ECOLOGIE – Crier au loup antispéciste

2018 ECOLOGIE Eglise GreenpeaceDans certains milieux chrétiens jusque là peu sensibilisés à ces questions, l’écologie a désormais le vent en poupe. Non sans risque d’un nième phénomène de « green washing », ecclésial celui-là. Dernier exemple en date, les repas végétariens.

Cette volonté d’assumer des thématiques écologistes nouvelles pour mieux faire passer un message plus ancien ainsi habilement recyclé, se repère facilement quand s’exprime d’abord la crainte des philosophies incompatibles avec l’Évangile dans le discours des écologistes. La figure de « l’ennemi caché » est ainsi toujours très pratique dans le discours militant de tous bords. Il serait bon – enfin – que les chrétiens apprennent à dépasser ce genre de facilité.

Tugdual Derville, co-initiateur du « Courant pour une écologie humaine », exprime ainsi sur le site de ce mouvement, ses réticences devant les demandes de certains écologistes pour proposer deux repas végétariens par semaine dans les cantines scolaires. En l’occurence, il s’agit de Greenpeace qui aimerait que cette proposition soit validée dans la loi sur l’alimentation actuellement en cours d’évaluation.

Il est vraiment dommageable quand Tugdual, au nom de sa défense d’une anthropologie chrétienne centrée sur l’humain, en arrive à des raccourcis trop faciles qui ne font que continuer à semer la confusion et les oppositions simplistes. Voici ce que dit sa chronique :

« Un nouvel interdit alimentaire vient compliquer – si c’était possible – l’imbroglio des repas scolaires. Il ne s’agit plus de Halal ou de Casher mais de s’interdire toute viande et tout poisson, si l’on est végétarien voire, s’il on est végétalien, tout ce qui vient d’animaux : œufs et produits laitiers.

Ainsi donc, la revendication végétarienne relèverait d’un « interdit alimentaire » quasi religieux selon Tugdual, alimentant ainsi les craintes traditionnelles à l’égard des revendications alimentaires religieuses (forcément des familles musulmanes et juives… tiens on ne dit rien sur la demande de poisson le vendredi chez les chrétiens ?).

Est-ce bien utile en ces temps troublés ? Du coup, une telle revendication relèverait, pour Tugdual, d’une « offensive » coordonnée dont la visée va bien sûr se révéler dangereuse selon lui.

La dernière offensive est signée Greenpeace qui demande que le projet de loi sur l’alimentation, débattu depuis mardi au Parlement, instaure deux repas végétariens par semaine dans les cantines scolaires. Les experts qui alimentent… le débat laissent perplexes : alors que les uns dénoncent la surconsommation de viande au regard de nos besoins, pédiatres et diététiciens insistent sur le risque, pour l’enfant, d’un abandon total de la viande et des carences induites. On ne peut qu’être d’accord avec la nécessité d’une alimentation saine et équilibrée, qui peut passer – pour certains – par moins de protéines animales. Et aussi pour enrayer le scandale du gaspillage alimentaire, qui toucherait particulièrement viande et poisson à la cantine.

En fait, Greenpeace France a mené une enquête en France dans plusieurs milliers de cantines scolaires et estime à près de 70 % celles qui proposent tous les jours viande et poisson dans tous les menus scolaires. L’ONG rappelle que « la législation impose de servir uniquement huit repas sur vingt avec viande ou poisson, ce qui laisse une grande marge de manœuvre aux cantines qui souhaitent mettre en place des menus végétariens. Rares sont celles qui le font : seuls 9% des écoliers peuvent manger végétarien au moins une fois par semaine. »

On sent bien que pour Tugdual, la proposition végétarienne ne passe pas bien, comme si la santé même des enfants était en danger. De quoi faire peur dans le chaumières catholiques et rassurer tous ceux qui veulent continuer de pouvoir nourrir leurs enfants de viande surgelée et de poissons d’origines incertaines qui sont forcément meilleurs pour eux. L’enquête de Greenpeace souligne aussi le décalage entre les besoins alimentaires des enfants tels que recommandées par l’agence sanitaire française et celles demandées par l’Etat français.

