Stephen N. Rooney travaille pour le Jesuit European Social Centre. A ce titre, il publie pour europinfos, le mensuel de la Commission des Conférences épiscopales de l’UE, une analyse sur la transition énergétique et les propositions européennes pour les sommets climatiques à venir. Avec comme question de fond : « la Commission choisirait-elle la facilité ?«
L’annonce tant attendue de la Commission européenne, le 22 janvier, au sujet de son Cadre pour 2030 concernant les politiques climatique et énergétique n’a pu se faire à la conférence de presse qu’après un retard de 40 minutes car les désaccords à huis clos ont eu pour conséquence que les négociations entre les factions aux vues divergentes — au sein de la Commission ainsi qu’entre les Etats membres — se sont conclues à la dernière minute. Ce paquet législatif sur le climat et l’énergie à l’horizon 2030, qui est l’initiative historique la plus importante en matière de climat à être publiée à Bruxelles depuis 2008, avait fait surgir l’espoir, même ténu, de l’annonce de mesures audacieuses et ambitieuses. L’Union européenne, qui est la première à définir ses objectifs de réduction d’émissions avant ce qui sera une assemblée cruciale des gouvernements à la 21ème Conférence des Parties (COP 21) de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) à Paris en décembre 2015, avait ainsi l’occasion de montrer l’exemple.
Le « Cadre pour les politiques en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030 » cherche à développer le Paquet Climat-Energie pour 2020 tout en intégrant les ambitions de la Feuille de route pour l’énergie à l’horizon 2050. Toutefois, comme beaucoup l’avaient prévu, il s’est avéré – lorsque l’annonce a finalement été faite et que les détails des propositions ont été connus – que les propositions essentielles de la Commission européenne n’étaient ni impressionnantes ni révolutionnaires. L’objectif visant à réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre au sein de l’Union européenne par rapport au taux de 1990 était bien inférieur à la réduction de 60% qu’appelaient de leurs vœux de nombreux scientifiques spécialistes du climat ainsi que les défenseurs de l’environnement. Friends of the Earth s’est empressé de signaler que les données produites par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’Agence internationale de l’Energie (AIE) et la Commission européenne montraient que la réduction des émissions de 40% signifiait qu’il y avait 50% de chances que la promesse du Président Barroso de maintenir la hausse des températures à 2°C ne soit pas tenue. « En proposant un objectif de 40%, la Commission européenne revient sur son engagement à limiter le réchauffement de la planète à des taux acceptables« . La proposition de la Commission d’augmenter la proportion des énergies renouvelables pour qu’elle passe à au moins 27% de la consommation énergétique de l’Union d’ici 2030 est également dépourvue d’ambition, car une concession a été faite au Royaume-Uni, à savoir que cet objectif ne serait obligatoire qu’au niveau des blocs régionaux. Le paquet législatif comporte aussi une proposition visant à réformer le système européen d’échange de quotas d’émissions (ETS) afin de disposer d’un mécanisme plus flexible (une réserve de stabilité du marché) permettant de freiner l’excédent de permis d’émissions de carbone. Alors que la Commission a déclaré qu’elle « envisagerait la nécessité potentielle d’apporter des modifications à la Directive [sur l’efficacité énergétique] une fois que la révision aura été achevée », elle n’a proposé aucun objectif en matière d’efficacité énergétique.
Les critiques les plus virulentes des propositions de la Commission sont notamment venues de Greenpeace, dont le Directeur exécutif pour le Royaume-Uni, John Sauven, a brutalement fait observer : « La Commission a monté son stand bancale. C’est maintenant aux dirigeants européens élus à le réparer. Ils doivent se mettre d’accord pour réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici 2030 s’ils veulent jouer un rôle significatif dans le nouvel accord mondial en matière de climat et contribuer à réduire les impacts dévastateurs des phénomènes météorologiques extrêmes« . Ces sentiments ont trouvé un écho dans les milieux d’affaires, qui ont semblé outrés de l’incapacité de la Commission européenne à proposer un objectif contraignant sur le plan de l’efficacité énergétique. Comme l’a formulé succinctement Harry Verhaar, Directeur des affaires publiques et gouvernementales internationales chez Philips : « Les décideurs européens doivent prendre conscience du fait que l’Europe ne sera jamais un leader dans le domaine de l’énergie bon marché et qu’elle doit donc l’être dans le domaine de la consommation minimale d’énergie. L’efficacité énergétique est un moteur clé pour rendre l’Europe plus compétitive et plus indépendante en matière d’énergie« .
Deux semaines après l’annonce de la sortie du « Cadre pour 2030 concernant les politiques énergétique et climatique », les députés européens ont paru tenir compte des préoccupations exprimées par les défenseurs de l’environnement et par de nombreux membres des milieux d’affaires. Lors d’une série de votes qui se sont déroulés le 5 février dernier, les parlementaires se sont exprimés par 341 voix contre 263 en faveur de trois objectifs contraignants à l’horizon 2030 : réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre ; accroître la proportion des énergies renouvelables pour qu’elle atteigne au moins 30% de la consommation énergétique de l’Union européenne ; et améliorer l’efficacité énergétique de 40%. Outre ces objectifs, les députés européens ont également voté en faveur de la nécessité d’avoir des objectifs nationaux contraignants en matière d’énergies renouvelables, au grand dam du gouvernement britannique. Même si ces votes n’ont pas force obligatoire, les représentants démocratiquement élus du Parlement européen ont en tout cas envoyé un message sans équivoque à la Commission européenne. Le prochain obstacle à franchir est la réunion des ministres européens de l’énergie à Bruxelles en mars, mais nombreux sont ceux qui redoutent que la Commission n’essaie de court-circuiter le Parlement en employant une voie législative différente avant de faire sa proposition définitive à la fin de 2014. Au milieu de toutes ces belles paroles et manœuvres politiques, ceux qui seront les plus touchés par les questions de changement climatique et par des problèmes tels que l’accessibilité financière de l’énergie doivent demeurer au premier plan des préoccupations des décideurs européens. Toutes les parties doivent œuvrer sans relâche à la recherche du bien commun et se rappeler que les plus touchés seront peut-être les futurs Européens, ceux qui ne sont pas encore nés.
DL