2016
Réflexions de Bertrand Cumet
Dans « Enjeux et défis écologiques pour l’avenir », nos évêques appelaient de leurs voeux la création de « lieux de parole », d’ « espaces de rencontre », pour aborder les questions liées à l’énergie nucléaire. Trois ans après, alors que la question taraude les décideurs, force est de
constater que le débat n’a pas eu lieu. Désormais c’est le pape lui-même qui nous invite entre autres addictions, à nous guérir de notre soumission au « paradigme technocratique », et à questionner « des projets qui ne sont pas suffisamment analysés comme (…) les effets de l’utilisation de l’énergie nucléaire » (LS 184), « en vue de discerner si elle offrira ou non un véritable développement intégral »(LS 185).
Mise en perspective
Le nucléaire civil est un point aveugle de la réflexion de l’Eglise catholique, engagée officiellement dans la promotion de cette technologie au travers du Saint-Siège, membre de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) depuis sa création en 1957, dont l’objectif est de
développer l’énergie atomique. Le 29 juillet 2007 lors de l’angélus, le pape Benoit XVI confirmait que le Saint-Siège « approuve pleinement les finalités de cet Organisme (L’AIEA), en est membre depuis sa fondation et continue à soutenir son activité. (…) l’engagement à encourager la non-prolifération d’armes nucléaires, à promouvoir un désarmement nucléaire progressif et concerté, et à favoriser l’utilisation pacifique et sûre de la technologie nucléaire pour un développement authentique, respectueux de l’environnement et toujours plus attentif aux populations plus désavantagées, est toujours plus actuel et plus urgent . »
Or, comme le rappelait lui-même Benoit XVI dans son allocution, le mandat de l’AIEA est de « solliciter et accroître la contribution de l’énergie atomique aux causes de la paix, de la santé et de la prospérité dans le monde entier » (art. II du Statut). On peut lire par ailleurs dans l’article III des statuts, que l’agence a pour attributions « d’encourager et de faciliter, dans le monde entier, le développement et l’utilisation pratique de l’énergie atomique à des fins pacifiques …», « d’accomplir toutes opérations ou de rendre tous services de nature à contribuer au développement ou à l’utilisation pratique de l’énergie atomique à des fins pacifiques ou à la recherche dans ce domaine », « de pourvoir, en conformité du présent statut, à la fourniture des produits, services, équipement et installations qui sont nécessaires au développement et à l’utilisation pratique de l’énergie atomique à des fins pacifiques, notamment à la production d’énergie électrique, ainsi qu’à la recherche dans ce domaine, en tenant dûment compte des besoins des régions sous-développées du monde »
Pourtant le 9 juin 2011, 3 mois après Fukushima, Benoit XVI s’adressait aux ambassadeurs en ces termes :« Miser tout sur elle (la technique) ou croire qu’elle est l’agent exclusif du progrès, ou du bonheur, entraîne une chosification de l’homme qui aboutit à l’aveuglement et au malheur quand celui-ci lui attribue et lui délègue des pouvoirs qu’elle n’a pas. Il suffit de constater les « dégâts » du progrès et les dangers que fait courir à l’humanité une technique toute-puissante et finalement non maîtrisée ». Et il poursuivait, « Conscients du risque que court l’humanité face à une technique vue comme une « réponse » plus efficiente que le volontarisme politique ou le patient
effort d’éducation pour civiliser les moeurs, les gouvernants doivent promouvoir un humanisme respectueux de la dimension spirituelle et religieuse de l’homme. » Deux jours avant le référendum sur le nucléaire en Italie, beaucoup de commentateurs y ont vu une allusion à peine voilée à cette technologie.
Néanmoins, le 22 septembre 2014 à Vienne, le Sous-Secrétaire du Saint-Siège pour les relations avec les états, Mgr Antoine Camilleri, confirmait une nouvelle fois lors de la 58 Conférence générale de l’AIEA que le Saint-Siège soutient pleinement les actions de l’institution, comme celles de l’OMS ou de la FAO. Elles contribuent, estimait-il, au véritable développement de l’homme et favorisent la paix et la prospérité mondiale. Ainsi, l’Eglise catholique n’a jamais tranché quant à l’usage du nucléaire à des fins civiles, mettant une certaine énergie dénoncer son utilisation militaire, et oubliant de voir le lien congénital entre les deux.
Petite histoire de prises de position catholiques en France
En France, on le sait, les objectifs affichés de l’AIEA ont été poursuivis avec zèle, sans que le peuple ou ses élus puissent vraiment faire entendre leur voix3, faisant dire à Mgr Matagrin en 1977
« On ne peut pas ne pas s’interroger sur le caractère violent d’une politique nucléaire imposée à une société où une large fraction de l’opinion publique est habitée par l’incertitude si ce n’est par la peur. De toute façon s’impose un large débat public qui puisse éclairer l’opinion. (…) La vraie démocratie reste à inventer…»
« Pour une éthique de l’énergie nucléaire »4 ouvrage collectif EDF-Université catholique de Lyon, sous la direction de Monseigneur Defois est à notre connaissance la seule publication consistante
sur cette question. Les motivations qui y sont précisées sans assez claires et conformes à la composition du groupe de réflexion:
» Quelques comportements d’ecclésiastiques au cours des cinq dernières années lors de problèmes locaux ont fait craindre à des responsables d’EDF une réaction « globalement négative » des autorités religieuses en cas d’incidents graves. Pour prévenir les malentendus il leur a paru bon d’informer avec exactitude et de dialoguer de façon approfondie « . …
Ainsi, les voix catholiques se sont-elles tues et les écrits crédibles, indépendants de toute confusion des rôles ou influence, semblent inexistants. A l’exception notable du groupe de Bure, réunissant fin 2011 douze personnes originaires des Vosges, de la Meuse, de la Haute-Marne, de l’Aube, avec des sensibilités différentes, croyants ou non-croyants, constitué autour de Monseigneur Marc STENGER, pour réfléchir à l’éthique de la gestion des déchets nucléaires.
Prises de position catholiques dans le monde
Dans le monde, des voix catholiques autorisées se sont néanmoins fait entendre depuis 2011, notamment celles des évêques du Japon et d’Allemagne. En 1999 la Commission « Justice et paix » (JCCJP) de l’épiscopat japonais demandait la fermeture de tous les sites nucléaires au Japon, et de mettre un terme à l’utilisation du plutonium. En 2001 la conférence épiscopale des évêques du Japon préconisait au sujet de l’électricité d’origine nucléaire:
« De manière à éviter une tragédie, nous devons développer des moyens alternatifs sûrs de produire de l’énergie ».
Enfin, en novembre 2011, 8 mois après le début de la catastrophe de Fukushima, les évêques catholiques du Japon appelaient leur gouvernement à fermer sans délai les centrales nucléaires du pays, dans un document intitulé : « Mettre fin à l’énergie nucléaire aujourd’hui : … » dans lequel ils expriment leurs regrets de n’avoir pas demandé la fin des centrales nucléaires dans leur précédent message de 2001. Pour ces évêques, la catastrophe de Fukushima
« a fait disparaître le mythe de la sécurité, inventé par ceux qui ont trop engagé leur confiance dans la science et la technologie, sans avoir la sagesse de connaître leurs limites. »5.
Leurs frères suisses et allemands leur ont emboîté le pas. Dans un communiquée de 2011, la commission Justice et Paix de l’épiscopat suisse demandait la sortie du nucléaire6, tandis que les évêques allemands se prononcaient en mars 2011, par la voix du président de la conférence des
évêques, monseigneur Robert Zollitsch, pour rappeler que les évêques ont toujours considéré l’énergie nucléaire comme une énergie transitoire et que tout devait être fait pour développer des énergie durables qui ne nuisent pas à l’environnement et ne pénalisent pas les générations
futures. 7
Etat de la réflexion chez les catholiques français
Le groupe de Bure a eu entre autre mérite de relancer quelque peu un débat chez les catholiques, en se basant notamment sur des critères éthiques :
« (…) tout débat concernant le choix de l’énergie nucléaire ne doit pas seulement toucher la question de sa pertinence, de ses objectifs, de ses avantages et de ses inconvénients, mais être passé au crible des impératifs éthiques dont le respect seul permet que l’homme soit un homme »
car, comme le disait Benoit XVI dans son discours aux ambassadeurs,
« il est donc urgent d’arriver à conjuguer la technique avec une forte
dimension éthique », tant « La technique qui domine l’homme le prive de son humanité ».
Loin de servir l’homme, des techniques « utiles » peuvent aussi détruire les êtres et les valeurs humaines. Les réflexions éthiques du groupe de Bure, centrées essentiellement sur la question du stockage de déchets, valent pour toute la filière. En effet, de manière très évidente, les caractéristiques de cette technologie interrogent les principes fondamentaux de la doctrine sociale de l’Eglise catholique que sont le bien commun, la solidarité, la justice, la dignité de la personne, la
responsabilité vis à vis des générations futures, le caractère sacré de la personne humaine, la subsidiarité, etc…
Pour aller sur un terrain plus philosophique, Jean-Pierre Dupuy, rappelant la réflexion d’Hannah Arendt et Gustave Anders sur la banalité du mal, quelques jours après Fukushima, soulignait que pour Anders l’origine du nouveau régime du mal c’est l’infirmité de tous les hommes,
« lorsque leur capacité de faire, qui inclut leur capacité de détruire, devient disproportionnée à la condition humaine. Alors le mal s’autonomise par rapport aux intentions de ceux qui le commettent. Anders et Arendt pointaient ce scandale qu’un mal immense peut être causé par une absence complète de malignité ; qu’une responsabilité monstrueuse puisse aller de pair avec une absence totale de méchanceté »8.
Fort opportunément, l’opinion publique, accaparée par des préoccupations immédiates d’emploi, de pouvoir d’achat, de santé, d’éducation, de sécurité, ou encore la menace du réchauffement
climatique, n’a ni le temps ni l’énergie de prendre part au débat.
La parole d’une organisation millénaire comme l’Eglise, experte en humanité, ayant une certaine indépendance et le recul nécessaire, n’en est que plus cruciale.