2018 ECOLOGIE Alimentation enfants graphique_rapport_lobby-780x489.png

Pourquoi ces excès ? Selon l’ONG, le décalage pourrait bien être le résultat des lobbys de l’agroindustrie de viande et de lait, si puissants en France et qui continuent à inonder le marché bien au-delà de ses besoins. Comme disait l’autre, dans cette campagne de pub qui a conditionné des générations d’enfants, « les produits laitiers sont nos amis pour la vie ». Dommage que l’ami Tugdual ne s’adresse pour sa part qu’aux éleveurs et agriculteurs, sans jamais évoquer les paradoxes épuisants du système industriel qui les étouffe.

A noter que si Tugdual dit bien entendre les arguments des opposants, ils ne les reprend à son compte qu’au conditionnel. Une technique classique que l’on retrouve, hélas, aussi dans les propos d’un certain nombre de chrétiens climatosceptiques. Une mise à distance sémantique qui en dit long aussi de la mise à distance idéologique.

Mais le débat est quasi religieux. Selon leurs différentes obédiences, végétariens, végétaliens et surtout Vegan obéissent plus ou moins consciemment à des préceptes moraux, des interdits et des dogmes qu’il est difficile de discuter. En l’affirmant, je sais que je marche sur des œufs.

Voici donc le retour du « débat quasi-religieux », réduisant la demande de Greenpeace aux « obédiences » quasi sectaires des végétariens, végans et autres écologistes radicaux. Leur pensée doctrinaire est donc, forcément, condamnable pour Tugdual qui, j’imagine, n’aimerait pas qu’on réduise ses propres revendications au sein de son mouvement à ce genre de raccourcis trop courts et caricaturaux. Pourquoi faire à d’autres ce qu’on ne voudrait pas qu’on nous fasse ? Hum ?

Car les mobiles louables, sanitaires et environnementaux, se mélangent à l’antispécisme.

Nous y voilà ! Outre que Tugdual n’a en réalité pas trouvé grand chose de louable dans ces mobiles (rien de moins que la santé humaine et l’état de la planète), il se fait fort de dénicher la pensée obscurantisme et anti-humaniste qui s’y cache derrière : l’antispécisme.

L’antispécisme est une nouvelle religion qui remet en cause la distinction homme – animal. Elle est de plus en plus prosélyte et culpabilisatrice ces derniers temps. Exemple dans le métro parisien où s’affiche un poisson agonisant dans un filet, avec la mention « Les poissons aussi souffrent » et « veulent vivre ». À Lille, une boucherie vient d’être attaquée pour la seconde fois par des Vegan radicaux. À Lyon, d’autres adeptes ont tagué une fromagerie en écrivant lait = viol. Vous avez bien entendu : traire une vache serait la violer ! Qui défendra nos éleveurs et nos pêcheurs contre cette salade ?

Non, Tugdual, on n’a pas le droit de dire que l’antispécisme est une « religion ». C’est entrer justement dans le jeu des plus extrémistes de ce genre de philosophie que de dire cela. Et avant de crier au loup, il serait peut être bon de s’interroger sur la peur et la prise de conscience qu’exprime ce genre de mouvement.

Que dans la demande de repas végétariens dans les cantines, certains mouvements antispécistes quasi-antihumanistes en profitent pour faire passer leur idées, est possible. De là à réduire, cette revendication à cela, n’est pas digne et n’ouvre à aucun dialogue possible comme nous y appelle pourtant l’encyclique Laudato si.

Du coup, les exemples cités par Tugdual jouent sur les mêmes peurs que ce que l’on retrouve sur certains sites identitaires sur d’autres sujets : voilà donc la peur du grand remplacement, version végan. Par contre, pas besoin de citer les sources ou de renvoyer à des éléments informatifs objectifs : cela gâcherait sans doute l’effet anxiogène ainsi suscité. Les excès ou les idioties sémantiques de certains végans ne serviraient-ils pas, au final,  les crispations identitaires de leurs opposants ?

