Les évêques de France se sont réunis pour leur assemblée de printemps du 23 au 26 mars. Monseigneur Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France a proposé, dans son discours final, une synthèse des travaux en cours.
Avec leurs invités diocésains les évêques de France ont vécu une troisième séquence (depuis novembre 2019) consacrée à l’écologie intégrale. Elle portait sur le thème «Produire et créer : quelle empreinte?». Ce fut l’occasion d’entendre des conférences de M. Paul Colrat ; M. Bertrand Badré ainsi que les témoignages de Mme Jeanne Zeller, responsable RSE au sein de grands groupes agro-alimentaires ; M. Etienne Hirschauer, Directeur général d’Ecodair ; Mme Delphine Chouvet, fondatrice de l’association « Les Valoristes Bourguignons » et M. Bertrand Foucher, Directeur de Emerjean à Villeurbanne.
EXTRAIT DU DISCOURS
Frères évêques, Frères et sœurs, Chers amis, (…) Je voudrais aussi rendre compte du temps que nous avons consacré à réfléchir à la conversion écologique nécessaire sous le titre : « Produire et créer, quelle empreinte ? » et à la formation des futurs prêtres. Peut-être le savez-vous : les archevêques se sont presque tous réunis à Lourdes avec le président et les deux vice-présidents, le secrétaire général et les secrétaires généraux adjoints et quelques membres des équipes de la Conférence indispensables pour le bon fonctionnement d’une session. Les autres évêques et les invités de la première partie de l’assemblée, consacrée à la crise écologique et aux transformations auxquelles elle appelle ont participé à l’assemblée par visioconférences. (…)
Notre session a commencé, presque sans transition, après la prière des Laudes mardi matin et finalement dans le droit fil de celles-ci, par la louange de Dieu. La conférence de M. Paul Colrat, notre premier intervenant, a en effet été tronquée d’une partie de son introduction, si bien que les premiers mots entendus commentaient le titre de l’encyclique Laudato Sì, en soulignant que le Pape appelait à la louange, et non pas pour louer la nature ou la terre mais Dieu lui-même : « Loué sois-Tu, Seigneur ! » Alors même que les inquiétudes, voire les angoisses, sont nombreuses face aux exigences de la crise écologique dans laquelle nous nous trouvons, alors même que nous avions à décider comment poursuivre notre écoute des personnes victimes et essayer de leur faire du bien alors qu’elles avaient subi tant de mal, alors même que beaucoup de diocèses souffrent d’un nombre réduit ou très réduit de vocations au ministère sacerdotal, il était bon qu’il nous soit rappelé que l’élan premier de notre âme peut être la louange du Seigneur : « Loué sois-Tu, Seigneur ! » Dans un monde qui a bien des raisons de s’inquiéter, commencer ainsi ne pouvait pas être anodin. Nous vivons par le don généreux que Dieu nous a fait et nous fait ; nous vivons à partir d’une bonté originelle qui imprègne tout le réel, plus profondément que ce qui s’impose si évidemment au regard. L’exclamation de saint François d’Assise, nous le savons, ne jaillit pas d’un élan enfantin ni d’une admiration devant le spectacle de la nature qui oublierait les drames qui s’y déroulent. Saint François compose son cantique dans la fin de sa vie, au milieu de grandes détresses physiques et morales, en le laissant monter d’une âme profondément travaillée, affinée, renouvelée, par ce qu’il a vécu, ce qu’il a vu et entendu, ce qu’il a compris dans l’intensité de son existence. La nature n’est pas pour nous un tout englobant dans lequel nous aurions à nous fondre ou par laquelle nous devrions consentir à nous laisser absorber, elle est un don qui nous renvoie au Donateur et qui nous appelle à une relation à ce Donateur et aussi à tous les êtres et à tous les humains.
