Et si les missionnaires avaient mis le feu aux poudres ?
Il est établi que les évangélisateurs du Nouveau monde ont été confrontés assez vite à des pratiques chamaniques impliquant le fait de fumer des produits aux étranges effets hallucinatoires. Des pratiques jugées d’un très mauvais œil, mais sans que ces mêmes missionnaires puissent arriver à empêcher les nouveaux convertis à arrêter leur pratique ordinaire de consommation de tabac. Finalement, ces volutes n’évoquaient-elles pas aussi celles de l’encens qui s’élevaient tout au long des liturgies solennelles ?
En fait, le tabac s’est avéré être aussi une formidable opportunité économique. Les Jésuites, au cours du XVI et XVIIe siècles, développèrent ainsi de larges plantations, tout comme bien d’autres congrégations implantées en Amérique centrale ou du Sud. Des habitudes de consommation qui vont accompagner aussi les missionnaires dans d’autres contrées, au point que certains chinois convertis au catholicisme étaient surnommés des « priseurs de tabacs » par leurs concitoyens.
Mais, en 1583, un synode à Lima dut cependant rappeler fermement que la consommation de tabac sous aucune forme n’était permise pour le clergé avant de célébrer la messe. Un rappel qui en dit long sur les pratiques en cours et qui fut appliqué dès 1588 à toutes les colonies espagnoles américaines. Tout cela n’empêcha pas à cette habitude nouvelle de consommation de se répandre aussi sur le vieux continent. Les effets « bénéfiques » du tabac étant bien sûr habilement mis en avant. La pratique de la « prise de tabac » notamment va se répandre grandement dans les milieux populaires et au sein du clergé. Outre la dimension de bien être, on y voyait aussi une forme de purge des sinus qui était annoncée comme favorable à la santé.
Il faudra des rappels, telle la bulle papale Cum Ecclesiae d’Urbain VIII en 1642 pour que soient menacés d’excommunication les consommateurs de tabac, tant cet usage tendait à s’infiltrer jusqu’au sein des églises et des mœurs ecclésiastiques. Une bulle renforcée par Innocent X et Innocent XI qui se plaignaient des outrages faits aux splendides bâtiments ecclésiastiques romains par les chiques et autres déchets de tabacs. Benoit XIII, plus pragmatique, leva l’excommunication pour permettre aux fidèles de demeurer aux célébrations, sans devoir sortir pour chiquer… Quant aux casuistes, restait la question du jeûne eucharistique : le grand Alphonse de Ligori, lui-même chiqueur de tabac à ses heures, semblait pouvoir affirmer que la prise de tabac ne constituait pas une prise d’aliments et ne rompait donc pas le jeûne qui devait précéder la communion aux Saintes espèces.
Et les catholiques, même les plus vénérables, ont pu en consommer d’une manière ou d’une autre, reflétant les évolutions sociales de leur temps. Ainsi, la grande Thérè
se d’Avila connaissait le tabac à priser, tout comme la petite Bernadette de Lourdes à qui on avait recommandé des prises de tabac contre ses crises d’asthmes. Idem pour Jean Bosco ou Philippe Neri, dont les procès de canonisation ont aussi étudié si leur consommation de tabac interférait ou non avec leur sainteté. Ou encore le curé d’Ars ou le padre Pio.
Quant à l’actuel pontife, il semble qu’il était, en son temps, un adepte de quelques Malboros bien fumées (ah, ces anciens professeurs de théologie des années 60′)… Une habitude qu’il a délaissé depuis, leur préférant sans doute les fumées blanches du Vatican.
DL
Source : d’après un article de John B. Buescher, Catholic world report