ANALYSE – Quand l’écologie intégrale du pape François donne de l’urticaire

Capture d’écran 2019-06-20 à 17.00.54Quand le journal américain (très conservateur) Breitbart parle du Synode sur l’Amazonie, on voit le coup venir : revoilà la peur d’un « programme néo-païen » qui viendrait infiltrer l’Eglise. Des rumeurs qu’on aime aussi reprendre dans certains milieux en France comme en témoigne une récente chronique dans le Figaro.

Dans son évocation du texte préparatoire du Synode sur l’Amazonie, le journaliste américain déplore très rapidement le ton de l’ensemble, regrettant de présenter, par exemple, les cultures autochtones amazoniennes comme des exemples d’un lien plus intégré à la nature. Du coup, selon lui, le document présente
« les missionnaires chrétiens actuels davantage comme des défenseurs des cultures indigènes et de leurs coutumes plutôt que des prédicateurs de l’Évangile de Jésus Christ. »
Nous y voilà donc : il y a là ce soupçon récurrent dans les milieux conservateurs que le pape argentin ne serait pas assez préoccupé par l’évangélisation, préférant évoquer les « valeurs universelles » du message chrétien (que le langage de la conversion écologique permet de diffuser insidieusement). Cela au détriment, bien sûr, de l’unique salut offert par le Christ.
Le consultant souligne que le pape est préoccupé à la fois par les migrants sud-américains et par tout ce qui agresse la vitalité biologique de cette partie du monde. Le lien entre social et environnemental ne passe visiblement pas bien pour Thomas D. Williams, d’autant qu’il se plait à citer José Antonio Ureta, un autre auteur, chilien d’origine et pourfendeur assumé de la théologie et des propositions du pape François, tout en revendiquant sa liberté filiale de contestation. On peut juste rappeler que ce Mr Ureta est aussi membre de l’Institut brésilien Plinio Corrêa de Oliveira fondé par un universitaire et leader de la droite catholique en Amérique latine.
Pour Ureta, ce texte est une porte ouverte à la théologie indienne et à l’éco-théologie qui mène directement, selon lui, à une pensée « païenne » et à des éléments de religiosité panthéistes. Il regrette ainsi que le document perd bien trop de temps à vouloir dialoguer avec la culture indienne plutôt que d’appeler à la conversion évangélique.
Y-a-t-il-une-ecologie-conservatrice_medium.jpgOn ne s‘étonnera sans doute pas de retrouver un discours similaire dans des milieux conservateurs français. Par exemple, la revue Liberté politique publie un numéro qui pose la question du lien entre écologie et conservatisme. Sa présentation a le mérite d’être claire, opposant, là aussi, si simplement, la naïveté des écologistes païens préoccupés par la terre et le bon sens éternel des conservateurs chrétiens ouvert aux choses du Ciel. Citation :
Le monde chrétien classique croyait à l’éternité de l’âme, et veillait à préparer son salut. L’objectif d’éternité est aujourd’hui descendu du Ciel vers la terre, l’obsession de sauver la planète a remplacé le désir de sauver son âme. À trop se poser la question de la pérennité des ressources énergétiques, l’homme tend à oublier que la seule durée qui vaille est celle de l’éternité de la vie en Dieu. Comment rétablir l’ordre des priorités ? Comme inventer un modèle écologique qui mette en valeur le respect de la Création, l’enracinement et la transmission, seuls à même de préserver les équilibres sociaux et naturels ?
Oui, à force de trop oublier l’éternité du Ciel on se préoccupe trop du devenir immédiat de l’humanité d’aujourd’hui, n’est-ce pas ? Dans ce manichéisme si récurrent, on n’oublie pas de rappeler le nécessaire « enracinement » et le sens de la « transmission » qui préserve bien sûr les grands « équilibres sociaux et naturels » si agréables aux milieux conservateurs qui en bénéficient le plus.