Car une caractéristique de l’être humain est qu’il ne se contente pas, il ne peut pas se contenter, d’habiter la nature telle qu’elle est. Il a besoin de la transformer, de la façonner, pour la rendre bienfaisante pour lui et pour y trouver de quoi répondre à ses besoins mais aussi à ses désirs ou à ses rêves. Nous n’avons plus guère de traces de la manière dont nos ancêtres préhistoriques aménageaient leur habitat, même si les traces laissées nous permettent quelques conjectures, mais nous sommes encore et toujours émerveillés et émus devant la beauté des dessins qu’un certain nombre d’entre eux ont laissés. L’humanité n’a pu se contenter de jardiner la terre, elle l’a creusée pour en extraire des minerais et fabriquer des ustensiles de cuisine, des bijoux, des objets cultuels et aussi des armes. Paul Colrat nous a bien montré comment la foi en la création ou plutôt en Dieu créateur nous conduisait face à la nature à une attitude qui ne pouvait certainement pas être d’appropriation, car l’appropriation devient facilement prédatrice et destructrice, et réduit la nature à un ensemble de ressources à exploiter, mais pas non plus être essentiellement de sauvegarde ou de préservation, comme si l’idéal de la nature était d’être transformée en parc naturel, etc. Nous avons compris que la traduction française du sous-titre de l’encyclique de François était trompeuse : elle rend par « sauvegarde » ce que les autres langues rendent par « soin ». L’encyclique ne nous appelle pas à sauvegarder la nature comme s’il s’agissait de la maintenir en l’état ou de la ramener à un état pré-humain, elle nous encourage plutôt à prendre soin de la nature en tant que maison commune, c’est-à-dire d’accompagner le développement de la nature de manière à lui permettre d’exprimer ses virtualités fécondes ou bienfaisantes afin que tous les humains y trouvent de quoi se déployer dans toutes les dimensions de leur être, un des critères de la justesse de notre soin étant que tous trouvent une place qui leur soit bénéfique.
Ce seul énoncé fait apparaître ce qui appelle un salut. La capacité de production et de création de l’être humain devrait nourrir notre admiration et notre action de grâce. Il faut constater, hélas, que son exercice s’accompagne presque inévitablement de destruction, d’abus, d’exploitation exagérée, et que toute appropriation tourne presque fatalement la confiscation, la prédation, et par conséquent à la domination sur d’autres humains ou à leur exclusion.
Il se trouve que nous avons entendu, dans la liturgie de la Messe, des passages du chapitre 8 et du chapitre 10 de l’évangile selon saint Jean. Or, tout au long de cet évangile, il est question de l’œuvre de Dieu, des œuvres bonnes que Jésus fait, des œuvres du diable, etc… et des œuvres que nous, humains, produisons. Le problème spirituel peut être formulé ainsi : l’être humain ne peut pas ne pas œuvrer, ne pas produire des œuvres, qui sont des actes ou des objets, mais peut-il vraiment espérer faire l’œuvre ou les œuvres du Père ? Plus dramatiquement encore : pourquoi l’être humain, dès lors qu’il œuvre, qu’il agit, ne peut-il pas ne pas faire un peu ou beaucoup de mal, ne pas apporter de la destruction, des déchets, des situations d’injustice, d’exploitation et d’aliénation ou, dans un autre domaine, celui des relations, mais la logique est la même, ne peut-il pas ne pas risquer de blesser, de déranger, d’inquiéter, d’humilier les autres ? Toute l’histoire adresse cette question, et la crise écologique la rend plus insistante encore.
Nous vivons, je crois, un moment très spécial de l’histoire de l’humanité : comme jamais sans doute, nous sommes conscients que les activités humaines ou les réalités humaines, même les plus nobles, celles qu’il y a quelques décennies, on glorifiait sans mauvaise conscience, ont toujours transporté en elles des ambiguïtés porteuses de mort. Nous savons aujourd’hui massivement que nous ne pouvons guère produire sans polluer l’atmosphère ou les rivières, sans générer des déchets qui finissent par souiller la terre, de même que nous ne pouvons cultiver ou extraire ou fabriquer ou commercer sans générer des structures d’inégalités plus ou moins destructrices. Nous mesurons mieux qu’aucune époque avant nous combien tout acte de production si réjouissant, bénéfique, voire admirable soit-il, s’accompagne d’effets négatifs et est suscité par des intentions qui ne sont pas toutes claires. Plus terrible encore : si nous nous disons que l’œuvre de Dieu, c’est que nous aimions, nous constatons aujourd’hui que l’amour lui-même peut engendrer des situations destructrices. Tous les humains sont appelés aujourd’hui à un examen de conscience drastique où toutes les réalisations personnelles et collectives et toutes les relations doivent être revues sans cesse pour déceler ce qu’elles ont pu transporter de destructeur ou ce qu’elles peuvent encore transporter de destructeur. Le risque redoutable est que nous n’osions plus agir.
