Le cardinal Peter Turkson, président du conseil pontifical pour la Justice et la Paix, a eu récemment l’occasion d’exercer son sens du dialogue.
En effet, au cours d’un séjour à Des Moines (Iowa), du 16 au 18 octobre, il a multiplié les rencontres avec des scientifiques, des politiques, des étudiants et des associatifs mobilisés à l’occasion de la remise annuelle du World Food Prize (WFP), et dont le cardinal était un des invités d’honneur. Une mobilisation qui rassemble face à face depuis plusieurs années partisans et opposants des biotechnologies et autres OGM.
Son séjour a ainsi débuté d’abord par la rencontre d’étudiants en école de commerce de la Drake University. Durant une heure, il leur a rappelé que la quête du bien commun et le respect de la dignité humaine doit toujours primer sur celle du simple profit financier. Sinon le risque est grand de chosifier l’être humain.
Le message fut assez similaire lors de sa visite de l’Eglise méthodiste unie de Des Moines. Là s’étaient rassemblés des membres du mouvement Occupy the World Food Prize, qui, depuis 2012, dénoncent la collusion de ce prix international avec l’industrie américaine des OGM. Ceux-ci ont proposé au prélat d’entendre six témoignages différents qui en arrivaient aux mêmes conclusions : en vingt ans, l’Iowa est devenue une terre agricole majoritairement occupée d’exploitants rentiers, répandant des techniques d’agricultures intensives contestables. Si Turkson a rappelé être né au sein d’une famille rurale du Ghana, il a reconnu aussi ne pas être un expert en agriculture. Au moins, conclue-t-il, à l’aide d’un proverbe africain,
« il n’est jamais bon de brûler derrière soi le pont sur lequel on risque de devoir revenir. »
Quand Turkson invite les scientifiques au dialogue
Ce travail d’écoute qu’il revendique et qu’il inscrit dans la ligne des appels du pape François, le cardinal a pu l’exercer ensuite auprès des lauréats et des invités du WFP.
« L’Eglise encourage d’abord le dialogue qu’il faut cultiver », a t-il ainsi martelé. « Commençons par nous parler. La terre est la maison de la famille humaine. Mais comme dit saint Paul, elle languit et souffre du péché de ses habitants. » Et de noter que militants et opposants des OGM revendiquent tous deux une grande préoccupation quant aux questions de la faim dans le monde et de la sécurité alimentaire.
Sauf qu’évidemment, les réponses à ces défis colossaux ne sont pas les mêmes du côté des industriels de l’agro-alimentaire mondiale et des militants de formes d’agricultures vivrières, locales et écoresponsables. C’est sans doute la limite de l’exercice de médiation que revendique le cardinal africain. Dans cette noble institution de la WFP, fondée par un prix nobel de la Paix, le Dr Norman Borlaug, père de la Révolution verte, le développement des OGM ait une des principales solutions revendiquées pour l’avenir. Une revendication qui n’est pas que philosophique comme le manifeste le soutien financier conséquent de l’institution offert par Monsanto. Et on s’étonnera encore moins de découvrir qui ont été les trois scientifiques récompensés cette année :
- Marc Van Montagu, fondateurs de plusieurs instituts développant des OGM,
- Mary-Dell Chilton, scientifique réputée qui fut embauchée par Syngenta Biotechnology et enfin
- Robert T. Fraley, vice président exécutif de… Monsanto.
Excusez du peu.
Une nature utile et une recherche responsable
L’exercice du cardinal Turkson fut donc périlleux, lui qui, dans les années précédentes, avait osé critiqué les effets délétères des industriels semenciers en Afrique et ailleurs. Acteur de dialogue, sa position de conciliation laisse, certes, la porte ouverte à la concertation entre hommes et des femmes de bonne volonté, de tous côtés. Mais est-il vraiment naïf de rappeler que les grands groupes internationaux de l’industrie agroalimentaire, malgré leurs prétentions philanthropiques, ont d’abord comme premier souci leur rentabilité financière ? Le cardinal Turkson a donc hésité entre une théologie de la Création bien utilitariste et un appel à une éthique de la responsabilité bien idéaliste. Extraits :
Dans la perspective catholique, la « nature » n’est ni sacrée ni divine, elle ne doit ni faire peur, ni être révérée ni être laissée intouchée. Bien plutôt, c’est un cadeau offert par le Créateur à la communauté humaine pour être soumise à l’intelligence et la responsabilité morale des hommes et des femmes. C’est pourquoi, il est légitime pour des humains adoptant une attitude correcte d’intervenir dans la nature et de la modifier. »
La recherche doit, selon lui, toujours conjuguer respect de l’éthique et visions à long-terme, avec le soucis de la dignité humaine et du bien commun.
« Il serait dangereux – et au final absurde voire fautif d’utiliser des biotechnologies sans suivre des éthiques profondément responsables. » Et de rajouter : « Des chemins équitables doivent être trouvés pour pouvoir partager les fruits de la recherche et ainsi assurer que les pays en développement puissent avoir accès aussi bien aux ressources naturelles qu’aux innovations techniques. Sinon, des populations entières pourraient être à nouveau discriminées, exploitées et privées de leur droit d’avoir une part à ces biens. (…) De chaque côté de la controverse, les adversaires utilisent les mêmes slogans autour de « stopper la faim dans le monde » ou « agriculture durable ». Il serait donc bon qu’ils apprennent à s’écouter, dans un respect mutuel, avec le désir sincère d’apprendre des autres pour que les solutions durables et pérennes les meilleures et les plus vraies puissent être trouvées. »
Et qu’en est-il de la crise climatique en cours, des modèles capitalistes dévastateurs, de la chute de la biodiversité, du modèle consumériste délirant et de la réalité des réfugiés climatiques et économiques à travers le monde ?
Peut être que le Fr. Andrews (dont le blog E&E a déjà parlé) pourrait aider le cardinal a y voir plus clair. Dans la lettre qu’il avait écrite au cardinal avant son intervention à Des Moines, il l’invitait à garder en mémoire le cri des petits paysans africains qui savent bien que les politiques des grands industriels du monde de l’agro-alimentaire ne vont pas dans leur sens.
Le Fr. Andrews est bien placé pour le savoir. Au cours de sa longue carrière, il a aussi bien servi de consultant auprès du Conseil pontifical Justice et Paix à Rome sous la présidence du cardinal Van Thuan que de conseiller sur les politiques alimenaires auprès des Nations Unies.
Il a été témoin en direct du lobbying très actif de Monsanto (soutenu par l’ambassade américaine) auprès du Vatican, via les deux conférences sur les biotechnologies organisées en 2004 à l’Université de la Grégorienne et en 2008 à l’Académie Pontificale des Sciences. Une superbe opération de communication qui a réussi à faire croire que le document final exprimait l’avis – forcément positif- de l’Eglise catholique, alors qu’il n’était qu’un résumé des intervenants favorables aux OGM.
On ne peut donc que souhaiter que le cardinal Turkson continue de s’informer attentivement des pratiques en cours des semenciers américains en Afrique, très actifs pour orienter en leur faveur les grands plans de développement agricoles en cours d’élaboration.
On peut aussi espérer que de toute part, les droits à l’eau, à la terre, à la souveraineté alimentaire et aux semences deviennent des revendications de base des communautés chrétiennes à travers le monde. La parole de médiation du cardinal Turkson n’en prendrait que plus de poids…
DL
Sources : David Andrews, Eco Catholic / Kelly Mescher Collins The Catholic Mirror / Sue Stanton, US Catholic /