Pour ma part, je tique quand le think tank Terra Nova veut la généralisation du repas alternatif végétarien dans les cantines, mais aussi un jour spécial végétarien pour tous par semaine. Pour Terra Nova, les élèves « qui mangent uniquement casher ou halal pourraient manger aux côtés des végétariens », et cela résoudrait « simplement les débats (…) sur l’adaptation de l’offre de restauration scolaire aux interdits alimentaires d’origine religieuse ». J’en doute ! »

Que Tugdual se méfie des trop progressistes membres de Terre Nova à son goût, c’est son droit. Qu’il voit dans leur réflexion sur la généralisation de repas végétariens, le faux-né d’un autre agenda, plus libéral, est un avis que l’on peut entendre. Mais crier sans cesse au loup de l’écologisme païen et anti-humaniste chaque fois que certains acteurs tentent de faire concrètement bouger les lignes de nos modes de vie trop consommateurs, source de cette « culture du déchet » si lamentable, relève d’un discours qui n’est pas juste. On est bien loin de l’écologie intégrale du pape François qui invite, avec insistance à créer des espaces de dialogue qui invitent, toujours, au bout du compte à des conversions mutuelles.

E&E

4 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Hautcoeur dit :

    Bonjour,
    Je suis un peu troublée par votre réaction aux propos de Tugdual Derville… Mais aussi par l’imprécision et le flou des arguments de Greenpeace, que vous ne remettez pas du tout en cause… D’où viennent les chiffres qu’ils avancent ? De quelle « législation » parle-t-il ? On aimerait avoir les références précises … D’un côté, Tugdual Derville se fait « épinglé » sur quasiment chaque phrase, de l’autre, Greenpeace est présenté comme le tenant des vérités nutritionnelles !! Un peu trop clivant, non ?? Dommage…
    B Hautcoeur, Diététicienne

  2. webmaster dit :

    Merci Dominique de cette mise au point indispensable. C’était les mêmes propos qui m’avait fait quitté la salle du colloque (à Notre Dame du Chène) où Tugdual brassait allègrement des contre-sens et des idéologies, à mon sens dangereuses, d’autant plus qu’elles se revendiquent de la foi, de l’éthique et de je ne sais quelles considérations morales lui permettant de se donner bonne conscience. Revenue dans la salle pour apporter des arguments d’une autre facture, j’ai surtout souligné le fait qu’il était inconvenant de s’en prendre à des personnes qui cherchaient à contribuer au bien commun (et non à leurs intérêts propres) et totalement malvenus de jouer les diviseurs…. Comment ça se dit en latin, au fait? Le risque de division est bien présent et ce qu’en tant que chrétien, nous devons à tout prix éviter.
    S’en prendre ouvertement à ceux qui défendent les animaux (alors que ceux-ci n’ont pas voix au chapitre) et en même temps dire qu’on aime les animaux (et même évoquer des expériences quasi mystiques auprès des animaux comme Tugdual l’a fait en début de colloque) c’est vraiment être incohérent (pour le moins). ,
    Tugdual oppose les humains et les animaux de façon définitive, comme il oppose les humains et les robots, et met dans le même paquet les antispecistes et les transhumanistes. Quand il n’y aura plus que des machines sur terre, nous verrons avec qui nous aurons envie de fraterniser, et nous serons certainement bienheureux de trouver une bête à plume ou à poil avec un museau tout chaud pour nous réconforter dans notre solitude et nous rappeler que nous sommes tous frères sur cette planète et qui plus est créé le même jour par Dieu. !!!!
    Christine K.

  3. L’agriculture étant le troisième poste en France de production de CO2, il est normal que les ONG s’intéresse à sa diminution, et la limitation des protéines animales en fait partie. Sur la base du volontariat, il est même éducatif d’expérimenter d’autres modes de consommation alimentaire, moins gourmande en CO2 et aussi nutritif.
    Donc bravo d’en avoir fait une salade….
    Michel

  4. Hautcoeur dit :

    « aussi nutritif… » voilà bien le problème… !

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s