce sont des micro projets qui signifient peu de choses au niveau du macro développement ! Mais saurait-on inventer du neuf sur ces sujets sans expérimentation, et sans pilotes qui agissent comme des modèles et des symboles ? En ces domaines, l’exemplarité est stimulante et nécessaire.

Enfin, lors de notre dernière assemblée plénière à Lourdes, en novembre 2010, nous avons ouvert un dossier Environnement et Écologie. Dont nous avons retenu d’une part que c’est la production d’énergie à relativement faible coût en comparaison des résultats obtenus, qui a permis, depuis 150 ans, ce développement incroyable que nous avons connu ; mais que la consommation des ressources qui en est résultée conduit à leur épuisement dans un avenir très proche. Et donc que les solutions qui s’offrent à nous devront conjuguer une certaine diminution de la croissance, et l’invention d’autres modes de création d’énergie, des énergies renouvelables. S’installe alors le concept si facile à énoncer, si difficile à mettre en œuvre certainement, de « l’aisance frugale ».

Le catholicisme ne cesse de se laisser interpeller et à certains égards est devenu un partisan volontariste de ce développement durable en reliant cette perspective à celle de la solidarité dans le cadre de l’Enseignement Social.

2° – Un défi qui engage la responsabilité humaine, la solidarité et la Paix.

Le développement ne sera réalisable sur les plans écologique et économique que s’il est défendu sur le plan social, c’est la manière dont il se pose. On ne peut pas ne pas mettre en valeur les cruelles inégalités qui s’affirment dans le mode de croissance économique d’abord : il semble que le mode de vie des pays riches ait impliqué cette surconsommation des biens naturels jusqu’à faire craindre maintenant l’épuisement des ressources de la planète et sa pollution. Il est cependant vrai que des pays émergents suivent aussi ce chemin et ont une réelle responsabilité dans ce domaine. Mais on ne peut pas passer à côté du fait que des pays pauvres auraient un réel besoin de développement dans des conditions simplement normales : au Niger, tristement célèbre ces jours-ci, ce sont 200 000 hectares qui, chaque année, ne sont plus cultivables. Et sait-on que 7% seulement des terres arables du continent africain sont irriguées ?

C’est pourquoi les interventions de l’Église en la matière sont toujours reliées aux questions de justice et de solidarité, partant en outre du constat que Jean Paul II appliquait à la conduite humaine « toujours reliée à des actes concrets des personnes, qui les font naître, les consolident et les rendent difficiles à abolir. Elles se renforcent, se répandent et deviennent sources d’autres péchés ; elles conditionnent la conduite des hommes ». (Sollicitudo rei socialis, 36 ; repris dans Centesimus annus)

Il s’agit en effet de « se dépenser pour le bien du prochain, en étant prêt à se perdre pour l’autre au lieu de l’exploiter et à le servir au lieu de l’opprimer à son profit » (Sollicitudo,38). On a le droit de se dire qu’il y a là un idéal utopiste, mais l’Église reste fidèle à ses engagements et à sa foi.

C’est pourquoi l’Église mobilise son attention sur les aspects de solidarité en lien direct avec la justice : elle cherche à renforcer la notion et la pratique du bien commun, c’est-à-dire appartenant à tous et destiné à tous. La question de la gestion heureuse et équilibrée de la création est une question éthique, Jean-Paul II n’a cessé de l’exprimer : il y a une « réflexion biblique (qui) met mieux en lumière, le rapport entre l’agir humain et l’intégrité de la création » (Message du 1er janvier 1990).

L’Église est donc prête à répandre la responsabilité d’une vraie solidarité : responsabilité et solidarité dans l’espace pour tous les hommes habitant la même terre (cf. Edgar Morin), en vue de ne pas conquérir les marchés nouveaux sans structurer les échanges favorables au commerce équitable. Responsabilité et solidarité dans le temps : nous avons à transmettre une planète aussi riche que celle dont nous profitons. Solidarité avec la nature dont la gestion nous est confiée pour être enrichie, selon la théologie en la matière, c’est à l’homme de poursuivre la création. C’est pourquoi l’Église invite à prendre conscience que les innovations techniques n’inversent pas automatiquement les penchants destructeurs et inconscients aussi. Autant elle invite à avoir toujours recours à l’intelligence, à la recherche, autant elle invite à la création de comités d’éthique au sein des disciplines scientifiques en recherchant sans cesse les finalités des travaux et des techniques. On est capable de se laisser guider par la météo du lendemain mais est-on capable d’affronter les données irréfutables de notre avenir existentiel ?

S’agissant de la responsabilité humaine, l’Église prône elle aussi l’urgence de faire face aux situations et, en outre, de faire réfléchir sur la conscience humaine : pourquoi et d’où viennent les lenteurs, les obstacles que nous connaissons ?

