
L’opération a été rondement menée au petit matin mardi dernier. Une rencontre inter-religieuse d’un genre particulier provoquée pour dénoncer le projet d’oléoduc en Ouganda et Tanzanie mené par le groupe Total Energies.
Les journalistes de La Croix et de Reporterre notamment se sont déplacés pour l’occasion, en commençant par se rendre à la crypte du Forum104, habitué de longue date à la rencontre inter-spirituelle. Après une première opération au pied de la tour Total il y a quelques mois, cette rencontre fait un pas de plus, rassemblant des représentants des grandes traditions spirituelles sur l’invitation de l’ONG GreenFaith et en lien avec Extinction Rébellion Spiritualités, ainsi que d’autres ONG laïques tels que Les Amis de la Terre France, 350.org ou encore Reclaim Finance. Le rabbin Yeshaya Dalsace, l’évêque émérite de Troyes, Marc Stenger, le moine bouddhiste Olivier Reigen Wang-Genh, la nonne bouddhiste Kankyo Tannier, le musulman Anouar Kbibech, la pasteure protestante Caroline Ingrand-Hoffet : voilà quelques figures de ce rassemblement qui s’est ensuite déplacé devant une station d’essence du 15e arrondissement parisien pour un temps de désobéissance civile et de contestation publique des pratiques de cette entreprise pétrolière française.
Dans La Croix, quelques propos recueillis des participants donne le ton : « Il y a une vraie vie spirituelle chez les jeunes, ça me décentre de mon christianisme, de mon protestantisme intellectuel », confie la pasteure Caroline Ingrand-Hoffet. (…) « C’est la dimension spirituelle qui a fait que je suis venue », glisse Cécile, qui participe là à sa première action. « Elle permet d’aller au-delà des désaccords : toutes les religions sont d’accord pour dire qu’il faut protéger la Terre. » À ses côtés, Martin, catholique, est plus habitué aux actions de défense de la planète : « Mes convictions écolo sont intimement liées à ma foi. » « Le Christ n’est pas mort pour qu’on reste assis sur nos bancs d’église », abonde Yaya, actif dans son diocèse et membre d’Extinction Rebellion.
Il y a quelques semaines déjà, près de 400 jeunes catholiques engagés avaient publié un texte pour interpeler les évêques français sur ce dossier brûlant de la nécessaire conversion écologique que l’encyclique Laudato si appelle pourtant de ses voeux. Voici le contenu de cette tribune publiée par le journal La Croix
En cette veille de Saint-François D’Assise qui clôture le mois de la Création, nous, jeunes catholiques préoccupés par l’avenir de la planète, souhaitons interpeller notre Église de France – et notamment ses évêques – à propos du mégaprojet pétrolier Eacop (Eastern African Crude Oil Pipeline). Ce chantier titanesque du groupe TotalEnergies vise à construire un pipeline chauffé de plus de 1 400 km de long entre l’Ouganda et la Tanzanie. À bien des égards, il nous paraît incompatible avec la recherche du bien commun. Sur les zones d’extraction, la riche biodiversité du parc de Murchison Falls sera mise en péril ; sur le tracé du pipeline, plus de cent mille personnes seront déplacées et contraintes d’abandonner l’agriculture vivrière ; et, en définitive, les revenus du pétrole ne feront qu’alimenter la corruption du régime dictatorial du président ougandais Museveni, qui musèle brutalement toute forme d’opposition. Nul n’ignore, enfin, qu’il faut désormais sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, alors que la trajectoire de réchauffement climatique que nous empruntons nous inquiète de plus en plus.
Sur ce point capital, le projet Eacop fait l’unanimité contre lui – sa mise en œuvre générerait 35 millions de tonnes de CO2 chaque année, soit plus de trente fois les émissions annuelles de l’Ouganda et de la Tanzanie réunis. De nombreuses institutions financières – dont les grandes banques françaises BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole – ont d’ailleurs refusé de le soutenir publiquement. Tout récemment, le Parlement européen a voté une résolution d’urgence pour demander à TotalEnergies l’arrêt des forages et le report des travaux. Le Vatican a lui-même explicitement condamné le projet, ce qui n’est pas si fréquent, par la voix de son dicastère pour le développement humain intégral.
Dans ce contexte, nous sommes convaincus que l’Église de France ne peut rester silencieuse à propos de la plus grande entreprise de notre pays. Nous prenons la parole aujourd’hui comme membres de cette Église, personnellement touchés par cette injustice. Marqués par la lecture des encycliques du pape François Laudato si’et Fratelli tutti, nous avons la conviction que nous, chrétiens, devons promouvoir une fraternité universelle fondée sur la justice et le respect de la Création. Cette conviction est pour nous renforcée, dans le cas d’Eacop, par les voix qui tentent de se faire entendre depuis cette lointaine Afrique de l’Est, et qui émergent notamment des églises locales.
Depuis la publication de Laudato si’ il y a sept ans, les initiatives pour amorcer la conversion ecclésiale à l’écologie intégrale ont essaimé : groupes de lecture, formations, retraites spirituelles, déploiement du label Église verte, etc. Nombre d’entre nous avons pris part avec enthousiasme à ce mouvement. L’heure n’est-elle pas venue d’aller plus loin, en nous prononçant sur des options matérielles qui engagent la société tout entière ? À Assise, où se tenait du 22 au 24 septembre l’événement « L’économie de François », le pape a d’ailleurs appelé plus d’un millier de jeunes venus du monde entier à faire preuve d’un « nouveau courage pour abandonner les sources d’énergies fossiles ». Il a particulièrement insisté sur l’urgence de ce sursaut, indiquant qu’il devait avoir lieu « maintenant ». Une prise de position claire des évêques contre ce mégaprojet pétrolier constituerait une occasion historique pour l’Église de France de s’engager de manière plus concrète sur l’écologie, et de franchir ainsi une nouvelle étape dans son processus de conversion. Nous voulons croire que la parole de l’Église peut encore porter, en se joignant aux clameurs de notre temps !