Le Seigneur Jésus nous a dit dans l’évangile proclamé mercredi : « Qui commet le péché est esclave du péché ». Ainsi parle-t-il en saint Jean : il n’y a pas d’entre deux. Un petit péché place du côté du péché et fait sortir du côté de Dieu. Il est juste et bon que la tradition morale ait appris à distinguer les péchés mortels et les péchés véniels, ceux qui nous coupent de la relation vivante avec Dieu et ceux qui l’endommagent seulement, mais nous ne devons pas négliger la formule de la bienheureuse Isabelle de France : « Ce péché est véniel mais il est mortel à mon cœur. » Aux yeux de Jésus, nous ne pouvons nous résigner à aucun péché. Mais il ne nous prive pas d’agir. Il vient au contraire nous libérer en nous donnant la lumière pour désigner le péché comme péché et la force pour ne pas y consentir. Nous ne pouvons pas davantage nous contenter de ce que toute activité humaine se paie d’une perte, d’une dégradation, dans la nature. Certes, une telle dégradation n’est pas de soi de l’ordre du péché mais du mal, mais chacune de ces dégradations, chacun de ces déchets, signifie le règne du péché en chacun de nous et en nous tous. L’être humain est invité à œuvrer l’œuvre du Père, il ne peut se satisfaire de la souiller ni beaucoup ni même un peu.
Mardi, nous avons entendu le Seigneur Jésus déclarer dans l’évangile : « Vous, vous êtes d’en bas ; moi, je suis d’en haut. Vous, vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde. » N’entendons pas ces paroles comme si elles opposaient l’en haut et l’en bas. Entendons-les plutôt à la lumière du psaume qui chante : « La terre a donné son fruit ; Dieu, notre Dieu, nous bénit. » Ceux qui sont d’en bas sont faits pour monter et celui qui est d’en haut pour s’abaisser pour les rejoindre et les emmener plus haut avec lui. Le monde n’est pas fait pour rester enfermé en lui-même, et il est « monde » dans la bouche de Jésus selon saint Jean lorsqu’il ne veut pas être rejoint et tiré vers ailleurs, c’est pourquoi Jésus ajoute : « Vous mourrez dans vos péchés. En effet, si vous ne croyez pas que moi, JE SUIS, vous mourrez dans vos péchés. » Car, telle est la bonne nouvelle de Jésus : lui vient pour que le poids du mal et l’esclavage du péché n’emportent pas l’humanité, mais bien son acte à lui qui vient nous rejoindre jusque dans les profondeurs de la mort pour nous entraîner dans sa Résurrection. Par sa plénitude acquise jusque dans sa chair mortelle, il nous assure qu’aucun mal ne restera oublié au terme de l’histoire, aucune victime ne sera purement et simplement passée au compte des pertes et profits. Si toute activité de production suscite du déchet et de la pollution et risque de créer des situations d’injustice, et si toute relation, même la meilleure, ne peut jamais être indemne de causer de la déception ou de la souffrance, Jésus nous assure que Dieu, lui, ne se résout à ce que l’histoire humaine avance en marchant sur des victimes qui en serait comme les déchets. Jésus est venu pour tout récapituler et pour tout tirer vers le Père, en commençant par les plus « petits » ou les plus « abîmés ». Ce faisant, il nous invite à oser chercher l’œuvre du Père en chacun de nos actes, chacune de nos réalisations. Il nous rend libres, non pas de faire ce qui nous plaît sans réfléchir, mais parce qu’il nous rend la capacité d’agir comme des fils ou des filles du Père, prenant soin de la maison commune et de tous les êtres en commençant par nos frères et sœurs en humanité, avec qui nous avons à tâcher de faire de cette terre et de ce cosmos une « maison commune ». Cet effort n’est jamais achevé, notre œuvre ici-bas ne peut être que mêlée, mais Jésus se livre pour que toute existence humaine vaille la peine d’être vécue et puisse déboucher dans la vraie « maison commune », dans la communion éternelle de Dieu.