De l’opportunité actuelle de se saisir de la question
Plusieurs raisons concourent à rendre ce sujet actuel, et à ce que les catholiques s’en saisissent :
- l’encyclique Laudato Si nomme expclicitement l’énergie nucléaire comme champ d’investigation d’un réflexion éthique, et propose sur ce sujet comme d’autre, l’inversion de la charge de la preuve,
- l’énergie nucléaire est présentée par ses soutiens comme une des solutions techniques incontournable pour lutter contre le réchauffement climatique9,
- l’énergie nucléaire ne figurait pas parmi les mécanismes de développement propre (MDP) du protocole de Kyoto, et a fait l’objet d’un intense lobbying durant la COP 21,
- les difficultés techniques de l’EPR entraînent la prolongation sine die de Fessenheim, contrairement aux engagements du président de la République10, motif d’inquiétude majeur pour les allemands11 ….et quelques français,
- la Loi de Transition Energétique, l’absence de chantiers de construction, et la durée très importante de la construction des centrales actuelles (L’EPR de Flamanville a été lancé en
2007 pour une mise en service au mieux en 2017), la perte (ou l’absence) de savoir faire dans ce domaine et la fragilité financière de notre outil industriel conduisent à la prolongation de nos centrales actuelles au-delà de la durée de vie de 40 ans (certaines
sources parlent de 30, voire 25 ans) initialement prévue. De 2018 à 2022, 30 des 58 réacteurs passeront la barre des 40 ans (relire si besoin la note 10 en bas de page), - Les français moyens, que nous sommes tous aux yeux des défenseurs de cette énergie, ont désormais suffisamment de recul historique pour se forger une conviction éclairée, étayée par des faits :
- les calculs probabilistes en terme de sûreté ont été invalidés par la réalité d’un facteur 300, à tel enseigne qu’à la suite de Fukushima les pouvoirs publics français en sont venus à envisager la possibilité d’un accident majeur en France, les poussant à élaborer précipitamment un « plan national de réponse » en cas d’accident majeur 12, et mettre sur pied une Task Force nationale (intervenue le 13 décembre dernier à
Fessenheim), - les mises en garde initiales des opposants concernant l’absence de solution pour le traitement et le stockage des déchets se sont révélées justes,
- la démocratie continue d’être maltraitée, si l’on se réfère au vote discret le 18 avril et en pleine nuit au Sénat d’un amendement à la la Loi Macron, autorisant l’ouverture du
centre d’enfouissement des déchets, sans démonstration ni loi préalable de réversibilité, ni idée précise du coût et des moyens de financement.
- les calculs probabilistes en terme de sûreté ont été invalidés par la réalité d’un facteur 300, à tel enseigne qu’à la suite de Fukushima les pouvoirs publics français en sont venus à envisager la possibilité d’un accident majeur en France, les poussant à élaborer précipitamment un « plan national de réponse » en cas d’accident majeur 12, et mettre sur pied une Task Force nationale (intervenue le 13 décembre dernier à
Conclusion
Sur ce sujet, qui implique les générations présentes et surtout futures (déchets nucléaires, démantèlement, régions contaminées rendues inhabitables en cas de fuite ou d’accident majeur, maladies génétiques…) et à l’invitation d’un pape qui dénonce le problème des déchets
hautement toxiques et radioactifs (LS 21), nous ne pouvons refuser en tant que catholiques de prendre parti entre un discours utilitariste servi par la technostructure qui gouverne nos consciences et infiltre l’Église même, et notre responsabilité éthique. Nous manquerions en outre à notre devoir d’apporter un éclairage complémentaire et précieux à nos hommes politiques, comme Laudato Si a pu le faire, en les livrant aux mains des seuls techniciens.
A nous, fidèles catholiques engagés dans notre Eglise, libres de tout conflit d’intérêt, d’encourager nos évêques à prendre position.
Sources : / 1 Sur la version française des statuts, on peut même lire « hâter » au lieu de « solliciter ». / 2 Discours du pape Benoit XVI aux nouveaux ambassadeurs près le Saint-Siège, 9 juin 2011, source Vatican.va / 3 Absence de vote par l’assemblée nationale, refus d’organiser un référendum, proposé par le parti socialiste en 1978. Pour plus de précisions sur la conduite du programme électronucléaire, voir document joint « Le discours et la réalité…Propos sur les conditions de lancement du programme électronucléaire français en 1974-1978. », J.P. Raffin. / 4 « Pour une éthique de l’énergie nucléaire », Cahiers de l’Institut Catholique de Lyon, Lyon, 1990. Ouvrage commun EDF/Université catholique de Lyon. / 5 Message des évêques du Japon à tous les résidents du Japon, novembre 2011, traduit par D.Lang dans La Documentation Catholique, n°2481, 1er janvier 2012, p.14. / 6 « Justitia et Pax ruft den Nationalrat auf, einen klaren Entscheid für den Ausstieg aus der Kernenergie zu treffen… », Bern, 6.6.2011. / 7 http://www.caritas-international.de/wasunsbewegt/stellungnahmen/kirchenvertreter-fordern-ausstieg-aus-de / 8 Jean-Pierre Dupuy, Le Monde, 20 mars 2011, article repris dans la revue Esprit, mai, 2011/5 sous le titre « Les quatre catastrophes du Japon » . / 9. Avec un parc mondial vieillissant, l’industrie nucléaire produit à peine 17 % de l’énergie finale consommée en France, et 2% de l’énergie finale consommée dans le monde, moins que l’hydoélectricité. / 10. Lors du débat télévisé de l’entre-deux-tours le candidat François Hollande avant expliqué les raisons de son engagement à fermer cette centrale: « La première, c’est que c’est la plus ancienne centrale, qu’une centrale était prévue normalement pour trente ans et
qu’elle aura quarante ans d’âge en 2017. Deuxièmement, elle est proche d’une zone sismique, ce qui est quand même un risque. » / 11. Le 12 janvier 2015 la ministre de l’environnement allemande Barbara Hendricks a écrit à son homologue française une lettre dans laquelle elle demandait au gouvernement français la fermeture aussi rapide que possible de Fessenheim: « Comme vous le savez la population vivant dans les zones frontalières est très préoccupée par la sûreté de la centrale. Je vous prie de tout coeur de prendre en compte ces préoccupations lorsque vous pèserez le pour et le contre, et (…) de prévoir l’arrêt de Fessenheim à une échéance aussi rapide que possible ». http://www.sortirdunucleaire.org/La-Ministre-allemande-de-l-environnement-ecrit-a-41197. / 12. http://www.sgdsn.gouv.fr/IMG/pdf PLANNATIONALNUCLEAIRE_synthese_pour_site_internet.pdf
2012
DU COTE DES ÉVÊQUES DU JAPON
- La commission « Justice et Paix » de la Conférence épiscopale du Japon continue de s’interroger sur l’avenir de l’énergie nucléaire. Cet automne 2012, la commission tiendra un colloque sur ce sujet à Nagasaki.
- Comments on the Bishops’ Message “Abolish Nuclear Plants Immediately” From Sendai
November 10, 2011, Archbishop Joseph Mitsuaki Takami, S.S. President of the Episcopal Commission for Social Issues
Why does the Catholic Church announce a message on nuclear plants?
When Japanese citizen discuss the pros and cons of nuclear plants, each one speaks from a different stance. The following are a few examples: One citizen is mainly interested in profitability, while another is anxious about protecting children’s health and the security of civil life, and yet, another is thinking about the needs to maintain international competitiveness. On the other hand, the Catholic Church regards the pros and cons of nuclear plants as an ethical issue and a problem of human life. We also have responsibilities to protect nature, the environment and all life as God’s creation, in solidarity with all people. We would like to undertake our responsibilities as religious to speak on the pros and cons of nuclear plants from these two stances.
Regarding the messages of the Catholic Bishops’ Conference of JapanThere are 16 dioceses from Hokkaido to Okinawa in Japan. Archbishops, bishops and auxiliary bishops appointed by the Pope are responsible for the faithful and various facilities in their respective dioceses. There are 17 bishops in Japan today (not including bishops emeritus). A message, which has reached a consensus among these bishops, is announced occasionally as the message of the Catholic Bishops’ Conference of Japan. Such a message was announced this time after all the bishops reached a consensus during the Special Extraordinary Plenary Assembly on November 8 in Sendai. It is addressed not only to Japanese Catholics but also to all residents in Japan.
Why is it now that the message on nuclear plants is announced ?
After the recent nuclear plant accident, people started to discuss whether nuclear plants should be abolished or maintained. However, the Japanese government is gradually heading toward the maintenance of nuclear plants without paying attention to the public debate. The government has initiated the path to resume the operations of nuclear plants, and restarted the negotiation on the export of nuclear technology. Particularly under such circumstances, the pros and cons of nuclear plants should be examined respecting the outcome of public discussion. This is the reason why we decided to announce this message.In the message “Reverence for Life” from the Catholic Bishops’ Conference of Japan (2001), we said that we would move in the direction of the abolishment of nuclear plants, but took a stance of admitting the continued existence of nuclear plants. Faced with the Fukushima Daiichi Nuclear Plant Accident, the bishops have decided to take a more decisive and clear attitude on nuclear plants.
Is it possible to abolish nuclear plants immediately?In summer 2011, the shortage of electricity was predicted because the nuclear plants in Kanto and Tohoku regions stopped operating. However, thanks to the effort to save energy by corporations and local governments and others, we could overcome the shortage. It can be said that the shortage of electricity can be overcome by saving energy even if nuclear plants stop operating immediately. It might cause handicaps in terms of international competitiveness. However, new international competitiveness should be strengthened by promoting the development of natural energy. We trust Japanese advanced technology, and hope that Japanese people will make efforts to change their lifestyle by various means such as saving electricity. People in all Japan, not to mention Eastern Japan, which was afflicted by the nuclear plant accident, need to change their lifestyle to reduce dependence on nuclear power and electricity.
Explanation on the words in the message
“The wisdom to know our limits”: The knowledge, technology and endeavor of the human race have limits, and to know its limits constitutes true wisdom. It is necessary to humbly accept the wisdom in the fields of science and technology as well. The latest accident revealed that something uncontrollable by human knowledge and technology could happen in nuclear plants.
“In the context of peaceful use”: Japanese people have an earnest desire to abolish nuclear weapons based on their horrible experience of atomic bombing of Hiroshima and Nagasaki. This desire was converted into the peaceful use of nuclear energy as nuclear plants, in the context of peaceful use. However, it is also pointed out that nuclear technology can be easily used for the development of nuclear weapons. We should consider the abolishment of nuclear plants from this perspective as well.
“Poverty”: It means a way of life not obsessed with desire (greed) for goods and money. It is not the lifestyle that one thinks money and goods are unnecessary, but that one recognizes the true value of all God’s creation (water, nature, etc.,), utilizes them with respect, and shares them fairly with others.
“Obedience”: It means to obey the will of God.
“Detachment”: It means to become free from coveting money and goods, and to shift from the satisfaction of “having” to the joy of “being”.
“Self-sacrifice”: It means to live offering one’s life to God and other people with one’s love of God and others, instead of being driven by greed. In addition to the meaning related to the ethic of each individual, it has a meaning to live sharing the limited resources and products equally among all people and partaking of them fairly as a global citizen (the spirit of solidarity).
In this message, we appeal to reduce not only “dependence on nuclear plants”, but also “dependence on electricity”. Such efforts will contribute to respecting global environment and human life, not to mention the abolition of nuclear plants and the measures against global warming.
- « Abolition immédiate des Centrales nucléaires ! ~ Suite à la catastrophe tragique, l’accident de la centrale nucléaire n°1 de Fukushima ~ »– Message des évêques catholiques du Japon – Sendai, Japon, 8 novembre 2011
À toutes celles et à tous ceux qui demeurent au Japon.
Suite au grave accident de la centrale nucléaire n° 1 de Fukushima, causé par le tremblement de terre, à l’Est du Japon, – et sa conséquence, le tsunami -, le 11 mars 2011, la mer et la terre ont largement été contaminées par la radioactivité ; des milliers d’habitants ont perdu la vie, ou leur maison et leur milieu de vie.
