(suite de l’article de Jean Bastaire)
Convertir le panthéisme
Pareille attitude, qui unit sans les confondre la misère humaine et celle des autres créatures suscite bien souvent la peur : ne se rapprocherait-on pas dangereusement des eaux troubles de la deep ecology 5, ou, plus simplement, ne serait-on pas en train de tomber dans le panthéisme ? Pareille peur doit être écartée résolument : c’est l’écologie qui convertit aujourd’hui le panthéisme au christianisme et non l’inverse.
Il y a là un « signe des temps » que les chrétiens ne doivent pas manquer. Le panthéisme revient en effet d’une manière impressionnante dans la culture contemporaine, qu’il revête son visage classique, dans le sillage d’une grande tradition, Spinoza par exemple, ou qu’il se réfère à la pensée de peuples plus archaïques. Le matérialisme, trop superficiel, ou le nihilisme, trop évasif, ne résistent pas à la pression de cette exigence d’un lien radical entre l’homme et le reste de la création, cette création dont l’homme ne peut s’extraire sans faire fi de sa condition même de créature. Qu’il le reconnaisse ou non, l’homme est comme tout le monde, comme tout ce qui est au monde.
On ne peut en douter. Mais ce lien radicaL qui renvoie à une racine naturelle commune, manifeste un autre lien proprement religieux. Étymologiquement, la religion n’est-elle pas ce qui relie ? Cette considération ne conduit pas nécessairement à penser que tout est Dieu, que tout est de nature divine.
La foi chrétienne confesse au contraire que tout est en Dieu, et vient de Dieu, est créé par Lui. Cette affirmation n’est en rien contraire avec l’abîme ontologique séparant Celui qui est et ceux qui reçoivent de lui l’être, par mode de création ex nihilo qui exclut tout émanationnisme. Au panthéisme qui, croyant les magnifier, absorbe les créatures dans le Créateur, s’oppose le panenthéisme 6 qui atteste l’altérité fondamentale des créatures à l’intérieur de Dieu, leur source et leur fin, qu’elles exaltent par toute leur dépendance d’être. Le panenthéisme exorcise le panthéisme, le baptise en quelque sorte, le convertit en retournant le culte de soi qui auto divinise chaque créature et l’ensemble des créatures en un culte de Dieu qui restitue au Créateur la divinité qui n’appartient qu’à lui et dont il rend seulement les créatures participantes.
Cette conversion du panthéisme au panenthéisme permet de dégager à nouveau dans toute sa plénitude la dimension cosmique du salut, certes confessée dans l’enseignement catéchétique et liturgique, mais sans trop y prendre garde, comme si au mieux on en renvoyait la méditation à plus tard, au pire on y renonçait sans le dire.
Pourtant, « si nous voulons comprendre à nouveau le christianisme et le vivre dans toute son ampleur, il nous faut impérativement retrouver la dimension cosmique de la révélation chrétienne 7 ». Qu’est-ce à dire ?
Un salut aux dimensions cosmiques
Le christianisme écologique porte à son maximum cette responsabilité humaine à l’égard de l’univers en donnant plein droit aux affirmations étonnantes de l’apôtre Paul qui confèrent à la dimension cosmique du salut un pathétique extrême qu’on aurait pu croire réservé au seul salut humain :
La Création tout entière gémit, dit Paul aux Romains, et passe par les douleurs d’un enfantement. Elle aspire de toutes ses forces à voir la révélation des fils de Dieu. Car elle a été livrée au pouvoir du néant non parce qu’elle l’a voulu, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage et de la dégradation inévitable, pour connaître la liberté et la gloire des enfants de Dieu. (Rm 8,19-22)
(à suivre)