Au cours de la première soirée, a été diffusé pour les évêques et leurs invités diocésains e film « Les Pépites » a montré avec force ce drame de l’histoire dont le Créateur refuse de se contenter. Mais que deviennent, que pèsent ceux et celles des enfants de la décharge qui n’ont pu être intégrés au programme de Monsieur et Madame des Paillières ? Que deviennent, que pèsent, dans les vues du monde de ceux et celles qui pensent globalement, les esclaves, les enfants et les femmes, les ouvriers sous-payés, que l’on retrouve au long de l’histoire ? En aucune des œuvres dont nous profitons, nous ne pouvons totalement négliger ces victimes, moins encore que nous ne pouvons ignorer ce que la production de ces œuvres a causé de pollution et de déchets. Il me semble que nous devrions, nous chrétiens, être capables de regarder cela en face, parce qu’il est venu, l’Envoyé d’en haut, l’Envoyé du Créateur, nous le savons, nous, et qu’il a fait que la fin de l’histoire perce les atroces clôtures de la mort et du péché. C’est pour cela qu’il y aura, nous le savons, un jugement : là sera mis au jour ce que nous avons vraiment engagé dans nos actes et ce qu’ont provoqué nos œuvres. Mais cette lumière ne sera pas pour nous accabler, mais pour nous permettre de faire la vérité et de tourner vers le Père, en le remettant à la force de son pardon même ce que nous n’aurons pas su faire ici-bas vraiment en lui.
Cette foi ne saurait être un prétexte à ne pas se préoccuper des effets négatifs de toute action. Au contraire, nous devrions, nous chrétiens, profiter de la lucidité exacerbée de notre époque et contribuer à cette lucidité, mais en croyant qu’il est possible, Dieu aidant, de chercher des moyens de production et de consommation nouveaux, attentifs à limiter le mal qui pourrait être suscité et à transformer les relations sociales en n’étant pas dupes de leur capacité à générer de l’injustice et de la violence. Depuis cette vue un peu trop synthétique, je voudrais recueillir quelques convictions quant aux sujets qui nous ont occupés.
Tout d’abord concernant les productions et créations humaines. Avec nos invités diocésains, nous avons entendus deux conférences remarquables, l’une donc de M. Colrat, philosophique et théologique, et l’autre de M. Bertrand Badré, ancien directeur général de la Banque Mondiale et fondateur d’un fonds d’investissement, et des témoignages extrêmement stimulants. Nous avons aussi réfléchi ensemble en petits groupes, grâce aux prodiges de la technique. Dans ces groupes, chaque invité a apporté beaucoup. Nous avons eu l’écho de ce qui se cherche, de ce qui se fait, de ce qui se réfléchit, dans des milieux très divers et dans des niveaux de responsabilité très variés, pour agir, œuvrer, produire et commercer, échanger, tout en prenant en compte le risque constant
-L’humanité doit œuvrer, ne pas se laisser paralyser par la conscience du mal inévitable et du péché qui corrompt tout. Mais désormais nous ne pouvons pas produire sans avoir conscience des déchets et des pollutions que notre activité induit et sans chercher à les réduire ou à les recycler, ni non plus sans être conscients que tout travail, tout labeur, crée à des degrés divers des risques en matière d’hygiène et de sécurité.
-Il serait vain et même dangereux pour l’humanité d’entretenir l’illusion que nous pourrions vivre vraiment sans laisser de traces de notre passage. Nous pouvons même au contraire nous réjouir de laisser une telle trace. Mais nous pouvons et devons chercher à toujours mieux réduire les pollutions et les déchets, l’impact négatif de notre production, parce que même si nous ne pouvons que tendre à ce but sans jamais l’atteindre, cette tension nous entretient dans l’attente de la vie en plénitude où nous serons purement bienfaisants les uns pour les autres.
-L’accélération des pollutions et des pollutions vient de l’effort considérable fourni par l’humanité, notamment occidentale, pour nourrir une population nombreuse et fournir au plus grand nombre le plus de produits possibles. Si l’accroissement de l’empreinte de l’humanité sur la nature vient pour une bonne part de l’accroissement du nombre des humains, l’ampleur de cet accroissement tient aussi à une recherche exacerbée de possession, au fait que nous cherchons la preuve de notre existence dans l’appropriation de biens plutôt que dans la qualité de nos relations aux autres, à nous-mêmes, au cosmos, à Dieu. A la société de consommation, ne peut s’opposer qu’une spiritualité du désir. Seule l’abondance spirituelle peut faire goûter la joie d’une sobriété matérielle, nous a expliqué Paul Colrat.