Les évêques du Japon avaient fait une évaluation sur les centrales nucléaires, dans leur message pour le 21ème siècle : « Regard sur la vie » ; ils affirmaient : « Bien que (le développement de l’énergie nucléaire) ait fourni à l’humanité une énorme quantité d’énergie, – comme jamais auparavant -, il peut aussi apporter un grave dommage aux membres des générations suivantes, comme le montrent les bombes atomiques de Hiroshima et de Nagasaki, l’accident de Tchernobyl, – qui ont tué un grand nombre de personnes, en un instant -, mais aussi l’accident critique de Tôkai-mura, qui a exposé les vies de beaucoup de gens au danger et lourdement menacé leur vie quotidienne. Pour son bon usage, on aurait eu besoin de sagesse, celle qui sait les limites humaines et les efforts à faire, sans cesse, avec une attention minutieuse. Cependant, nous espérons le développement des énergies alternatives, pour que des effets tragiques ne surviennent pas.»
Ces « effets tragiques », évoqués dans ce message, se sont justement produits lors de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima. Avec cet accident, s’est effondré « le mythe de la Sécurité ». Ce « mythe de la Sécurité » s’est développé, parce que l’on a trop fait confiance à la science, et faute d’une « sagesse qui sait les limites humaines ».
Dans « Regard sur la vie », nous n’avons pas appelé à l’abolition immédiate des centrales nucléaires. Mais, le regrettant, et considérant la tragédie de l’accident de la centrale nucléaire n° 1 de Fukushima, nous appelons à la fermeture de toutes les centrales nucléaires qui se trouvent au Japon.
Contre un tel appel à l’abolition immédiate, des voix s’élèvent, inquiètes quant au manque possible d’énergie. Entre aussi en considération le problème du dioxyde de carbone. Mais, avant tout, nous avons la responsabilité de sauvegarder toute la vie, et la nature, qui sont création de Dieu, et de transmettre aux générations futures un milieu dans lequel elles se trouveront en sécurité et en toute tranquillité. Il faut décider tout de suite l’abolition des centrales nucléaires pour sauvegarder, non pas la théorie de l’économie pour l’économie, qui laisse la priorité aux intérêts et à l’efficacité immédiate, mais la vie précieuse et la belle nature.
Le cinquante quatre centrales nucléaires, qui se trouvent actuellement dans tout le Japon, sont en danger : elles peuvent subir un accident comme celui de Fukushima, car des dommages causés par un nouveau tremblement de terre et un tsunami sont possibles. L’abolition des centrales nucléaires est absolument nécessaire pour réduire au minimum les fléaux engendrés par une catastrophe naturelle.
Les centrales nucléaires ont pourvu la société en énergie, selon la perspective de « l’utilisation à des fins pacifiques ». Par contre, elles ont aussi produit de grandes quantités de plutonium et autres déchets radio-actifs des réacteurs atomiques. Il s’ensuit que nous faisons peser, en permanence, sur les générations futures, la responsabilité de conserver ces déchets dangereux. Il faut que nous considérions tout cela comme un problème moral.
Les centrales nucléaires ont été, jusqu’ici, encouragées par la politique nationale. En conséquence, cela a retardé d’autant le développement et la diffusion des énergies naturelles. Nous en appelons à un changement de politique nationale, qui donne la priorité au développement et à la promotion des énergies naturelles, ayant aussi comme perspective la diminution des émissions de dioxyde de carbone. La démolition d’un réacteur nucléaire nécessite beaucoup de temps et de travail. Il faudrait donc porter une attention très minutieuse à la démolition des réacteurs nucléaires et au traitement des déchets radio-actifs.
Il est certain que notre vie contemporaine ne peut se passer de l’énergie électrique. Cependant, il est important de modifier notre mode de vie, trop dépendant de l’énergie électrique, et de changer d’orientation, quant à notre manière de vivre.
Il est dans la culture, la sagesse et la tradition du Japon, de vivre avec la nature ; on rencontre aussi ce même esprit, dans des religions comme le Shintoïsme et le Bouddhisme. Le christianisme a développé l’esprit de pauvreté. Et nous, les chrétiens, avons le devoir de rendre authentiquement témoignage à l’Évangile, à travers la manière de vivre voulue par Dieu, à savoir : « simplicité de vie, esprit de prière, charité envers tous, – spécialement envers les petits et les pauvres -, obéissance et humilité, détachement de nous-mêmes et renoncement. » Nous devons choisir à nouveau la simplicité, comme style de vie basé sur cet esprit évangélique , à travers nos efforts pour économiser l’électricité, par exemple. Nous souhaitons aussi le développement et le progrès de la science, sur la base de ce même esprit. Ceci nous conduira à une vie sûre et tranquille, sans centrales nucléaires. À Sendai, le 8 novembre, 2011. Les Évêques du Japon
1. « Regard sur la vie — Message des Évêques pour le 21ième siècle —» Conférence des Évêques catholiques du Japon, 2001, pp. 104-105. Il y a un autre message de la Conférence des Évêques du Japon sur l’évaluation de la centrale nucléaire, qui a été présenté au gouvernement Japonais: « Requête en ce qui concerne l’accident critique nucléaire à l’Équipement pour Traitement d’Uranium de Tôkai (Petition concerning Nuclear Accident in tokai Uranium Processing Plant) » (1999). /
2. Paul VI, Exhortation apostolique : Evangelii nuntiandi, n. 76. /
3. Conseil Pontifical « Justice et Paix », Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, n. 486 (ch. 10, IV, d. Nouveau style de vie)
- « Regard sur la vie — Message des Évêques pour le 21ième siècle —» Conférence des Évêques catholiques du Japon, 2001, pp. 104-105. Dernière partie du document : L’environnement
The Earth
85. God created the world and declared it good, giving it order and harmony with the hope that nature and humankind would coexist in abundance. However, modernization and industrialization in the 19th and 20th centuries have led to the subjugation of nature by humanity, disappointing that hope. In their untiring pursuit of convenience and comfort, the peoples of the developed nations, driven by self-centered egoism and commercialism, have in a short time destroyed the earth’s environment.
The earth was born 4.6 million years ago. At the beginning of the 15th century, the human population of the planet was approximately one billion. By the beginning of the 20th century it was some 1.6 billion. As we enter the 21st century, the world population is some 6.1 billion and is expected to exceed 10 billion by mid-century. Predicting the future is difficult, but in the 21st century three things seem certain: population growth, increased energy consumption and deepening environmental problems.If we keep on like this…
86. As early as 1962 the American biologist Rachel Carson in her book Silent Spring pointed out the problem of environmental pollution.
« It was a spring without voices. On the mornings that had once throbbed with the dawn chorus of robins, catbirds, doves, jays, wrens, and scores of other bird voices there was now no sound; only silence lay over the fields and woods and marsh. … The apple trees were coming into bloom but no bees droned among the blossoms, so there was no pollination and there would be no fruit. »54
This prophecy of a « silent spring » was made more than 40 years ago.
In 1972, the Club of Rome published its report, The Limits of Growth, warning of overpopulation, economic expansion, resource depletion, food shortages, and environmental pollution. The report warned that under present conditions the exhaustion of resources and environmental pollution caused by population growth would impose limits on human development.
Today these prophecies leave a heavy weight on our hearts. Once lost, it is impossible to return nature’s pristine state. Between 1975 and 2000, some 40,000 different kinds of creatures were driven to extinction each year. Restoring an extinct species is, to all intents and purposes, impossible.
In the latter half of the 20th century, mechanization and the growth of the automotive society in developed countries led to mass production, large-scale consumption, large-scale disposal, and large-scale discharge of industrial wastes as individual engaged in extravagantly conspicuous consumption. This has resulted in the over-production of carbon dioxide (CO2) which is raising the earth’s temperature. In addition, chemical pollutants such as dioxin and environmental endocrine disruptors are threatening not only humanity, but all life on earth.The facts of environmental destruction
87. Especially serious among the world’s environmental problems are global warming, acid rain, ozone depletion and environmental destruction in developing countries.
The consumption of fossil fuels such as petroleum and coal produces « greenhouse gases » such as CO2 that raise the temperature of the planet. It is projected that during the 21st century the average temperature will rise 2o C. It is assumed that this will result in a rise of about 50cm in the sea level. This rise in sea levels will change rainfall amounts and weather patterns and have a big influence on plant and animal life. Abnormal weather conditions will produce famine and environmental refugees.
Sulfuric oxides (SOx) and nitrous oxides (NOx) discharged by factories, cars etc. undergo chemical changes in the atmosphere to produce sulfuric acid and nitric acid that then falls to the earth as acid rain. The death of fish in Northern European lakes and rivers was observed in the 1950’s and today more than half of Germany’s forests have been harmed by acid rain. Crops have been damaged in China, and acid rain has been observed as well in America, Canada and Japan. Pollutants have been observed to ride air currents for as much as 2,000km, so it is feared that the effects of acid rain can be worldwide.
Ozone in the lower level of the stratosphere is destroyed by chlorofluorocarbons and other such gases. This allows an increase in the amount of harmful ultraviolet radiation that reaches the planet’s surface. The fear is that this will cause health problems like cancer, interfere with photosynthesis in plants and hinder the growth of plankton.
Industrial pollution is a serious problem in developing countries. While that is their responsibility, it is also the responsibility of the developed countries that build factories in those places.
The problem of pollution arose in Japan in the 1960’s. Situations of air pollution in Yokkaichi and Kawasaki, and water pollution in Minamata due to industrial drainage provoked various countermeasures that have improved the situation. However, problems of air pollution, industrial drainage and heavy metal pollution are appearing in the developing countries.
This is not a case of people in the developed nations criticizing development in other places. It is important, though, that we share our experience by transferring technology, personnel and funds to assist developing nations.
Moreover, the overlogging of tropical hardwoods, the depletion of seafood resources due to marine pollution, the disposal of harmful wastes in the sea and desertification all present serious challenges to the existence of every creature on earth. In particular, it is said that more than half of earth’s species live in the tropical forests, but that by 2020 between 50,000 and 1,500,000 of them are expected to be extinct.What God expects
88. Both nature and humanity have been exquisitely created by God’s hands. Humans, animals and plants cooperate with each other and are linked to each other through a great interwoven ecosystem. It is a mysterious link. The present generation must not be allowed to use up the world’s resources and by its egoism and stupidity destroy living beings created by God. Human beings must take a new look at our relation to the environment and make a new start.
Each of us must correct our pride and comprehend the God-given balance of nature. We must recognize what it is that sustains us and know our limits. We need nature in order to live, to eat and to love.
In 1990, Pope John Paul II, saying that God expects humanity to care for the earth, affirmed « that there is an order in the universe which must be respected, and that the human person, endowed with the capability of choosing freely, has a grave responsibility to preserve this order for the well-being of future generations. I wish to repeat that the ecological crisis is a moral issue. »55Act locally
89. Nowadays the life style of people in developed countries is being called into question. In light of that, industries in our country should reconsider their mass production, large-scale consumption and rampant waste, and emphasize energy saving, resource saving, recycling and low waste production in the development of new products. We want them to grapple with the development of technologies to deal with all aspects of industry from manufacturing processes through disposal.
