AFRIQUE – Le mauvais rêve de l’agriculture industrielle au Congo

Rebondissement dans un des grands projets de l’agriculture industrielle africaine en RDC : l’ancien partenaire sud-africain demande désormais le remboursement de 20 millions de dollars d’impayés au gouvernement congolais. Une histoire tristement rocambolesque.

L’histoire a retenu l’attention du blog E&E quand des pères de la Congrégation du Saint Sacrement avaient dénoncé, fin 2017, l’expropriation illégale de leur concession située dans le site appelé « Plateaux de Bateke » dans la province de Kwilu (selon Radio Okapi).  Le P. Anaclet expliquait que les membres de sa communauté avaient été menacés par des agents du parc agro-pastoral de Bukanga Lonzo en plein développement, sous prétexte que cette concession qui se trouve dans ce domaine, appartiendrait à ce projet agro-pastoral. Or, l’Etat congolais n’a, semble-t-il, jamais notifié la congrégation d’une quelconque expropriation de cette concession, selon ce même religieux.

Difficile d’y voir clair alors dans un pays où, selon la loi Bakanjika de 1973, en RDC, la terre appartient à l’Etat qui peut donc en disposer à sa guise. Les populations locales se rendent pourtant bien compte de l’impasse d’une telle législation, elles qui se sont vues rapidement privées de leurs terres cultivables dans ce secteur.

Car, depuis 2014, l’Etat congolais avait lancé, en grande pompe le projet du Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, à l’Ouest du pays, qui devait être, avec ses 80 000 ha de culture, le fer de lance d’une série d’une vingtaine d’autres PAI dans le pays. Afin de, selon les dires des officiels   » mettre en valeur l’énorme potentiel de terres arables dont dispose » le pays.  « Potentiel de production à très haute valeur ajoutée : terre arable à fort rendement, disponibilité en eau et facilité d’irrigation, proximité avec la ville de Kinshasa qui constitue un marché et un débouché commercial de plus de dix millions de personnes etc. » Tout cela devant entrer dans le Plan national d’investissement agricole 2013-2020, qui vise à éliminer l’insécurité alimentaire et à développer les filières agricoles et agro-industrielles. Il faut noter que le budget prévu pour cet ambitieux programme est de 6 milliards de dollars sur sept ans, dont les deux tiers doivent provenir du privé.

 

On aura compris que derrière ce langage optimiste et d’une belle technocracité se cache surtout une belle opération davantage industrielle qu’agricole. Un matériel flambeau neuf (cf. vidéo) a été livré, avec près d’une cinquantaines de tracteurs plus impressionnants les uns que les autres, d’immenses semoirs et instruments de labours profonds (bien sûr) sans oublier les deux avions pour épandre par voie aérienne tous les herbicides et autres insecticides nécessaires.

L’investissement est lourd : 83 millions de dollars pour des terres données en leasing pour vingt-cinq ans et confiées à une société sud-africaine, Africom commodities Group of Companies, dans le cadre d’un partenariat public-privé. L’entreprise, qui possède une centaine de marques dans le monde agricole, produits et services. annonçait vouloir employer 10 000 personnes (permanents ou contractuels) d’ici 2015, grâce à sa claire vision de l’ « agricultural business ».

Ce groupe multiforme est en lien notamment avec Enviro Crop Protection, une filiale directe d’Africom Commodities (une importante entreprise sudafricaine spécialisée dans les phytosanitaires agricoles). Il a aussi conclu une « joint venture » avec Imphandze Investment, un fond d’investissement spécialisé dans le développement agricole (importation de tracteurs, acquisitions de terres, transformations des produits, distribution de fertilisants, d’herbicides, soutient à l’élevage etc.). on peut évoquer aussi Triumf fertilizer, une autre socété sud-africaine, spécialisée dans les engrais chimiques etc.

Bref, tout était en place pour un beau projet industriel et une belle opération financière. Avec tous les  « progrès » de l’agriculture moderne : machines, produits chimiques, engrais etc.