-Se pose ici la question du motif de notre agir, de l’élan qui nous pousse à œuvrer. Est-ce le profit, comme ce fut théorisé, M. Bertrand Badré nous l’a brillamment rappelé, pour des raisons qui, pour n’être pas que mauvaises n’étaient pas suffisantes, ou bien est-ce la volonté de répondre à un besoin humain, un service à rendre qui est mieux rendu dans un contexte de dynamisme économique plutôt que de simple économie de subsistance ?
– « On ne travaille que sur ce que l’on mesure », a affirmé M. Badré, et c’est plus que vrai. De quelles manières mesurons-nous notre agir, notre œuvre, pour la valoriser à nos propres yeux ? Et comment regardons-nous l’œuvre d’autrui ? Ne mesure-t-on que ce que l’on produit ou aussi ce que l’on suscite de déchets et de pollution ? Quels instruments de mesure nouveaux pourrions-nous imaginer ? Comment prendre en compte les destructions sociales et humaines ? Comment se fera l’équilibre ? -Parallèlement, à un autre niveau, étroitement coordonné néanmoins, dans mon agir, est-ce que je ne regarde que le but atteint ou est-ce que j’essaie de regarder les douleurs et les déceptions causées ? Notre jugement ici-bas sur nos actes et nos œuvres peut être de plus en plus précis, parce que nous ne regardons pas le jugement de Dieu avec crainte, mais avec l’espérance de savoir enfin ce que, réellement, nous avons fait.
Quant à la fraternité. Car il ressort des évangiles que l’œuvre de Dieu, l’œuvre qu’Il nous donne de faire, c’est de vivre en frères et sœurs, précisément en nous donnant les uns aux autres de vivre, chacun dans sa singularité, nos relations édifiant peu à peu une « maison commune » où chacun trouve sa place. Mais nous sommes conscients que cette vision magnifique suppose que nous soyons sans illusion sur les faux-semblants de la fraternité, sur le mépris, l’envie, la méfiance, le dénigrement, la colère qui habitent toujours plus nos cœurs et nos esprits et imprègnent nos actes et nos œuvres plus que nous ne le savons.
– je voudrais remercier au nom des évêques et de leurs invités Mme Jeanne Zeller, M. Étienne Hirschauer, Mme Delphine Chouvet, M. Bertrand Foucher qui nous ont apporté leur témoignage et les EDC et le Secours catholique qui nous ont permis de les découvrir. Car les uns et les autres nous ont montré qu’il était possible d’œuvrer dans ce monde, de produire des œuvres, en recyclant les déchets de notre système de production et de consommation et aussi en permettant d’accéder à la dignité du travail des personnes que notre système social peine ou même avait renoncé à y conduire. Il est sans doute significatif que le recyclage des objets soit si propice à la réintégration des personnes, encore une fois comme si les objets nous étaient un signal des effets de nos organisations sur les êtres humains. Il est impressionnant de voir que des hommes et des femmes pleins de talents et de compétences consacrent leur énergie et leur temps à permettre à d’autres de travailler en réorganisant le travail pour qu’il soit accessible à tous plutôt qu’en imposant les modes de travailler à tous. Certains ateliers en groupe ont montré que les associations diocésaines pourraient chercher de manière plus déterminée à être de tels lieux aussi. En tout cas, évêques et invités ont été remplis de joie en constatant ces réalisations.
– Un des apports importants de l’encyclique Fratelli Tutti est précisément de remettre en lumière la dignité du travail. L’effort de nos sociétés pour être plus inclusives mérite d’être reconnu, les chrétiens se doivent d’y contribuer de toutes leurs forces. Produire, créer, c’est forcément mettre en place des dispositifs de travail. Certes, il faut chercher la rentabilité et l’efficacité, mais l’imagination peut se faire créatrice aussi pour accueillir ceux et celles qui sont moins adaptables. Ils nous indiquent quelque chose de la dignité humaine eux aussi. Alors que le travail se transforme, que la robotisation soulage les humains de bien des tâches pénibles mais pourrait aussi un jour les remplacer tout à fait, il est important de nous souvenir qu’œuvrer, produire des œuvres, appartient à la dignité humaine. Certes, cela ne se limite pas au travail productif, mais le travail permet d’y accéder de manière responsable. Comment reconnaître et valoriser l’œuvre de chacun ?
