Un article récent du magazine américain Sojo évoque une des grandes figures du mouvement d’émancipation aux États-Unis. Howard Thurman (1899-1981), d’abord devenu pasteur baptiste, a beaucoup voyagé, rencontrant notamment Gandhi qui l’a invité à pratiquer la non-violence dans une Amérique encore fortement ségrégationniste. En 1944, il rejoint à San Francisco, la première église des États-Unis ouverte indifféremment à toutes les communautés, l’église pour la Fraternité entre les peuples, servant à côté d’un ministre blanc. Il fut aussi le premier diacre à servir à la Marsh Chapel à la très blanche Boston University en 1958. Parmi la vingtaine de livres qu’il a écrit, celui intitulé Jésus et les déshérités (1949) a fortement influencé Martin Luther King, Jr. lui-même, et beaucoup d’autres leaders, blancs et noirs du mouvement des droits civiques américains. Pasteur, théologien, mystique, professeur d’université, l’homme est aussi, et on le sait moins, l’auteur d’une théologie qui insiste beaucoup sur « l’harmonie originelle de la Création ». Une harmonie perturbée par l’activité humaine, comme il le dénonce en 1971 :
« Notre atmosphère est polluée, nos rivières sont empoisonnés, nos collines sont dénudées, la vie sauvage est exterminée de plus en plus, pendant que de plus en plus d’humains deviennent des étrangers sur la propre terre ou salissent leur propre nid. »
Sa sensibilité aux questions de la nature vient indubitablement de son enfance en Floride, notamment après le décès de son père, se consolant dans le cycle majestueux des saisons :
« Là, j’ai trouvé, seul, une bénédiction toute spéciale. L’océan et la nuit ensemble enserraient ma petite vie avec une réassurance qui ne pourrait plus se laisser déstabiliser par le comportement des humains. La mer, la nuit, me donna un sens de l’éternité, d’une existence qui dépasse de loin le flot des évènements. »
Cette expérience « cosmique et religieuse », Thurman s’en souviendra toute sa vie, lui conférant ce lieu de paix où entendre l’Esprit à l’œuvre.
« La terre sous mes pieds est cette grande matrice d’où la vie dont dépend mon corps vient sans cesse en abondance. Il y a un travail dans le sol, un mystère dans lequel la mort d’une seule graine mène à la vie nouvelle de milliers d’autres. C’est l’ordre des choses, et bien plus. Il y a une belle tendresse d’où vient tout cela. Dans la contemplation de la terre, je sais que je suis pris dans l’amour de Dieu. » (1953)
Ce n’est pas du panthéisme que Thurman exprime mais la conviction que l’Esprit saint est bien à l’œuvre dans les créatures.
» Dieu respire à travers tout cela : le moineau sauvé par son vol ; le lys fleurissant sur la colline rocailleuse ; l’herbe des champs et les nuages, légers et lourds à la fois ; le fou dans ses chaines ou errant entre les rochers du désert ; le petit enfant dans les bras de sa mère… » (1961)
Si certains de ses successeurs (James cone…) relient désormais directement dans leur discours l’oppression faite aux noirs et celle d’aujourd’hui faite à la terre, Thurman n’allait pas aussi loin mais préférait noter le danger qu’implique le sentiment de supériorité des cultures dominantes sur toute chose. Il rappelait aussi que si la Bible soulignait toujours l’attention de Dieu aux humains, il fallait aussi prendre au sérieux quand elle rappelait que Dieu connaissait chaque moineau (Mt 10), même si la vie de l’humain a bien plus de prix encore.
« Les déshérites savent par eux-mêmes qu’il y a un Esprit à l’œuvre dans la vie et le cœur des humains et qui surpassera le monde. Ce sera vrai pour les privilégiés et ceux qui ne le sont pas si les individus se tiennent attentif à la manière dont l’Esprit travaille. Alors, on peut accepter de vivre dans le chaos du présent la haute destinée des enfants de Dieu. »
Source : D’après un article de Beth Norcross dans Sojo
Beth Norcross (www.bethnorcross.com) est le confondateur de la Green Seminary Initiative et est adjoint au Wesley Theological Seminary à Washington, D.C.