Il suffit de lire le sommaire de ce numéro pour comprendre que le dialogue avec les écologistes n’est pas pour demain dans ces milieux. On lira ainsi « avec plaisir » le préambule signé du président de l’association qui gère ce titre singulier (et qui lui même a fait une brillante carrière dans le monde de la banque et de la finance avant de se décider à vouloir enfin s’occuper du bien commun du devenir de la France).
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Autre signal de ce marqueur dans l’opinion conservatrice française, une opinion récente de Ferghane Aziharidans exprimée dans les pages débats du Figaro. Présentons l’homme d’abord : ce jeune « journaliste et analyste indépendant spécialisé dans les politiques publiques » est aussi « membre du réseau European students for Liberty et Young Voices » . Il participe à « divers médias et think tanks libéraux français et américains pour promouvoir une culture favorable à l’économie du marché ». Et ben voilà. Il suffisait donc de le dire. Comme d’autres libéraux, l’homme aime étriller les « écologistes » sans jamais préciser de qui il parle (c’est plus simple). A lire entre les lignes, ils sont soit des idiots utiles soit de dangereux « proto-terroristes », idéologues parmi les plus dangereux de l’ère actuelle. Bigre !
Les voici donc « misanthropes », après bien d’autres qualificatifs, souvent à la limite de la diffamation (khmer vert, djihadistes verts…).
Il n’aime pas que ces « écologistes » n’aime pas l’économie libérale actuelle. C’est son droit. Et c’est aussi le leur, rappelons le. Je le laisse à son analyse des enjeux de l’économie libérale et de pourfendeur des penseurs André Gorz ou Pierre fournier
Plus intéressant est le débat sur « l’environnement » qu’il propose.
Rappelant que pour les Occidentaux éclairés, il est un « ensemble d’éléments naturels susceptibles d’être domestiqués par l’Homme à son profit » (et que donc même les technologies les plus pointues peuvent y être sympathiquement accueillies).
Du coup, la litanie de la dénonciation des inepties des écologistes revient à la charge en montrant comment la nature permet tout, en fait : les plantes produisent des substances toxiques contre les prédateurs ? Donc, vive les pesticides chimiques. Les castors construisent des barrages pour lutter contre d’autres bêtes sauvages (ah bon ?) ? On peut donc passer au DTT les zones humides. Et du coup tout suit : les OGM, la géoingéniérie, la privatisation des zones naturelles etc. Extraordinaire, non ? Et tout cela au nom de la bonne et légitime cause de « l’anthropisation » de la nature qui n’attend que cela.
Voilà.
A partir de là, ceux qui s’opposent à la destruction de la nature, à la maltraitance des écosystèmes, aux excès de l’industrie minière ou aux dangers de la pollution sont donc des anti-humanistes. Mieux, des misanthropes. CQFD ! Voilà donc ce que sont ces « disciples de l’écologie profonde », parce que, ah oui, autre sous-entendu récurrent : il y a bien une religiosité dangereuse qui se joue là dessous, à l’inverse de la lumineuse entreprise libérale, humble, humaniste et dénuée de tout appât du gain ou adorateur de je ne sais quelle autre idole contemporaine (le pouvoir par exemple ?).
Le discours écologiste s’intéresse moins à la sauvegarde d’un environnement désirable pour l’Homme qu’à la lutte contre son anthropisation, même lorsqu’elle est justifiée sur le plan utilitariste, c’est-à-dire pour le bien-être de l’Homme. L’ultime solution pour contrarier les sociétés modernes est donc de déchoir l’utilité humaine de son rang d’étalon de valeur.
Les écologistes sont donc, à bien l’entendre, des partisans de la « chasse à l’homme », à force de biocentrisme. Et avec lui, les droits fondamentaux du marché, dont le droit de propriété sont directement menacés. Bigre ! Revoilà les communistes qui se sont peints en vert. Les écologistes sont donc des doux rêveurs qui ne comprennent rien. Ils sont forcément des ignares en écologie scientifique, ne connaissent aucun naturaliste de terrain, ne font pas de nuances dans leur analyse, ne savent pas que les paysages sont aussi marqués par l’humain depuis longtemps etc.
Et voilà qu’arrive la pointe théologique du propos.

