Patience et longueur de temps..

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Le document de travail qui avait été annoncé pour novembre dernier va finalement être publié le 20 avril 2012, après deux années de concertations. Issu du groupe de travail « Ecologie et Environnement » formé d’évêques, de théologiens et d’experts, présidé par Mgr Marc Stenger, le texte d’une trentaine de page est intitulé « Enjeux et défis écologiques pour l’avenir » et est publié en coédition par Bayard/Cerf/Fleurus-Mame. En voici le présentation par Mgr Stenger
Le modèle de croissance de la consommation des pays développés et depuis quelques années des pays émergents n’est pas « durable ». Il conduit à l’épuisement des ressources naturelles, au changement de climat, à la perte de la biodiversité et à la destruction des écosystèmes. De plus, avec l’augmentation des prix de l’énergie et des matières premières qu’il entraîne, il rend toujours plus difficile à de nombreux pays d’Afrique notamment, la sortie de la pauvreté. La question est grave et ouvre sur de grandes incertitudes et de profonds déséquilibres quant au devenir de nos sociétés.
 
En quoi cette crise écologique dans laquelle nous sommes entrés concerne-t-elle l’Eglise?  Certains, eux-mêmes engagés, attendent qu’elle dise quelque chose à ce sujet et trouvent qu’on ne l’entend pas assez. Quelle parole spécifique a-t-elle à proposer aux chrétiens et plus largement à tous ceux qui cherchent à définir de nouveaux modèles de développement? Une prise de conscience se fait jour: la solution de cette crise n’est pas à considérer seulement du côté des renouvellements technologiques, ni même des réorganisations économiques, elle est à chercher dans l’homme lui-même.
 
L’homme est au cœur de la nature. Nous chrétiens disons volontiers qu’il est acteur dans le projet créateur de Dieu. Ce qui veut dire en d’autres termes qu’il ne doit pas se contenter de subir les dégradations de l’environnement dans lequel il vit. Il est l’artisan de ce qu’il devient par ses choix de vie, par son rapport aux hommes et aux choses et par la vision de l’avenir qu’il développe. Il l’est aussi par sa volonté de maîtriser l’usage qu’il fait des biens dont il dispose, et par son attention à ne pas accaparer pour lui-même ces biens, mais à les partager avec ses frères humains, actuels et ceux des générations futures.
 
Cette responsabilité implique que l’Eglise ne doit pas se limiter à faire des discours généraux sur l’importance de se préoccuper de « développement durable ».  Elle a aussi quelque chose de fort à dire et doit dire quelque chose de fort sur l’homme et sa manière d’être au monde, sur l’usage des ressources dont il peut disposer, sur la solidarité à laquelle il est appelé avec ses frères humains. C’est ce que le pape Benoît XVI désigne sous le terme de « développement humain intégral »[2].
 
L’homme n’a-t-il pas vocation à être autre chose qu’un grand prédateur à l’égard de la nature et des ressources mises à sa disposition? N’a-t-il pas vocation à devenir un protagoniste de la construction d’un monde différent, juste, équilibré, harmonieux, respectueux de la nature et des hommes ?
 
Pour  répondre à ce questionnement, l’Eglise peut puiser dans l’expertise qui est la sienne, issue de sa tradition et de sa théologie de la création. Elle ne peut certes pas apporter des réponses scientifiques et techniques aux grands problèmes environnementaux d’aujourd’hui; ce n’est pas de sa compétence. Mais elle peut accompagner les réflexions de ceux qui œuvrent au plan scientifique, économique, politique, pour rappeler la priorité de la dignité de l’homme, sa stature de créature responsable de son intégrité et de sa croissance, en solidarité et non pas en supériorité avec la nature qui l’environne et avec les autres hommes.
 