Trois ans plus tard, la machine semble sérieusement gripée. Christo Grobler, le directeur de la société Africom Commodities a saisi la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale à Paris. Il demande le remboursement de près de 20 millions de dollars par Kinshasa. Car trois ans  après son lancement, le projet trébuche. Les récoltes, malgré tout ce beau matériel flambant neuf, ne sont pas aussi bonnes que prévu et Africom Commodities plie bagage, assurant ne pas avoir été payé par le gouvernement. Le directeur Christo Grobler pointe du doigt la difficulté de travailler avec les autorités congolaises, qui auraient trop souvent changé d’avis sur quelle direction donner au projet. Il a déclaré que sa société a subi plus de 50 millions de dollars de pertes à Bukanga Lonzo. En cause, des dépenses colossales, comme pour une nouvelle fabrique d’engrais, tout cela alors que les récoltes de maïs ont été 20 fois inférieures aux prévisions.

Pari industriel donc manqué. Mais il aurait suffit de s’intéresser au maillon faible de ce beau parc aux allures de Dysneyworld agricole : la réalité sociale locale. Non seulement les paysans des villages intégrés de fait dans ce « parc » ont perdu accès à leurs terres cultivables, mais les jeunes de la région qui espéraient trouver du travail dans le PAI, ont rapidement déchanté. Certains d’entre eux, d’après des témoignages locaux, ont été maltraités ou jetés en prison. Bien sûr, les promesses étaient belles (modernisation, écoles, dispensaires, embauches) mais, sur place, « tout le monde là-bas parle anglais et nous, on nous traite comme des intrus… » Quant à ceux qui ont réussi à se faire embaucher comme journaliers, beaucoup se plaignent d’être « régulièrement arrosés par les avions qui aspergent les insecticides : nous ne comptons pas, ces gens (les Sud-Africains) sont des esclavagistes…» Les vidéos montrant les fermes d’élevage qui travaillent à partir du maïs (génétiquement modifié bien sûr) produits, témoignent aussi de modes de production et d’exploitation, certes aux normes, mais bien peu regardants des conséquences humaines, sociales et environnementales d’une telle entreprise à grande échelle. D’ailleurs, les chenilles elles-mêmes que récoltaient les populations à la lisière de la forêt, ont aussi disparu.

Par ailleurs, le projet du PAI de Bukanga Lonzo avait été créé dans le but d’approvisionner les marchés de Kinshasa en maïs et produits vivriers mais jusqu’à présent cet apport est peu visible dans la capitale. Avec les installations nouvelles (route, etc.), l’accès à Kinshasa est certes plus facile, mais de nouveaux venus ont acquis de grandes propriétés dans le Bandundu. Expropriés, spoliés, les paysans dénoncent désormais le manque de terres cultivables, l’alourdissement de la pyramide des taxes, etc…

Bukango Lonzo est bien la vitrine d’un profond mouvement d’investissements financiers colossaux qui se joue actuellement en Afrique et dont les populations locales risquent fort de payer le prix élevé. Au lieu d’aider au développement des agricultures locales vivrières, on importe des modèles d’agricultures proches de ce qu’on voit dans les grandes plaines américaines ou les terres défrichées d’Amérique du sud, tout en profitant du faible niveau de développement des populations locales pour mettre en place une logistique qui profitera essentiellement à l’agriculture d’exportation (et donc de spéculation) et non aux Congolais ordinaires. L’Afrique n’est pas obligée de reproduire les aberrations du modèle intensif occidental…

 » Nous, nous considérons qu’‘il s’agît de la terre de nos ancêtres. A nos yeux, seuls les « chefs de terre » peuvent accorder l’autorisation d’occuper et de cultiver ces terres. Or, on ne nous a rien demandé, alors que le parc nous a privés de l’accès à nos cimetières, à nos lieux sacrés… »

Source : Posted | Juil 2, 2018 // RFI

Plus d’informations :

On pourra trouver beaucoup d’autres éléments informatifs et d’analyse sur les non-dits de ce projet sur ce site rédigé par un « Colibri » congolais.

Des vidéos qui apportent plus d’informations si on lit entre les lignes de la communication officielle congolaise.

 

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