Pour l’écologie anthropophobe, l’Homme est la seule espèce privée du droit de participer à cette lutte. Sa désacralisation est d’autant plus perfide qu’elle mise sur la corruption de la culture judéo-chrétienne qui, aux côtés de la philosophie grecque, l’a longtemps placé au sommet de la hiérarchie des espèces.

On cite là Lynn White, précurseur de cette mauvaise conscience écologique chrétienne. Et voilà, en deux coups de cuillère à pot… le pape François et son fameux animisme latent.

Désireux d’invalider les critiques écologistes contre un christianisme «excessivement anthropocentré», le Pape François, dans sa seconde encyclique intitulée Laudato Si’, multiplie les sous-entendus animistes et panthéistes que les traditionalistes assimileraient volontiers à de l’hérésie.Selon cette idéologie, Dieu n’est plus exclusivement l’Être qui transcende le monde. Il imprègne une nature immanente. On comprend dans ces conditions que «tout crime envers la nature est un péché envers Dieu», ainsi que le clame le Pontife

L’auteur s’interroge ainsi naïvement sur ce que peut encore être alors un « crime » contre la nature. Couper un arbre est-il un crime ? Tuer un rat aussi ?

Reste à savoir ce qu’est un «crime» envers «la nature». Faut-il réprimer tous les bûcherons et les dératiseurs comme certains proto-terroristes persécutent les bouchers au nom de cet autre anti-humanisme qu’est l’antispécisme? Que certains conservateurs se réclament de cette «écologie intégrale» qui porte en elle les germes de la destruction de l’idée occidentale illustre la victoire intellectuelle des écologistes.
Le reste n’est plus que dénonciation de l’idéologie écologiste, de ses inepties non-scientifiques (sixième extinction des espèces etc.) et de l’anthrophobie latente qu’elles dissimulent. Il préfère reprendre les idées non conformiste de l’entomologiste américain Chris D. Thomas qui, dans un ouvrage de 2017, propose de retourner l’analyse et d’avoir le simple bon sens d’accepter que des espèces inadaptées doivent disparaitre et laisser l’humanité continuer à faire le tri.
Ce discours rationnel peut-il triompher d’un animisme à deux doigts de considérer la loi de la jungle supérieure au Code civil? Ou faut-il renouer avec une certaine conception du sacré pour relégitimer l’existence humaine?
Et de finir, dramatique

L’écologie politique n’est donc plus seulement le nouvel avatar d’un collectivisme totalitaire. Il est le stade logique d’une aigreur anti-capitaliste qui, non contente d’avoir échoué à transformer cette vile nature humaine égoïste au siècle dernier, rêve désormais de la voir dépérir.

On l’aura donc bien compris, c’est une même rhétorique qui se répand de longue date dans les milieux conservateurs et libéraux. Sans beaucoup de nuances, la prise de conscience écologique est ici considérée comme un énième avatar de gens malformés, ignares et dangereux, qui ne s’aiment pas eux mêmes et empêchent les autres de faire des affaires.
On comprendra aussi pourquoi ces conservateurs dézinguent aussi toute la dynamique ouverte par le pape François (et ses prédécesseurs), critiques virulents de ces idéologies de la domination par l’argent (communisme tyrannique, capitalisme débridé et autres dérives…).
Le synode de l’Amazonie va bien mettre les pieds dans le plat. Et c’est tant mieux.
E&E
Dernière minute. Un texte publié sur Liberté politique en remet une couche dans la peur et les a priori : attention, la théologie de la Libération (communiste, panthéiste, antiévangélique, relativisme) est de retour… Il semble que pour des libéraux qui, dans les affaires, aiment la loi de la jungle, qu’elle fasse plus peur quand celle-ci appelle à la collaboration, à la symbiose et à l’écologie intégrale…

L’Eglise va-t-elle se perdre dans la jungle ?

