(suite de l’article de Jean Bastaire)
La compassion pour tous
Née de l’émerveillement, la fraternité suscite à son tour la compassion. Car comment ne pas être sensible à la misère du monde si on est sensible à sa beauté ? Qu’est-ce que la détresse de l’univers, sinon sa beauté méprisée, piétinée, massacrée ?
Les créatures s’agressent entre elles autant qu’elles se soutiennent. La discorde n’est pas moindre que la concorde dans les relations qu’elles entretiennent pour subsister. Elles ont perdu leur innocence originelle, leur incapacité de nuire selon l’étymologie du mot (nocere), si elles n’ont heureusement pas perdu leur capacité de communion dans un même service du Créateur.
L’homme compatit, « souffre avec » cette souffrance cosmique qu’il contribue pourtant à accroître pour une part essentielle. Cependant, à la différence des autres créatures, il peut en prendre conscience et l’éviter ou la limiter. La perte de l’innocence originelle peut le conduire à se reconnaître responsable.
Le chrétien écologiste exerce d’abord sa compassion envers son semblable. Mais il l’étend au-delà du cercle humain. Là encore il ne met pas toutes les créatures sur le même plan. Il observe une hiérarchie dans sa pitié, une hiérarchie correspondant à celle qui se manifeste dans le réel. Il reconnaît la bonté de toute créature pour ce qu’elle est et en prend soin sans arbitraire, selon la place qu’elle occupe dans le dessein créateur. Si son choix se porte d’abord vers l’homme et tout ce qui sert l’homme, c’est pour permettre à l’homme d’être le serviteur de tous. Il n’exploite pas l’univers à son seul gré. Il ne le met pas en valeur pour son seul usage et son seul plaisir, mais avant tout et à travers tout pour le plaisir de Dieu. Il travaille à la gloire de Dieu et panse les plaies de la création par amour du Créateur. Il ne vise pas le seul profit de ses semblables quand il combat la déforestation, la pollution des eaux et l’emploi des pesticides. Ce n’est pas par sensiblerie qu’il se mobilise contre la cruauté envers les animaux et qu’il dénonce par exemple l’élevage industriel 4. Il défend les intérêts de la communauté cosmique et de la communion universelle.
Convertir le panthéisme
Pareille attitude, qui unit sans les confondre la misère humaine et celle des autres créatures suscite bien souvent la peur : ne se rapprocherait-on pas dangereusement des eaux troubles de la deep ecology 5, ou, plus simplement, ne serait-on pas en train de tomber dans le panthéisme ? Pareille peur doit être écartée résolument : c’est l’écologie qui convertit aujourd’hui le panthéisme au christianisme et non l’inverse.
(à suivre)