C’est pour répondre à cette attente que les évêques de France, à travers leur comité « Etudes et projets », ont choisi de susciter un groupe de travail sur « Ecologie et Environnement ». Pendant deux ans, réflexion, dialogues avec les experts, débats entre évêques ont nourri les travaux de ce groupe qui avait pour mission de donner aux acteurs pastoraux des pistes de réflexion et d’engagement dans leur travail quotidien. Il est apparu au groupe « Ecologie et Environnement » qu’au terme de ces deux années il ne pouvait déposer que des conclusions provisoires et modestes. Elles sont la matière du document que vous avez entre vos mains et qui comporte trois parties :
         L’exposé des repères théologiques qui fondent et conduisent notre réflexion sur la manière dont l’homme est appelé à se situer dans le monde qui l’environne.
         Les conséquences pratiques qui peuvent en être tirées.
         Une dimension spirituelle : Convertir notre rapport à la nature, à l’homme, à Dieu
Il n’en reste pas moins que si elles sont modestes, ces conclusions doivent être claires et engagées. J’en citerai cinq :
 
            1) Il ne faut pas que ce moment de réflexion et de débat ne soit qu’un feu de paille sans débouché en raison de la difficulté à aboutir. Une résolution a été prise au terme de l’Assemblée des évêques en novembre : que la question écologique devienne une préoccupation permanente de l’Eglise de France :
          Le travail déjà amorcé sera repris, poursuivi et amplifié par le Conseil « Famille et Société » qui comprend depuis peu de temps un département « Environnement et Modes de Vie »
          Cette préoccupation a vocation à être portée à tous les niveaux de notre vie d’Eglise, au plan national, dans les diocèses, dans les communautés paroissiales, dans les mouvements et services. Se donner des moyens de prendre cette question en compte au plus proche du terrain est une manière de signifier aux chrétiens que l’engagement écologique n’est pas seulement un travail de spécialistes ou de passionnés, mais la responsabilité de chacun. C’est également l’occasion de se rapprocher d’autres acteurs de la société, eux aussi mobilisés sur les questions d’environnement.
2) L’apport spécifique d’une lecture chrétienne de l’écologie se situe dans un regard différent sur les grandes expériences constitutives de toute vie humaine, tels le rapport au temps, le rapport à l’espace et le rapport à autrui. Notre regard doit être inspiré par notre vision de ce qu’est l’homme dans le projet créateur de Dieu, vision qui est exprimée dans ce que nous appelons la « théologie de la création ». Le croyant doit savoir replonger son existence dans le don de vie qui lui a été fait et qui ne lui appartient en aucune manière. C’est un gage de liberté et de dépassement de toutes les contraintes immédiates qui pèsent sur l’homme, lui-même inscrit dans le temps, dans l’espace et dans un rapport avec autrui.
3) Une Eglise bien insérée dans le monde est une Eglise qui prêche d’exemple dans ses choix, dans ses actes, dans ses recommandations. Dès maintenant nous avons essayé de faire quelques propositions. Elles sont loin d’être suffisantes. Mais elles sont le signe des résolutions que toute communauté consciente des enjeux et des défis écologiques peut prendre. Elles se veulent incitation à  la créativité, au courage et à la persévérance des chrétiens.
4) Des questions graves concernant l’environnement agitent l’opinion et provoquent des débats – je citerai en particulier ceux qui touchent aux centrales nucléaires et aux choix énergétiques que nous faisons, mais aussi au changement climatique, à la biodiversité et à nos modes de consommation -. En la matière on ne saurait se contenter d’affirmations générales et il faut éviter toute surenchère politique. Mais l’Eglise, sans ignorer les enjeux économiques et sociaux de ces sujets, a le devoir de poser des questions suffisamment documentées pour permettre aux hommes de bonne volonté de dépasser les intérêts immédiats et de rejoindre l’intérêt de l’humanité et de son développement intégral.
5) Il n’était pas du ressort de notre groupe de travail de s’arrêter plus particulièrement sur la question du choix de l’énergie nucléaire. Celle-ci n’en est pas moins à inscrire dans les plans de travaux à venir de notre Eglise en France.
 
Au-delà de l’aspect technique et même théologique des questions de l’environnement, la place que l’homme prend dans le monde est une question spirituelle. Il est destinataire permanent d’un appel à « convertir » son rapport à la nature, à l’homme, à Dieu. C’est cela le plus structurant de ce qu’il est et le plus déterminant de son comportement.
 
 +Marc STENGER, Evêque de Troyes, Président du groupe de travail « Ecologie et Environnement » . 


[1] Le concept de développement durable a été formulé en 1987 sous le nom de développement « soutenable » dans le rapport Brundtland avec cette définition bien connue :  « Le développement soutenable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs »
[2] Encyclique « Caritas in veritate » 2009, §5, 9, 30, 34, 44, 48, 51, en particulier.

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