We, too, should stop such wasteful practices as excessive air conditioning and excessive packaging. When we buy a product, we should ask ourselves if it is really necessary, if it is made from recycled materials and how much electrical power it consumes. Each one of us should do what we can to reduce the burden on the environment. The activities of NGOs (non-government organizations) that work for the environment are increasingly important.
God cares even for the flowers of the field, dressing each with beauty and loving it. To sense each creature singing the hymn of its existence is to live joyfully in God’s love and hope. When we become aware of the abundant richness of other creatures’ existence, our eyes are opened to an intuitive sense of God’s own existence. The human task is not to destroy the environment, but to cooperate with God in creating it. It is important that we continue to hope as we correct problems and engage in a calm dialogue in search of solutions.
2011
Alors que dix ans auparavant (2001), les évêques du Japon avaient publié un texte assez nuancé sur la place du nucléaire civil dans leur pays, en décembre 2011, quelques mois à peine après les graves incidents de Fukushima-Daichi, ils publient en novembre un nouveau texte très différent, dans lequel ils demandent la sortie immédiate pour leur pays de cette industrie dangereuse pour le peuple japonais. Un revirement étonnant et qui n’a eu que très peu d’échos ailleurs…
Abolish Nuclear Plants Immediately ~Facing The Tragedy of the Fukushima Daiichi Nuclear Plant Disaster~
To all residents in Japan,
The accident in the Fukushima Daiichi Nuclear Plant triggered by the Great Eastern Japan Earthquake contaminated the ocean and land by radiation, and tragically disrupted the daily life of an enormous number of people. Even now, almost one hundred thousand people are evacuated from the neighboring area of the nuclear plant, and numerous people are forced to live in fear and anxiety.
With regard to the pros and cons of nuclear plants, we, Japanese bishops, expressed in our message “Reverence for Life –A Message for the Twenty-First Century from the Catholic Bishops of Japan” as follows: “It has provided a totally new source of energy for humanity, but as we can see in the destruction of human life in a moment in Hiroshima and Nagasaki, the disaster at Chernobyl and the life-threatening criticality accident at Tokaimura, it also has the potential to pass huge problems on to future generations. To use it effectively, we need the wisdom to know our limits and exercise the greatest care. In order to avoid tragedy, we must develop safe alternative means of producing energy.”(1)
The “tragedy” in this message was brought about by nothing less than the accident in the Fukushima Daiichi Nuclear Plant. This nuclear disaster wiped out the “safety myth”, which was created because people put too much trust in science and technology without having “the wisdom to know our limits”.
In the message “Reverence for Life”, we, Japanese bishops could not go so far as to urge the immediate abolishment of nuclear plants. However, after facing the tragic nuclear disaster in Fukushima, we regretted and reconsidered such attitude. And now, we would like to call for the immediate abolishment of all the power plants in Japan.
With regard to the immediate abolishment of nuclear plants, some people voice concerns about energy shortage. There are also various challenges such as the reduction of carbon dioxide. However, most important of all, we as members of the human race, have responsibilities to protect all life and nature as God’s creation, and to pass on a safer and more secure environment to future generations. In order to protect life, which is so precious, and beautiful nature, we must not focus on economic growth by placing priority on profitability and efficiency, but decide at once to abolish nuclear plants.
Because of the prediction that a new disaster will occur due to another earthquake or tsunami, all the 54 nuclear plants in Japan are at risk of horrific accidents like the latest one. Therefore, in order to prevent human-generated calamities associated with natural disasters as much as possible, it is essential to eliminate nuclear plants.
Although nuclear plants have been supplying energy in the context of “peaceful use” to society until now, they have also released an enormous amount of radioactive waste such as plutonium. We are going to place the custodial responsibility of these dangerous wastes on future generations for centuries to come. We must consider this matter to be an ethical issue.
Nuclear power has been encouraged by national policies up to now. As a result, natural energy has fallen behind in development and popularity. We urge that the national policies be changed to place top priority on development and implementation of natural energy, which will also contribute to reducing carbon dioxide. On the other hand, it takes a long time and enormous labor to decommission a nuclear plant. Therefore, the decommissioning of reactors and the disposal of radioactive waste must be conducted with extreme caution.
Indeed, electricity is essential for our lives today. However, what is important is to amend our ways of general life by changing the lifestyles that excessively depend on electricity. Japan has its culture, wisdom and tradition that have long co-existed with nature. Religions such as Shinto and Buddhism are also based on the same spirit. Christianity has the spirit of poverty as well. Therefore, Christians have an obligation to bear genuine witness to the Gospel especially through the ways of life expected by God; “simplicity of life, the spirit of prayer, charity towards all, especially towards the lowly and the poor, obedience and humility, detachment and self-sacrifice”. (2) We should choose anew a simple and plain lifestyle based on the spirit of the Gospel (3), in cases like saving electricity. We live in the hope that science and technology will develop and advance based on the same spirit. These attitudes will surely lead to a safer and more secure life without nuclear plants.
From Sendai
November 8, 2011
Catholic Bishops’ Conference of Japan
2. Pope Paul VI, Apostolic Exhortation Evangelii Nuntiandi, 76(1975).
3. Cf. Pontifical Council for Justice and Peace, Compendium of the Social Doctrine of the Church, 486 d. New lifestyles (2004).
- Lors d’une réflexion autour des déchets liés à l’activité nucléaire en début d’année, Jean-Pierre Chaussade, ingénieur, expert en énergie, diacre permanent du diocèse de Paris, membre de l’antenne « Environnement et modes de vie » (Pax Christi) résumait ainsi la position des évêques français : « Il n’y a pas de position officielle sur le nucléaire civil, seulement sur le nucléaire militaire. L’Église prône une politique de désarmement du nucléaire militaire. En ce qui concerne le nucléaire civil, l’Église n’est pas décideur mais écoute les uns et les autres sur certaines préoccupations ».
2001
- Reverence for Life –A Message for the Twenty-First Century from the Catholic Bishops of Japan (Catholic Bishops’ Conference of Japan, 2001, p.104~p.105).
1999
- Another message on nuclear plants announced by the Catholic Church in Japan is “Petition on the Criticality Accident at the Uranium Conversion Facility, JCO Co. Ltd” (1999).
1997
- En juin 1997, le service national pour les questions familiales et sociales de l’Eglise catholique publie un document de synthèse sur la problématique des déchets nucléaires (fiche verte).
- Le document essaye de proposer un chemin raisonnable pour la gestion de ces déchets en appelant à la vigilance, au principe de précaution et à une gestion démocratique et à long-terme de ces déchets laissés aux générations futures. A noter que le document part d’un a priori toujours positif sur la responsabilité des techniciens et leurs savoir-faire, forcément évolutifs dans le bon sens. Il déploie aussi une rhétorique un peu incantatoire qui, en dénonçant forcément l’irrationnel des opposants aux déchets, pense qu’il suffit de nommer les choses à faire pour cela soit le cas.
- Le document prend position quant à la technique de stockage de déchets, en préférant celui d’un stockage non-définitif de manière à ce que les « générations futures » puissent elles aussi décider de leur sort. Une idée généreuse mais qui fait le pari d’une gestion de tels sites sur le long terme, alors que le document lui-même rappelle qu’au-delà d’une génération, on ne peut rien dire de ce qui sera fait.
- En voici les éléments conclusifs, après toute une partie de présentation scientifique de la questions.
QUESTIONNEMENTS ET PISTES POUR UNE PAROLE ECCLÉSIALE
La responsabilité envers les générations futures.
À l’échelle de l’action humaine, il est très difficile d’envisager de façon réaliste les modalités du « vivre ensemble » au-delà d’une génération. La prise en compte, dans le cadre de la gestion des déchets radioactifs à durée de vie longue, d’une dimension transgénérationnelle induit toute une série de questions sur les plans éthique, organisationnel et politique, qui sont incontournables dans la perspective d’une gestion sociale responsable.
Plusieurs éléments de réflexion sont ainsi à considérer :
– Le point de départ d’une relation de vérité avec les générations futures, qui est une des conditions de la confiance, est d’admettre que nous leur transmettons un problème qui n’est pas définitivement réglé. Étant donné l’horizon temporel du risque associé à ces déchets, l’étendue des incertitudes tant scientifiques (liées à l’évolution d’un stockage) que sociales -concernant ce que seront devenues les sociétés de demain-, cette
étendue est importante et ne peut être ignorée.
– Il faut en particulier prendre en considération le maintien d’une possibilité de réévaluation, en fonction de l’évolution des critères d’acceptabilité, des concepts et des techniques de gestion des déchets mis en oeuvre. Les critères d’acceptabilité ne sont en effet jamais définitifs. Ils comportent des dimensions multiples, tant scientifiques, que politiques, éthiques, juridiques, ou culturelles. Ils sont donc susceptibles d’évoluer dans le temps en fonction des nouvelles connaissances comme en fonction des évolutions sociales et éthiques, des situations historiques. Il s’agit de laisser aux générations à venir une possibilité d’action qui leur permette de réévaluer le dispositif de gestion des déchets au vu de leurs propres critères d’acceptabilité, et également au vu des nouvelles connaissances qui ne manqueront pas d’apparaître. Il est donc de la responsabilité des générations actuelles de mettre en place une gestion des déchets qui maintienne dans le temps un certain degré d’autonomie de choix pour les générations futures.
– Dans le même temps, il ne faut pas oublier qu’il existe actuellement des connaissances qui permettent à la société de maîtriser les risques, de les contrôler dans des conditions qui sont aujourd’hui considérées
comme acceptables par la société sur le court terme. Ces connaissances constituent en quelque sorte un « patrimoine de sécurité », qui s’accroîtra au cours du temps avec l’avancée des recherches scientifiques et
qu’il convient de transmettre aux générations futures, pour leur permettre de gérer à leur tour le risque lié à l’existence des déchets radioactifs.
– Il importe également de s’interroger sur le caractère éthique d’une position qui viserait à décharger les générations futures de leurs responsabilités, sans que soit éliminé le risque qui est à l’origine de cette responsabilité. Décider a priori d’une solution, ce serait priver ces sociétés futures d’une capacité de choix dont
nous sommes nous-mêmes détenteurs.
– Par ailleurs, dans le souci d’un développement durable, il convient de s’interroger sur le niveau des ressources nécessaires au maintien d’un niveau de sûreté acceptable et sur leur évolution dans le temps. Il s’agit donc de réfléchir dès à présent à la possibilité de mettre en oeuvre des concepts de gestion des déchets radioactifs qui puissent évoluer, si nécessaire, vers une moins grande mobilisation de ressources, tout en préservant la sécurité de la collectivité.
Au vu des réflexions ci-dessus, il apparaît que la problématique de la prise en compte des droits des générations futures dans le processus de gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue devrait se traduire
par l’adoption de deux principes pour guider la décision et l’action :
Transmettre aux générations futures un patrimoine de sécurité afin qu’elles puissent assurer elles-mêmes leur protection.
– Ce patrimoine de sécurité est constitué de l’ensemble des savoir-faire, des connaissances scientifiques et techniques, des dispositifs et outils qui rendent possible la maîtrise du risque par la communauté humaine, et en particulier les moyens qui permettent la coexistence terrestre entre l’homme et ce potentiel de danger que représente le site de stockage.
