Il y a quelques jours, le journal La Croix donnait la parole à Christiane Lambert, présidente du syndicat agricole FNSEA et José Bové, eurodéputé écologiste, pour évoquer leurs visions respectives du monde agricole. La discussion fut éminemment technique – et un peu décevante, tant on a l’impression que ces mondes ont du mal à se rejoindre. Occasion aussi de réaliser qu’entre chrétiens (ils le sont tous les deux), l’appel à une écologie plus intégrale ne retentit pas de la même manière en fonction du lieu d’où on parle…
Extraits :
La FNSEA dénonce régulièrement « l’agribashing », le dénigrement systématique de l’agriculture française par des ONG. Pourquoi cette offensive ?
La présidente de la FNSEA, Christiane Lambert avec José Bové / Credit : Bruno Levy
C. L. : N’inversons pas les rôles ! C’est parce qu’il y a des ONG très agressives, qui pratiquent la délation et la menace, parfois la violence, que nous réagissons pour dire stop. L’activisme, les vidéos trash, la radicalisation ne sont plus supportables. La FNSEA, syndicat responsable, est au travail pour améliorer certaines pratiques vis-à-vis du sol, de la biodiversité, des phytosanitaires, du bien-être animal. Nous voulons répondre aux nouvelles attentes des marchés et de la société, mais n’acceptons plus la caricature extrême qui blesse et décourage les agriculteurs.
José Bové, partagez-vous cette analyse ? Vous avez vous-même soutenu des actions parfois radicales…
J. B. : J’ai fait plus que de les soutenir, j’y ai participé en fauchant des champs d’OGM, ce qui a d’ailleurs abouti à l’interdiction de ces cultures en 2008. Mais j’ai toujours agi à visage découvert, en assumant la responsabilité et les conséquences de mes actes.Ceci dit, je constate que les citoyens n’ont jamais eu autant envie de s’engager dans le débat sur l’agriculture et l’alimentation. Et je trouve cela plutôt rassurant car ce sont des sujets qui nous concernent tous, ne serait-ce que parce que nous avons la chance de manger trois fois par jour.Au niveau européen, je vois aussi beaucoup d’ONG impliquées dans le débat sur la politique agricole commune ou les enjeux écologiques. Non pas d’une manière frontale, mais avec le souci de promouvoir une agriculture plus respectueuse de l’environnement et du bien-être animal. Et ça, c’est un vrai débat de fond.
Malgré plusieurs plans Ecophyto, l’usage des pesticides continue d’augmenter en France. Peut-on continuer ainsi longtemps ?
C. L. : Lors du Grenelle de l’environnement, en 2007, il a été proclamé qu’il fallait réduire les pesticides de 50 % et passer à 20 % de produits bio. Ces injonctions politiques étaient déraisonnables car on ne s’est pas donné les moyens. Pourtant, ce sont les agriculteurs que l’on stigmatise. Pourquoi l’usage de phytosanitaires ne baisse-t-il pas ? En France, on a choisi comme indicateur le Nodu, le nombre de doses utilisées. Celui-ci est en hausse parce que l’on a interdit des molécules jugées problématiques, ce qui oblige à recourir à d’autres, moins efficaces, donc utilisées à haute dose. Mais le volume de phytosanitaires est, lui, bien orienté à la baisse. C’est par la recherche et l’innovation que l’on trouvera des alternatives aux pesticides. Voilà pourquoi la FNSEA a lancé, avec 42 partenaires, un « contrat de solutions », pour identifier les leviers de changement, les surcoûts, les compensations à mettre en place. Pour faire évoluer les pratiques, il faut du temps et des moyens, en particulier pour accompagner les agriculteurs.
J. B. : Je n’ai jamais utilisé de pesticide dans mes champs, preuve qu’il est possible de s’en passer. Mais ce n’est pas seulement un choix personnel, c’est une nécessité collective. Ce ne sont pas les écologistes qui l’affirment, mais les scientifiques : face à la perte de biodiversité, il est urgent de réagir. Car si, demain, l’agriculture devait s’effondrer, c’est la survie de l’humanité qui serait en cause. Hier, quand on avait un problème sur une culture, on appliquait le produit recommandé par le marchand sans chercher plus loin. Aujourd’hui, les paysans sont les premiers à s’interroger sur leurs pratiques car ils savent qu’ils sont les premières victimes des phytosanitaires et des firmes qui les vendent. On a vu, avec Monsanto et le glyphosate, qu’elles pouvaient raconter n’importe quoi.
Source : Article LACROIX, propos recueillis par Antoine d’Abbundo et Marie Dancer, le 22/02/2019