Les textes que j’ai cités, jusqu’à présent, estiment incontournable le développement d’une réglementation et d’un corpus juridique international adéquat à ces nouvelles situations. C’est nécessaire, qui ne le voit ? Ceci confirme la nécessité d’une perspective éthique que j’ai déjà développée. De plus, cette vision éthique est évidemment une vision spiritualiste : « Chaque homme est l’Adam de sa propre âme ». « Il est évident qu’une solution adéquate ne peut se limiter à une meilleure gestion ou à un usage moins irrationnel des ressources de la terre ;…il paraît nécessaire de remonter aux sources et de considérer dans son ensemble la crise morale profonde… » (Message du 1er janvier 1990). « Cependant, la question « pourquoi en est-il ainsi ? » demeure, et doit être transmise par les sciences de la nature à d’autres niveaux et à d’autres manières de penser à la philosophie et à la théologie » (Benoit XVI le 12 septembre 2006 à Ratisbonne).

Ouverture

S’il fallait conclure, je dirais volontiers qu’il y a clairement un volet financier à toutes ces considérations, et je lisais récemment qu’il serait temps mais cela commence d’exister d’une certaine manière de mettre en place des Fonds d’Investissement à long terme pour soutenir ces actions au plan mondial. Celui qui en parlait appelait les Églises, et particulièrement l’Église catholique, à entrer dans un projet de ce type. Pourquoi pas ? j’en retiens l’idée. Mais aussi qu’il est bon de commencer par des actions significatives : le Vatican, depuis 2008, est devenu un État manifestant sa volonté d’atteindre en 2020 l’objectif européen de produire 20% de sa consommation en énergies renouvelables. Il a commencé d’installer 5000 m2 de panneaux solaires sur la grande salle d’audience Paul VI, procurant déjà une économie de 300 tonnes de CO2 par an. C’est peu, c’est un début.

J’emprunte pour finir à un frère protestant et visionnaire, Jacques Ellul, ce propos concernant le texte de la Genèse « …il est dit que Dieu a créé l’homme à son image. Il faudrait dire « Gouvernez, ordonnez, soumettez la nature comme Dieu le fait, c’est-à-dire avec amour. » Le cantique des créatures de Saint François d’Assise parle de ses frères et sœurs, le soleil, le vent, le feu, la lune et les étoiles, ce qui est une autre façon de le dire !

+ Laurent Ulrich, Archevêque de Lille

3 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Anne-Marie Béneix dit :

    « Chaque homme est l’Adam de sa propre âme ». Cela signifie (pour moi) que nous sommes auteur, concepteur, créateur de notre âme. Peut-être, je n’en sais rien.
    « S’installe alors le concept si facile à énoncer, si difficile à mettre en œuvre certainement, de « l’aisance frugale ». Il me semble, que les humains cherchent à « être » et découlant de cette quête, ils se demandent qui ils sont, ou encore quelle est leur identité. Et il s’abandonne à la mode, à la consommation, à la tradition, à la recherche d’une spécificité qui leur donnerait éventuellement un statut.
    Si au lieu de chercher dans cette direction, nous faisions confiance à Celui qui nous a appelé à la liberté, à renforcer notre relation avec Jésus-Christ, nous verrions assez rapidement que ce qu’il(J-C) nous demande est si difficile (obéir est difficile au début) que cela renforce notre personnalité. C’est la personnalité qui est richesse pour la communauté. Or, tout être humain a une personnalité, plus ou moins effacée, mais les questions qu’il se pose, le sculptent. Ce n’est pas l’égo qui doit apparaître ( nous savons qu’il est criminel), mais ce pour quoi le Seigneur nous a appelé à la vie et pour quelle liberté il s’est fait re-connaître. Chacun a une personnalité différente, ce n’est pas une question de caractère, c’est plutôt l’expression de sa compréhension dans son environnement. Les moqueries sont à bannir car elles détruisent la confiance de celui qui est moqué(Ps 1 v1). Lorsque la personnalité se développe l’individu a moins tendance à être conforme aux autres. Oui, il y a solitude, mais le Seigneur veille, nous pouvons continuer à avancer. Et de fil en aiguille l’aisance frugale remplace la mode, la pensée unique, la croyance que nous devons faire comme ci ou comme ça, la culpabilité, ou l’auto-justification.

  2. Marcellin OUEDRAOGO dit :

    L’Eglise, même si cela n’a pas été de manière officielle, est partisane de la protection de la nature. Cela parce qu’elle prône le bien de l’homme. Dieu en créant l’homme a pris le soin de le mettre dans un jardin, dans un milieu écologique où la vie lui est possible. imaginons ce jardin détruit!

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