– Il convient donc de réfléchir, dans le cadre des recherches sur les modalités de gestion des déchets à haute activité et à vie longue, à la mise en oeuvre de dispositifs législatifs, techniques, organisationnels et économiques qui conservent, développent et diffusent le savoir-faire acquis pour les générations à venir.
Cela suppose en particulier de définir les rôles respectifs des instances publiques : rôle de régulateur d’ensemble ; de maintien des capacités d’expertise et transfert de celles-ci…; des communautés locales, sans doute les mieux placées pour assurer la continuité de la vigilance et sa transmission dans le temps, surtout si elles sont concrètement associées au gardiennage ; voire des instances internationales. On pourrait envisager une convention internationale sur « la protection des stockages de déchets nucléaires ».
– Mettre en oeuvre dès maintenant des solutions de gestion des déchets qui tiennent compte de cette dimension du très long terme tout en garantissant l’autonomie de choix des générations futures dans l’avenir. Il s’agit
donc de concevoir et de mettre en oeuvre dès à présent des dispositifs techniques et organisationnels de confinement et d’isolation des déchets qui préservent une possibilité d’actions correctives, voire de changements de
solution compte tenu des évolutions techniques, sociales et politiques, ce qui est au coeur de la notion de réversibilité.
Le maintien d’un effort de recherche
Si, dans un premier temps, il a été envisagé de chercher une solution définitive au problème de la gestion du risque à très long terme associé aux déchets radioactifs, il est apparu nécessaire d’admettre que l’option d’un stockage
géologique définitif, qui pourrait à terme être abandonné voire oublié, comportait quand même des incertitudes et qu’il ne serait pas prudent de s’engager à l’heure actuelle vers cette seule option. En outre, celle-ci ne permettrait pas de répondre aux critères relatifs au droit des générations futures à conserver une autonomie de choix ainsi qu’un degré d’action et de décision.
Le principe de précaution conduit ainsi à considérer que la voie de l’enfouissement des déchets ne doit pas être considérée comme définitive, mais plutôt comme évolutive, c’est-à-dire inscrite dans un système global de gestion
des déchets basé à la fois sur une possibilité de contrôle et de mise en oeuvre d’actions correctrices et, dans le même temps, sur le maintien de recherches permettant l’amélioration des connaissances scientifiques et techniques en
vue du renouvellement des choix possibles dans le temps. C’est bien d’ailleurs ce que prévoit la loi.
Dialogue et transparence
S’agissant d’une question qui continue de préoccuper l’opinion publique, en particulier celle qui est la plus proche géographiquement des installations envisagées, l’effort de dialogue et d’information doit être maintenu. Ceci suppose d’abord, de la part de ceux qui, sur le plan technique, sont concernés par les déchets (entreprises, organismes de recherche, autorités administratives ou politiques…), d’accepter voire de susciter des points de vue critiques.
D’une façon plus générale, un effort pédagogique est à promouvoir sans cesse pour faire percevoir le vrai sens du principe de précaution : non pas refuser toutes les sortes de risques, mais comprendre que, en matière de déchets
comme pour tout ce qui touche à l’avenir, on ne peut jamais en arriver à des certitudes absolues, et qu’il faut au contraire admettre qu’il y a une part d’incertitudes. Incertitudes face auxquelles il ne s’agit pas d’être fataliste, mais
de prendre une attitude positive et constructive. Cet effort de pédagogie est avant tout du ressort de tous ceux qui exercent une responsabilité qu’elle soit politique, éducative ou morale…
Enfin, il y a certainement un rôle pour les médias : ceux-ci doivent être encouragés à ne pas succomber à la tendance, trop fréquente, de privilégier « l’information qui fait peur » (halte aux déchets !), mais au contraire à s’attacher
à donner, au moins, une information contradictoire.
1996
Commission diocésaine Justice et paix. Réflexion éthique concernant le projet d’un laboratoire d’études dans le sud de la Vienne. Stockage souterrain des déchets nucléaires.
Préambule et rappel historique Introduction scientifique : la gestion des déchets 1- Quelles recherches et quelle morale ? 2- Six questions morales 3- Conclusion : et maintenant ? Annexes
Préambule et rappel historique
Alors que dans le sud de la Vienne les forages étaient déjà commencés pour étudier la composition de la roche afin de savoir s’il est envisageable d’y implanter un laboratoire d’études sur le stockage souterrain des déchets radioactifs. La Secrétaire du Comité de Coordination Vienne-Charente a écrit au nouvel évêque de Poitiers sollicitant « l’avis de l’Eglise dans notre département ». En effet des recherches avaient été entreprises dans le cadre de projets nationaux. C’était en janvier 1995.
L’évêque a répondu à ce Collectif des Associations du Sud-Vienne et Nord-Charente contre l’enfouissement des déchets radioactifs, en présentant les points suivants :
1 – Le problème existe, nous sommes devant une situation de fait. Il faut donc s’en préoccuper.
2 – Ni les Evangiles ni la Tradition chrétienne n’apportent, en ce domaine, de réponse établie et définitive. La réflexion chrétienne est en train de s’élaborer.
3 – Parmi les chrétiens, les avis diffèrent : les uns favorables à ce projet, d’autres opposés. Il est donc indispensable de recueillir les différents arguments pour avancer une parole d’Eglise.
4 – Pour approfondir ces questions un groupe de réflexion a été constitué autour de l’évêque, en tant qu’atelier de travail de la Commission Diocésaine « Justice et Paix ».
Il s’est réuni chaque mois, de décembre 1995 à mai 1996. Il livre ici ses réflexions.
Le travail du groupe a été examiné par le Conseil Presbytéral qui a donné son avis. Il a été relu par les membres de la Commission Diocésaine « Justice et Paix ». Il a également bénéficié des remarques de personnalités compétentes, moralistes, hommes politiques, fonctionnaires… Le texte ici présenté a tiré parti de ces apports. Que chacun soit remercié pour sa contribution.
Ce travail a été mené selon les axes suivants :
1 – L’esprit général de ce texte est celui de la recherche du bien commun pour aujourd’hui et pour demain. La longue durée ici en cause dépasse l’emprise de nos actuelles représentations. La réflexion s’attache à trouver une position de sagesse entre des avis certes sincères mais dont le côté abrupt ne considère pas toujours l’ensemble des données.
2 – Ce travail, pour le groupe de réflexion, est une étape effectuée dans les conditions présentes des connaissances scientifiques et techniques ainsi que suivant le degré de maturité des débats éthiques. C’est dire qu’il appelle des développements et des mises à jour.
3 – En ce domaine, où des avis divergent légitimement, le groupe s’est attaché à donner des éléments de réflexion et à favoriser le dialogue entre personnes d’opinions contraires. Plus que de comparer entre elles ces opinions, il a voulu poser quelques principes pour aider ceux qui le veulent à se forger une opinion raisonnée.
4 – Dans un tel domaine l’Eglise réfléchit à partir de la conviction que Dieu, a confié la terre aux hommes. L’organisation du monde selon le dessein de Dieu, attend des hommes qu’ils agissent en solidarité pour bâtir une terre de justice, avec la conscience de leurs responsabilités envers les générations futures.
Les opinions des opposants sont exposées au fil des pages : crainte de nuisances nucléaires à cause de la présence des déchets, étonnement devant la distribution de subventions financières, peur de décisions insuffisamment assurées…
Les avis scientifiques ont pour objet de répondre à ces questions, dans le cadre des connaissances et des recherches actuelles et sont eux aussi répartis au long du texte.
Bref rappel historique
1979 : Création de l’Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA).
1987-1989 : L’ANDRA recherche sur le terrain. Opposition très forte dans le Maine et Loire et à Neuvy-Bouin (Deux-Sèvres, diocèse de Poitiers).
1990 : Commission parlementaire présidée par M. Bataille, Député du Nord.
30 décembre 1991 : « Loi Bataille » (voir annexe n° 3).
24 novembre 1993 : La Presse annonce des recherches à Chatain (Vienne).
30 novembre 1993 : M. Bataille à Poitiers.
6 décembre 1993 : Le Conseil Général de la Vienne décide à l’unanimité de présenter le département comme lieu de recherche.
24 janvier 1994 : Le Maire de Chatain met fin à ses jours.
*
* *
L’énergie nucléaire produit des déchets. Quelle que soit l’opinion qu’on puisse avoir sur ce mode d’énergie, nous sommes devant un fait indéniable : il existe des déchets. La question se pose de savoir qu’en faire ?
C’est un problème national qui doit être résolu sur le territoire national car la France a pris la décision de traiter les déchets qu’elle produit.
Conformément à la législation en vigueur, des recherches ont été entreprises par l’Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA) dans quatre départements dont les Conseils Généraux avaient donné un accord préalable : Le Gard, la Haute-Marne, la Meuse (ces deux derniers sites ont été réunis) et la Vienne.
Le Conseil Général de la Vienne a donné son accord à l’unanimité pour une prospection dans le sud du département (cantons de Charroux et de Civray), le 6 Décembre 1993.
D’autres pays (Canada, Suède, Suisse…) ont entrepris des recherches analogues. La Communauté scientifique internationale se communique régulièrement l’état des travaux en cours.
Introduction scientifique : la gestion des déchets
Les déchets sont de deux ordres : les uns ont une période radioactive de brève durée (30 ans et moins), les autres, moins nombreux, ont une durée longue, voire très longue (plus de 30 ans). Ces derniers posent donc la question aiguë de leur dépôt et de leur surveillance.
L’ensemble des déchets radioactifs produits actuellement par an en France représente environ 28 000 m3 (4 m x 80 m x 80 m).
Ces déchets proviennent à raison de 85 % des centrales de production d’électricité, des usines de production et de retraitement de combustible (Uranium 235, plutonium), et à raison de 15 % des radioéléments utilisés dans l’industrie, en médecine, dans les centres de recherche. 90 % sont des déchets dits de type A – à faible et moyenne activité et à « vie courte » – c’est-à-dire dont l’activité est en moyenne divisée par deux tous les cinq ans. Leur radioactivité sera en moins de 300 ans voisine de la radioactivité naturelle. Leur stockage jusqu’à décontamination complète s’effectue en surface dans des fûts en acier ou dans des containers en béton recouverts de bitume ou de béton. Ce stockage réalisé près de la Hague jusqu’en 1994, s’effectue depuis sur le nouveau site de l’Aube, d’une capacité de 1 000 000 m3.
Les 10 % de déchets restant soit environ 3 500 m3 sont des déchets « à vie longue ». Ces derniers comprennent d’une part des déchets dits de type B, à faible et moyenne activité, de l’ordre de 3 300 m3 par an, (3 m x 35 m x 35 m), d’autre part des déchets dits de type C à « haute » activité (200 m3 par an : 3 m x 8 m x 8 m) qui sont les plus délicats à gérer. Les déchets B, appelés aussi produits technologiques, proviennent principalement du retraitement du combustible usagé des centrales, de produits d’entretien et de la maintenance des diverses installations. Les déchets C correspondent aux « produits de fission » et à certains résidus des centrales ; ils constituent en quelque sorte les « cendres » des combustibles nucléaires.