– on a pu regretter que notre réflexion ne profite pas assez des efforts réels menés dans les grandes entreprises à la fois pour lutter contre la pollution et réduire l’empreinte écologique mais aussi pour améliorer la sécurité et l’hygiène au travail, ici en France mais aussi partout dans le monde. On a pu regretter aussi que la dimension politique n’ait pas été assez considérée. Les transformations à vivre dans nos modes de production et de consommation comme dans l’organisation du travail ne peuvent en rester à des réalisations de taille petite ou moyenne. Seules les grandes entreprises et les États peuvent avoir une action à l’échelle de l’urgence et des défis écologiques comme à celles des défis sociaux. Nous aurons sans doute à oser une parole publique plus forte, relayant celle du Saint-Père.
– ces trois réflexions permettent de vérifier que la question écologique et la question sociale sont intimement liées. Nous le vérifierons encore lors de notre session prochaine de novembre dont le thème sera : « cri de la terre et cri des pauvres ». L’humanité ne peut faire avancer son histoire sur les débris qu’elle sème.
– « On ne travaille que sur ce que l’on mesure », a affirmé M. Badré, et c’est plus que vrai. De quelles manières mesurons-nous notre agir, notre œuvre, pour la valoriser à nos propres yeux ? Et comment regardons-nous l’œuvre d’autrui ? Ne mesure-t-on que ce que l’on produit ou aussi ce que l’on suscite de déchets et de pollution ? Quels instruments de mesure nouveaux pourrions-nous imaginer ? Comment prendre en compte les destructions sociales et humaines ? Comment se fera l’équilibre ? »
Des elements de réponse à votre question sont là, je pense.
Notre Dame des Landes, Bures, la santé environnementale, des éléments que l’on quantifie très mal et donc qui sont négligées.
Si l’on entend parler des morts en trop à cause de la pollution de l’air, on entend rarement parler en Eglise des victimes de pesticides etc..
Merci P. Dominique pour cet article et ce commentaire. Puisque tu demandes ce qu’on en pense, j’ajoute 2 points.
1. Comme chez bcp de cathos, on garde toujours en tête cette idée caricaturale que les écolos sont des adorateurs d’une déesse Nature et qu’ils prônent un retour à un état « sauvage ». En témoignent les précisions qu’on se sent obligé d’apporter : « le Pape appelait à la louange, et non pas pour louer la nature ou la terre mais Dieu lui-même » puis « L’encyclique ne nous appelle pas à sauvegarder la nature comme s’il s’agissait de la maintenir en l’état ou de la ramener à un état pré-humain ».
2. Mais je trouve surtout dommage la position assez fataliste et facile qui considère que la production de déchets est normale et même justifiée par le besoin de « nourrir une population nombreuse » et de lui fournir « le plus de produits possibles ». Voir notamment le phrase : « Nous savons aujourd’hui massivement que nous ne pouvons guère produire sans polluer l’atmosphère ou les rivières, sans générer des déchets qui finissent par souiller la terre, de même que nous ne pouvons cultiver ou extraire ou fabriquer ou commercer sans générer des structures d’inégalités plus ou moins destructrices. » Je ne lis peut-être pas bien cette phrase mais je trouve qu’elle évite tout regard critique sur nos méthodes de production. Bien sûr, l’humain a toujours laissé des traces et c’est toujours passionnant de retrouver les traces de nos ancêtres. Mais traces et déchets ne sont pas les mêmes choses. Il ne faut oublier que la production véritablement de déchets est un phénomène très nouveau dans l’histoire de l’humanité, que quand on mangeait un bison ou un cochon, on consommait ou réutilisait tout, y compris les os. Et le mode agricole polyculture-élevage permettait de valoriser tous les produits et sous-produits des différentes activités. Enfin, considérer la production de déchets comme inéluctable, c’est omettre de regarder et de prendre en considération toutes les belles choses qui se font aujourd’hui même pour justement éviter de générer des déchets, autant d’ailleurs au niveau de la production qu’à celui de la consommation.