Une centrale de 1 300 Mégawatts contient en effet en permanence environ 130 tonnes (7 m3) d’Uranium sous forme de pastilles d’oxyde enfermées dans des gaines métalliques. Chaque année, un tiers à un quart de cet Uranium est renouvelé, soit de l’ordre de 30 tonnes ; une centrale « brûle » à peu près un gramme de combustible par seconde.
Ces quelques 30 tonnes, extraites par centrale et par an, contiennent approximativement :
– 29 tonnes d’Uranium appauvri
– 300 Kgs de Plutonium formé en fonctionnement
– 1 tonne de « produits de fission »
– 25 Kgs d’éléments dits transuraniens.
Les 29 tonnes d’uranium et les 300 Kgs de Plutonium sont extraits et séparés par voie chimique puis retraités pour obtenir du combustible neuf. Les « produits de fission » et les éléments transuraniens constituent l’essentiel des déchets dits de type C. Ces derniers, après un certain temps de stockage sous forme de solution liquide dans des cuves métalliques à doubles parois sont compactés sous forme de blocs de verre coulés.
La question posée réside dans la gestion des produits B et C. Ces déchets « à vie longue » se différencient comme indiqué plus haut par leur activité. La radioactivité globale de ces déchets diminue d’un facteur 1 000 en 1 000 ans mais avec des différences considérables selon les éléments. D’autre part seuls les déchets C à haute activité et de durée de vie les moins longues dégagent véritablement de la chaleur. La puissance dégagée par les blocs de verre est initialement de 100 à 150 Watts par dcm3 ; 20 Watts au bout de 5 ans, 10 Watts après 30 ans.
Les études actuelles portent :
1°) Concernant les déchets B, sur la séparation poussée au maximum des différents déchets en vue de transformer la majorité d’entre eux par irradiation (transmutation) en déchets à « vie courte » stockables en surface.
2°) Concernant les déchets C, sur la séparation des produits de haute activité et de vie les plus courtes, qui dégagent de la chaleur mais qui disparaissent les premiers, des produits de vie plus longue, lesquels pourraient ensuite être stockés plus aisément sinon traités ultérieurement comme des déchets B.
La séparation par voie chimique, réalisée techniquement en laboratoire, pose actuellement des problèmes au niveau du passage à l’échelle industrielle. Des solutions devraient être trouvées et développées à échéance de 20 à 30 ans.
La transmutation, qui consiste à irradier les produits afin de les transformer en produits à durée de vie plus courte, pourrait être réalisée dans des réacteurs type Super Phénix, ou dans des accélérateurs de particules de très forte énergie, en alternant les séquences d’irradiation et de retraitement. On peut penser qu’à échéance de 40 à 50 ans la quantité des déchets à stocker de longue période et de faible et moyenne activité pourrait être ainsi réduite d’un facteur 100.
La troisième voie d’étude actuelle est celle du stockage souterrain profond par confinement géologique des déchets ultimes à longue période (quelques milliers d’années). Les deux voies séparation-transmutation d’une part, stockage d’autre part ne sont en effet en aucune façon exclusives. Il est inévitable qu’une quantité, fortement réduite, de déchets B et C non transmutables subsiste dans tous les cas.
D’autres procédés peuvent être imaginés à plus ou moins long terme, tels que l’envoi dans l’espace. On doit objectivement souligner qu’en matière de retraitement, c’est-à-dire de récupération optimale à partir du combustible usagé, la France se situe actuellement au tout premier rang : ce retraitement a pour conséquence de réduire considérablement le volume des déchets à gérer.
1- Quelles recherches et quelle morale ?
1. Le traitement de déchets nucléaires à vie longue fait l’objet d’études approfondies qui relèvent de plusieurs disciplines scientifiques. Leur gestion dépend, en France, d’un encadrement juridique strict, en particulier par la loi du 30 décembre 1991. Il concerne :
a) Le stockage souterrain. (en 15 ans de recherche – 1991 – 2000 -, 4 milliards sont prévus).
b) La réduction de la nocivité et de la durée de vie de ces déchets (transmutation) (4 milliards 200 millions sur 15 ans).
c) Le conditionnement et le stockage en surface – ou à faible profondeur. (3 milliards 800 millions sur 15 ans).
2. Au sujet du stockage souterrain qui est un « confinement en profondeur », il convient de rappeler un principe fixé par la loi du 30 décembre 1991 et de discerner deux phases bien distinctes :
• le principe : le stockage souterrain de déchets ne peut s’effectuer qu’avec une autorisation délivrée par une administration de l’Etat. La loi n’autorise le stockage souterrain de déchets de toute nature que pour une durée limitée. Seule une nouvelle loi pourrait autoriser certains stockages pour une durée non limitée.
• Les deux phases :
a) La phase des études qui comprend la création de deux, voire trois laboratoires souterrains et la réalisation de tout un programme d’études et d’essais pendant plusieurs années. Dans ces laboratoires, l’entreposage ou le stockage des déchets radioactifs est interdit par la loi. Seules des sources radioactives peuvent être temporairement utilisées dans ces laboratoires souterrains en vue de l’expérimentation.
b) La phase de stockage, dans un centre de stockage dont les caractéristiques seraient déterminées à l’issue des études et essais réalisés dans les laboratoires. Ce centre de stockage ne pourrait être réalisé qu’après le vote d’une nouvelle loi par le parlement.
La première phase est donc celle qui nous interpelle concrètement aujourd’hui dans la Vienne ; elle est elle-même divisée en deux étapes :
. La première concerne l’acquisition des connaissances permettant d’entreprendre des recherches en vue d’un stockage sans risques majeurs ou graves. Ce sont des études théoriques ou expérimentales sur la nature des roches ou des argiles, sur le conditionnement des déchets, sur le comportement de ces déchets…
. La seconde concerne le passage en grandeur nature, afin de mieux suivre dans les faits, les effets d’échauffement sur les roches, les minuscules infiltrations d’eau… D’où la nécessité de créer deux laboratoires d’études géologiques afin d’expérimenter et de vérifier les résistances des roches, leur opacité à une diffusion radioactive… Après les travaux d’installation, il est prévu 8 ans d’études et d’examens dans ces laboratoires. Certains pays possèdent depuis 10 ou 15 ans de tels laboratoires.
Dans les prévisions actuelles, de trois sites étudiés sur le territoire français (dans l’argile ou le granit), on passera à deux ou trois laboratoires pour arriver à un site de stockage souterrain. Donc laboratoire n’équivaut pas à enfouissement.
3. L’ANDRA (Agence Nationale pour la gestion des Déchets RadioActifs) est une agence, un établissement public, de statut « EPIC » (établissement public à caractère industriel et commercial). Cette agence est placée sous la tutelle des ministères de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement. Elle est chargée par la loi des opérations de gestion à long terme des déchets radioactifs. Son statut d’EPIC lui permet d’avoir un budget autonome en recettes et dépenses ; ses recettes sont assurées par les producteurs de déchets nucléaires (on pourrait dire selon le principe pollueur = payeur). Elle est contrôlée comme tous les établissements publics par les services spécialisés des ministères de tutelle et par la Cour des Comptes.
4. Les opérations de l’ANDRA sont également surveillées par l’Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants, organisme dépendant du ministère de la Santé, et la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires (DSIN) qui dépend des ministères de l’Environnement et de l’Industrie.
5. Toute la phase d’étude est contrôlée par la Commission Nationale d’Evaluation, structure indépendante qui transmet ses conclusions à l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques. Cette procédure vise à assurer la transparence et la sécurité des recherches et des travaux.
Ces brèves remarques ne sont données qu’à titre de rappel d’informations largement diffusées.
*
* *
L’Eglise de Poitiers, comme l’expose le préambule, a été interpellée pour donner son avis sur les recherches effectuées par l’ANDRA dans le Sud de la Vienne. Il n’était pas question pour elle de répondre par « oui » ou par « non » dans le jour même. Pourquoi ?
1. Parce que le jugement moral est d’abord une activité de réflexion : de quoi s’agit-il ? en quoi cela concerne-t-il la vie des hommes ?
Si l’Eglise n’a pas compétence pour juger des connaissances scientifiques objectives, elle doit examiner dans quelle mesure les conséquences de la recherche scientifique mettent en cause la dignité, la liberté et l’avenir de l’homme et de la communauté humaine. Ce n’est pas tant la science comme telle qui est ici en cause, que ses applications techniques,et leurs incidences sociales, financières…
Il fallait commencer par s’informer et déterminer quels sont les véritables enjeux de cette question.
Faute de cette réflexion, l’homme risque d’être happé par des réactions émotionnelles d’autant plus vives que le jugement ne les maîtrise pas.
2. Parce que le jugement est oeuvre de discernement : toutes les recherches énumérées ne concernent pas l’humanité de la même manière. Il fallait donc retenir les véritables questions.
La morale n’est pas un dictionnaire où, au mot « nucléaire » on trouverait une bonne citation de l’Evangile. Elle demande de faire appel à des compétences, au dialogue et à des études.
La science elle-même ne s’arrête pas. Elle est en évolution permanente et on ne l’apprécie pas justement en l’enfermant dans un moment donné. Il fallait donc mieux connaître les orientations des recherches en cours, leur marge de certitude et d’inconnu.
3. Parce que les populations concernées sont divisées sur ce sujet : les uns acceptent volontiers les recherches en vue de l’installation d’un laboratoire, d’autres s’y opposent fermement.
La morale s’attache aux raisons de ces positions : en effet, on peut être pour ou contre une décision pour des motifs peu louables et non avoués.
Dans ce contexte, il a été constitué un groupe de travail composé de scientifiques reconnus par leurs pairs, de personnes connaissant la fonction publique et de personnes critiques sur le projet de stockage souterrain de déchets nucléaires dans la Vienne.
Les réflexions du groupe se sont appuyées sur les données scientifiques actuelles. Elles se sont inspirées de la Révélation chrétienne. Donnée par Dieu à l’humanité, la terre que travaillent les hommes est à la fois la source de leur subsistance et le moyen d’établir une solidarité à travers l’espace et le temps. Le Pape Jean Paul II le rappelait :
« L’énergie est un bien universel que la divine Providence a mise au service de l’homme, de tous les hommes, quelle que soit la partie du monde à laquelle ils appartiennent, et il nous faut penser aussi aux hommes de demain, car le Créateur a confié la terre et la multiplication de ses habitants à la responsabilité de l’homme.
J’estime qu’on peut considérer comme un devoir de justice et de charité l’effort résolu et persévérant accompli pour ménager les sources d’énergie et respecter la nature, non seulement pour que l’ensemble de l’humanité d’aujourd’hui puisse en profiter, mais aussi les générations à venir. Nous sommes solidaires des générations à venir. Et j’espère que les chrétiens, mus de façon particulière par la reconnaissance envers Dieu, par la conviction du sens de la vie et du monde, par l’espérance et par une charité sans limite, seront les premiers à apprécier ce devoir et à en tirer les conséquences. »
(Discours du 14 novembre 1980, aux savants participant à la semaine d’études de l’Académie Pontificale des Sciences sur le thème « Energie et Humanité ». Documentation Catholique, 14 janvier 1981, n° 1799, p. 12).
Au cours de longs échanges, le groupe a retenu six questions morales :
I – La vie en démocratie
II – Une dimension symbolique
III – La maîtrise de l’avenir
IV – Le respect des générations futures
V – Les aspects financiers
VI – Le contexte local
Chaque question a été examinée. Des arguments pour ou contre tel ou tel avis ont été pesés. Est donc présentée ici une estimation morale sur ces six points.
A. La vie en démocratie
La Loi prévoit une concertation avec les élus et les populations des sites concernés. La phase de recherche (forages multiples) a donné lieu à une concertation avec les élus et à des initiatives ponctuelles. L’établissement d’un laboratoire exigera une enquête publique, comme pour tous travaux importants. Se posent ici deux questions :
1. Pour donner un avis éclairé, la population et ses élus doivent pouvoir disposer des éléments d’information nécessaires. Des opérations de relations publiques ne peuvent suffire pour répondre aux attentes légitimes des populations dans ce domaine, vu l’importance du problème.
Dans les problèmes en cours, la technicité est telle que des compétences multiples sont en cause. Les personnes concernées ne possèdent pas toutes un savoir à la hauteur des sciences et des techniques qui interviennent dans le projet. C’est pourquoi la possibilité de poser, sans honte, toutes les questions et d’obtenir, sans mépris, toutes les réponses, est une condition de la vie en démocratie.
Un dialogue résolument ouvert et respectueux reste la condition pour que s’instaure la confiance. Même si les avis divergent, la confiance peut être partagée quand chacun est sûr de la sincérité de l’autre, que chacun fait de son mieux pour communiquer de bonne foi ses connaissances ou ses convictions.
Sinon le manque de confiance entraîne une rétention de l‘information d’où une méfiance plus grande. L’exigence de la morale demande ici une totale transparence.
2. La vie en démocratie appelle un très grand respect de ceux avec qui l’on vit, surtout si on ne partage pas leurs opinions. La culture des grandes entreprises travaillant à un tel projet doit s’adapter à la culture et aux mentalités des habitants des régions où elles ouvrent un chantier. La séparation est, au départ, très grande entre les deux cultures dont chacune exprime un aspect des multiples richesses de l‘homme. Réciproquement, chaque citoyen possède le devoir de s’instruire pour donner un avis sincère.
Les élus locaux, régulièrement désignés par le vote, sont placés entre la population et les agents des entreprises qui viennent travailler. Leur situation est délicate. Ils sont les représentants de toute leur circonscription. Ils ont la charge du bien commun. Toute pression indue, à plus forte raison toute menace (anonyme souvent), ne sauraient être tenues pour acceptables en morale.
3. Peut-on dire que s’opposent ici l’intérêt général et l’intérêt des individus ? Oui, mais d’une manière très particulière. En effet, nous ne sommes pas seulement devant les droits de telles ou telles personnes, sauf, par exemple, s’il faut procéder à une expropriation de terrain. Mais l’intérêt de la nation de gérer convenablement les déchets nucléaires, rencontre inévitablement les intérêts d’une région : certains habitants y voient des avantages, d’autres sont plus attentifs aux inconvénients et aux risques. En outre, l’intérêt actuel de la nation doit chercher à se concilier au mieux avec les intérêts prévisibles des générations futures.
Pour concilier ces différentes approches, il est essentiel en démocratie que l’Etat, en tant que gardien et gérant du bien commun, demeure le responsable ultime de la gestion des déchets nucléaires. Sous son contrôle, la sécurité devrait être assurée de manière plus suivie, la surveillance mieux garantie : la permanence de l’Etat l’oblige à respecter les décisions prises. Surtout, l’Etat protège davantage de toute déviation vers une rentabilité économique immédiate consécutive à des décisions aléatoires, rentabilité dans laquelle des groupes privés risqueraient de succomber par souci d’économie, par allégement des normes de sécurité, voire par des politiques contradictoires qui affecteraient la sécurité générale.
En conclusion de ce point, le problème des recherches en vue d’un laboratoire de stockage oblige à vivre plus et mieux la démocratie au plan local, à travers un dialogue permanent et ouvert et dans un respect mutuel sans faille. La clarté de ce dialogue conduit à l’élargir à l’ensemble des populations concernées et à tous les éléments du dossier.
B. Une dimension symbolique
Revenons sur la dimension symbolique de ce problème, c’est-à-dire sur sa dimension humaine qui dépasse, de loin, la seule approche scientifique. Cette dimension comprend des sentiments, des réactions qui peuvent paraître excessives mais qui n’en sont pas moins réelles et qu’il convient de prendre en considération. C’est ainsi que les opposants au projet de laboratoire s’estiment méprisés et s’étonnent de la rapidité des décisions, craignant d’être entraînés dans un engrenage.
On peut rejeter ces positions, mais ce refus ne tient pas assez compte d’un facteur important.
1) Deux cultures sont ici en présence :
– L’une scientifique, donc rationnelle, même si les savants se gardent de tout triomphalisme, faisant au mieux avec les connaissances d’aujourd’hui.
– L’autre, à travers des réactions émotionnelles, s’attache aux aspects symboliques, ce qui est loin d’être irrationnel. La façon de poser le problème lui paraît significatif : on parle « d’enfouissement », de « déchets »… alors que c’est surtout la longue durée qui inquiète, puisqu’elle met en cause nos descendants.
2) La longue durée soulève des questions humaines. Sans jouer sur les mots, on « enterre » des matières dangereuses. On veut s’en débarrasser définitivement. N’est-ce pas une façon « d’enterrer » le problème, ou, quoi qu’on en dise, de le léguer à nos successeurs ?
Comment donc laisser ouvertes les questions que nous ne résolvons qu’imparfaitement ? Laisser une question ouverte est aussi une façon d’exercer ses responsabilités.
Tenter de prévoir pour une longue durée, place devant la non-maîtrise de l’avenir. Nous pouvons, à la rigueur, envisager des solutions à 50 ans, voire 100 ans, mais au-delà l’imagination fait défaut. La science peut-elle « prédire » les événements sur une aussi longue période ? Comment dès lors prendre une décision ?
3) Les déchets nucléaires : les psychologues pourraient nous dire des choses sur la façon dont les hommes se situent par rapport à leurs déchets. Déjà les « décharges » des déchets des familles ou de l’industrie posent de redoutables questions. Ce qui est vrai pour un individu, pour une ville, est une réalité que notre société elle aussi doit gérer pour ses propres déchets, avec des réactions qui s’enracinent dans l’inconscient.
Quand il s’agit de déchets nucléaires, on touche au domaine où sont en cause la science la plus pointue et la technique la plus exigeante au plan de la sécurité. C’est aussi le domaine où la menace due aux applications de la science est ressentie comme la plus grande (Hiroshima et Tchernobyl). La science, pour résoudre le problème des risques de ses propres dérapages, est alors récusée. Quelle fonction lui attribuer dans l’avenir de l’humanité ?
Il semble que ces deux approches, ou ces deux cultures, soient nécessaires.
Le problème technique ne peut être résolu qu’en fonction des connaissances scientifiques d’aujourd’hui.
Le problème humain ne peut recevoir de solutions satisfaisantes que si un effort est fait pour :
– situer et analyser les peurs et les anxiétés légitimes.
– se laisser interroger par les questions qu’elles posent : celles-ci sont symboliques de la condition humaine.
– échanger des paroles sincères en acceptant toutes les questions sans à priori.
Les réactions émotionnelles sont constitutives et utiles à l’ensemble de la démarche humaine, y compris à l’application des sciences, pour ne pas aborder ces questions sous le seul angle technique.
C. La maîtrise de l’avenir
De multiples questions se posent ici, que nous distinguons par souci de clarté.
1. Le nucléaire est-il suffisamment maîtrisé pour qu’on puisse stocker les déchets nucléaires en profondeur sans risque ? On raisonne dans le cadre de ce qu’on sait faire aujourd’hui. Mais on a ainsi raisonné à propos de l’amiante dont on s’est, après coup, aperçu des nuisances. L’objection n’est pas sans valeur. Cependant :
a) La conscience ne saurait se satisfaire d’un pari sur l’avenir, par exemple en disant : aujourd’hui, on ne sait pas faire, mais demain on saura. Cette anticipation n’est acceptable que si les dangers de demain sont moindres que les dangers d’aujourd’hui.
b) A cette question, les scientifiques consultés estiment que le nucléaire est une réalité suffisamment connue pour qu’on puisse en stocker souterrainement les déchets dans les conditions prévues pour cela. La science ne progresse pas dans un système stable et continu. Elle ne peut jamais assurer une fiabilité totale. Ses avancées conduisent à poser en termes nouveaux les problèmes. On arrive cependant à estimer les risques encourus. De l’avis majoritaire au sein de l’OCDE, (Organisation de Coopération et de Développement Economique), l’enfouissement est la moins mauvaise solution. Même la transmutation laisserait des déchets à gérer.
2. Le suivi des déchets nucléaires confinés sous terre demande précisément la construction d’un laboratoire d’études. Cette construction intègre en effet la durée dans la recherche et adapte cette recherche à l’évolution des connaissances comme aux progrès d’autres traitements des déchets nucléaires.
Le stockage en surface reste plus aléatoire en ce qu’il demande une surveillance continue contre davantage de risques et une place plus exposée aux aléas de la vie.
3. Un problème surgit ici : celui des experts. La qualité d’expert demande que soient réunies quatre conditions :
– avoir des titres scientifiques officiels dans une discipline précise.
– exercer longuement la science concernée, selon une expérience tenue à jour.
– être intégré aux débats de la communauté scientifique internationale dans sa discipline.
– parler au titre de sa discipline particulière et non par transfert dans une autre compétence. Il n’est pas conforme à la morale de se présenter comme expert indépendant de toute appartenance scientifique reconnue ou d’intervenir à un titre dit scientifique dans une autre discipline que la sienne.
4. Comme pour les cultures d’entreprises, il s’agit de relier une chaîne humaine d’experts à une chaîne d’habitants. Car la responsabilité ultime est politique et ne saurait être déléguée à d’autres instances, fussent-elles composées de savants. La science apporte les cadres de faisabilité, la politique décide au nom du bien commun. La séparation de ces pouvoirs – mais non leur ignorance mutuelle – est ici requise.
En conclusion de ce point, la morale demande que, dans les conséquences de l’emploi civil de l’énergie nucléaire, comme pour les autres sources d’énergie, tous les éléments d’appréciation soient disponibles pour les citoyens, de manière fiable et compréhensible. Une politique du silence, ou une information déviée, ne serviraient pas le droit de chacun à connaître ce qui concerne son existence.
Elle demande aussi que soit vérifiée la crédibilité des arguments avancés et soit maintenue une solidarité humaine pour une décision politique.
D. Le respect des générations futures
Déjà ce problème a été abordé. Trois questions se posent ici.
1. Sur la fiabilité (assurée autant qu’il est possible) du caractère imperméable des roches, de leur stabilité. Tout doit être entrepris pour maintenir à jour la connaissance de l’évolution des roches et des déchets enfermés : c’est la question de la surveillance. Par là est suggérée toute amélioration dès qu’elle est techniquement réalisable. Il s’agit ici de maintenir et d’améliorer les normes de sécurité.
Il convient de noter que le nucléaire n’est qu’un cas parmi les autres déchets dangereux, parmi les substances chimiques toxiques non-recyclables.
2. Moralement, celui qui cause un dommage est tenu de le réparer. Notre génération produit des déchets nucléaires : elle a le devoir de s’en occuper au mieux de ses moyens. Le souci des générations à venir demande qu’on ne leur laisse pas en plus à gérer des déchets que nous aurions abandonnés. Nous ne pouvons laisser à demain une responsabilité que nous aurions refusé de prendre aujourd’hui devant des objets dangereux dont il faut nous occuper. Ne rien décider serait une lâcheté !
3. Le dernier problème concerne celui de la réversibilité ou de l’irréversibilité du stockage souterrain. Ce problème est distinct de celui du laboratoire d’études.
Est réversible le stockage souterrain dont on peut sortir des éléments ou la totalité. L’inconvénient réside dans le point faible qu’est l’accès. L’avantage est de pouvoir pallier un accident ou bénéficier de nouvelles découvertes.
Est irréversible le stockage complètement confiné et sans accès possible. Ce mode de stockage est le moins sensible aux effractions. Mais il gèle toute amélioration dans la gestion des déchets nucléaires.
On peut d’ailleurs envisager un stockage réversible pendant un certain temps et rendu irréversible.
Rappelons que la loi, pour l’instant, ne prévoit d’autoriser que des stockages réversibles. Ceci permettrait de laisser la voie ouverte à de nouvelles techniques de traitement.
En conclusion de ce point, la morale attend que notre génération laisse à ses descendants une situation la plus saine possible. On ne doit parier ni sur des progrès scientifiques décisifs qui peuvent être longs, ni sur une stabilité du contexte politique et social pour garantir des siècles de tranquillité.
E. Les aspects financiers
Les études demandent de l’argent. Pour assurer dans l’avenir une sécurité incontestable, donc une surveillance, il faut que la puissance publique s’engage à maintenir le budget nécessaire, soit par le moyen d’agences non-administratives, soit par le budget public.
Par analogie avec les grands travaux entraînant des nuisances, de l’argent est officiellement versé aux communes des deux cantons concernés, pour les dossiers retenus par une commission administrative. Les sommes attribuées sont rendues publiques par voie de presse.
Il faut veiller à ce que l’argent ainsi distribué pour le développement de la région concernée, laisse les consciences suffisamment libres pour juger sereinement du problème des déchets nucléaires.
L’Evangile rappelle aux chrétiens la nécessaire liberté d’appréciation devant l’usage de l’argent. Cette attention devrait concilier aussi le développement d’un pays selon les normes françaises et européennes avec la liberté d’esprit devant le pouvoir de l’argent.
Si le laboratoire est implanté dans le Sud de la Vienne, il occupera des terres. La législation en vigueur demande que les droits des exploitants agricoles soient respectés. Des emplois seront créés : on peut demander que la population locale, où sévit le chômage, soit en premier concernée.
Pour garantir l’avenir, il convient d’en prévoir les moyens : des provisions ont été constituées à cet effet.
La morale ne peut ici que rappeler le devoir de transparence et de rigueur.
F. Le contexte local
Le dernier point concerne non plus le traitement des déchets nucléaires, mais la situation particulière de cette région.
1. Il faut comprendre l’émotion ressentie par certaines personnes. Dans le même arrondissement, deux décharges de grande taille reçoivent les ordures de villes importantes. On pense y mettre aussi les déchets nucléaires. Certes, il est possible que la roche le permette. Mais si le projet se réalise et même s’il donne une impression de technicité propre, la région peut subir aux yeux de certains une image dévaluée. L’environnement des collines et des arbres peut être respecté, l’eau purifiée : tout cela est surveillé de près. Mais la fierté d’un pays tient aussi à sa réputation et sa réputation provient en bonne part de ses activités. Des habitants sont sensibles à cet aspect.
Ce point n’est pas secondaire. Il mérite d’être pris en considération pour rechercher si d’autres activités que celles-là ne pourraient pas participer au développement local.
2. Nous avons tous à apprendre à vivre le pluralisme. Des personnes ont légitimement le droit d’avoir et de défendre des avis différents les uns aux autres. Cela n’est pas une raison pour diviser une commune, rompre une association, cesser de se parler. L’entente entre les hommes est un bien supérieur aux arguments. Toute division affaiblit. On peut avoir des discussions vives, des oppositions radicales : le respect de l’autre doit rester entier.
Ce point est particulièrement vrai pour les Communautés chrétiennes. L’unanimité n’est pas forcément une qualité. Des chrétiens sont d’avis différents en cette matière : c’est leur droit. Saint Paul rappelait déjà que la charité seule construit.
3. Quelle que soit la décision prise, il convient de faire en sorte qu’il n’y ait ni perdant ni gagnant. Raisonner en vainqueurs et vaincus ne signifie rien : c’est une régression humaine.
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Parler de morale en ce domaine concerne, on le voit, bien des aspects de la vie des hommes. La morale prend en considération tous ses aspects. C’est vrai pour l’utilisation du charbon ou de l’électricité. La première est, on le sait, éminemment polluante et on en a si peu parlé…
Mais le nucléaire fait peur. le problème n’est évidemment pas ici celui de son utilisation militaire, mais bien celui du traitement des déchets laissés par diverses utilisations du nucléaire. La réprobation liée à l’usage militaire ne saurait englober de même façon l’utilisation industrielle et pacifique. De toute façon, il faut trouver une solution pour ces déchets : c’est notre responsabilité pour l’avenir.
En conclusion, le groupe de réflexion insiste sur les points suivants :
1. La responsabilité d’aujourd’hui est de faire ce qu’on peut aujourd’hui pour traiter la question des déchets nucléaires, sans les abandonner à demain.
2. La solution demande une concertation sur la base d’informations communes et du dialogue confiant.
3. La transparence est nécessaire pour le respect des personnes et dans l’emploi de l’argent.
4. Il convient de respecter les étapes prévues :
– l’analyse géologique
– la décision politique de construire un laboratoire dans le Sud de la Vienne
– la création d’un lieu de stockage souterrain qui est une autre question.
Il ne faudrait pas lier nécessairement le laboratoire et le site de stockage, distinction prévue par la loi.
Le jugement moral passe ici par le biais du jeu démocratique.
5. Si les avis différents s’expriment à bon droit, on doit attendre que cela se fasse dans le respect des personnes. Entrer dans le cercle infernal de l’illégalité et de la répression ne conduit en l’occurrence qu’à une impasse. Mais le cadre démocratique reconnaît le droit à l’opposition et à la manifestation de cette opposition.
6. Le jugement fondé en raison permet l’exercice de la morale, par-delà les émotions et les peurs. Il serait excessif qu’à « l’impérialisme de la technique » s’oppose une « tyrannie de l’écologie« . Ces deux expressions entendues montrent la gravité d’une fracture entre les hommes qu’aucune morale ne saurait accepter.
Car ces deux comportements excessifs se renforcent l’un l’autre : les extrêmes figent une situation. La démarche éthique s’attache à concilier ce qu’il y a de juste dans chacune des deux visées : la technique est faite pour l’homme et l’écologie elle-même doit être au service d’un environnement de l’homme. Sans cesse, l’homme est obligé de composer avec des nécessités parfois contraires. Il est donc conduit à équilibrer les solutions qu’il avance.
7. La morale demande que soient respectés ces critères. Les prises de position, en faveur du stockage souterrain ou contre lui, dépendent ensuite de la valeur des arguments objectifs avancés, permettant à chacun de prendre une position fondée.
3- Conclusion : et maintenant ?
Cette réflexion a été rédigée au mois de mai 1996, alors que l’ANDRA remet ses conclusions géologiques sur ses recherches dans le Sud de la Vienne. Très rapidement résumées, elles font apparaître :
– Un bloc de granit homogène ancré sur 15 kilomètres de profondeur, protégé de l’érosion par une couverture sédimentaire pendant 150 millions d’années.
– Les forages profonds ont découvert un peu d’eau, mais de l’eau fossile, eau météorite (de pluie) plus ou moins enrichie de sels minéraux au fil des millénaires. Cette eau piégée à peu près au moment de la mise en place du granit n’a pas bougé. Ce fait plaide en faveur de la fiabilité de la roche.
Le Gouvernement sera appelé à se prononcer par décret à l’été 1996 sur les sites où proposer l’installation de deux laboratoires d’études. De nombreux avis interviennent, dont ceux de la Commission Nationale d’Evaluation, des Commissions Techniques des Ministères de l’Environnement, de l’Industrie et de la Recherche…
La population sera consultée dans un rayon de 10 km autour du lieu préconisé, soit, pour la Vienne et un peu pour la Charente, 21 communes concernées. Puis voteront le Conseil Général et le Conseil Régional.
Ce n’est qu’ensuite que sera envisagée l’installation d’un laboratoire dont la réalisation puis le travail de recherche s’étendront sur une dizaine d’années.
Une autre procédure prévue par la loi déterminera ensuite si oui ou non un stockage souterrain sera effectué.
Notre population a donc devant elle des années de réflexions, d’échanges et de recherches. Dans la légitime diversité des opinions, nous invitons fortement chacun à vivre ce temps dans le respect mutuel, le respect de la vie en démocratie et, pour les chrétiens, avec un souci aigu de la charité qui seule édifie. Il y a aussi un enjeu important dans la manière de vivre ensemble ce projet. Car la dignité de l’homme, si elle interroge sur la qualité de l’avenir, demande aussi de vivre dès aujourd’hui dans le plein respect de chacun.
Il convient de rappeler que l’Eglise ne fonctionne pas comme un groupe de pression parmi d’autres. La diversité des opinions des chrétiens sur de tels sujets l’oblige à gérer ses propres différences internes, donc à approfondir sa réflexion. L’Eglise ne raisonne pas comme un groupe clos, elle doit entendre ici des avis diversifiés, au nom du Christ Sauveur de tous les hommes.
Aussi ces « Réflexions éthiques » ne raisonnent pas en « permis et défendu », ce qui serait par trop réducteur. Elles indiquent les conditions d’un avis éthique plus qu’elles ne déclinent un jugement raisonné . Elles laissent à la responsabilité politique la charge de construire une décision qui tienne compte le mieux possible de tous les facteurs indiqués.
Cette approche demande évidemment que la réflexion de chacun puisse être nourrie d’informations fiables, éclairée par des dialogues confiants et accompagnée par ceux qui ont une responsabilité pastorale. En effet,chacun exprime son avis, mais une parole d’Eglise a pour objet de mettre en rapports, en relation, les différents points de vue. Elle aide à ce que les uns se posent les questions des autres, non par une réponse en « oui » ou « non », mais par une recherche commune vers une terre plus humaine
ANNEXE
Déchets radio-actifs : quelques références pour continuer la recherche
* En matière d’éthique et de morale :
– Fondements environnementaux et éthiques de l’évacuation géologique AEN,OCQE 1995.
– Pour une éthique de l’énergie nucléaire, Université Catholique de Lyon 1990.
– L’éthique de l’environnement et du développement. H. José-A. Prades. Que sais-je ? 1995.
– Loi n° 91 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs (NOR : INDX9100071L)