Article rédigé par Constance Prazel, le 21 juin 2019
Au mois d’octobre prochain, se tiendra une réunion mondiale des évêques qui aura pour sujet : « Amazonie : de nouveaux chemins pour l’Église et pour une écologie intégrale ». La formulation a de quoi surprendre. Ce synode a tout l’air d’être l’occasion rêvée pour un mélange des genres dangereux : réforme liturgique, pastorale, et écologique ; enjeux locaux, et lois de l’Eglise universelle. On peut légitimement s’alarmer, d’autant que le document de travail, l’Instrumentum laboris préparatoire, qui vient de paraître, présente quelques directions plus qu’inquiétantes.Bien qu’il s’attache à un territoire spécifique, l’espace amazonien, le document prétend avoir vocation à élargir les conclusions à l’ensemble de l’Eglise, dans des directions totalement à rebours de la Tradition, au motif « qu’il faut dépasser les positions rigides qui ne tiennent pas suffisamment compte de la vie concrète des gens et de la réalité pastorale pour répondre aux besoins réels des peuples et des cultures autochtones. » [sic] Comment les missionnaires de Chine et d’Afrique auraient-ils semé la graine de la foi catholique s’ils avaient cherché par-dessus tout à « répondre aux besoins des cultures autochtones » ? Est-ce à la foi du Christ de s’adapter localement ? Et si le texte a portée universelle, jusqu’où va-t-on pousser « l’adaptation », dans nos sociétés occidentales ? C’est introduire le ferment du relativisme le plus absolu au sein de la transmission de la foi.Par ailleurs, l’Instrumentum laboris pousse jusqu’au bout l’idée, présente de manière diffuse dans les textes du Concile, qu’une partie de la Révélation peut se trouver, d’une manière ou d’une autre, dans des cultes non-chrétiens. Mais il va jusqu’à inverser l’ordre des valeurs, en recommandant tout simplement l’enseignement de la théologie indienne « dans toutes les institutions éducatives » en vue d’« une meilleure et plus grande compréhension de la spiritualité indigène », et afin de « prendre en considération les mythes, traditions, symboles, rites et célébrations originels ».

L’Amérique latine fut tirée du paganisme et convertie par la foi des missionnaires jésuites… cette même ardeur qui fait qu’un certain Bergoglio, en Argentine, put hériter d’une foi catholique transmise au fil des siècles jusqu’à faire de lui un pape. Cette histoire terrible et belle, tumultueuse et émouvante, incarnée dans le chef-d’œuvre qu’est le film Mission,  chantée dans les œuvres musicales sacrées si intenses du baroque mulâtre, est aujourd’hui foulée au pied au profit d’un néo-paganisme aux relents d’écologisme frelaté. Il est demandé au catholicisme, sans le moindre discernement, de se prêter au jeu du panthéisme, à travers « la foi en Dieu Père-Mère créatrice », « les relations avec les ancêtres », « la communion et l’harmonie avec la terre » ou encore la connexion avec « les différentes forces spirituelles ».Mais le séisme en germe dans le texte préparatoire ne s’arrête pas à ces considérations. Il va plus loin en remettant en cause le célibat des prêtres, là encore, dans un souci affiché de s’adapter aux réalités locales. En Amazonie, l’espace est immense, et les pasteurs peu nombreux : il faut donc envisager l’union des prêtres, et un « ministère officiel pour les femmes ». Et que dire de l’Europe déchristianisée, aujourd’hui immensément vide de prêtres ? Le débouché d’une telle expérimentation est malheureusement limpide.

A travers ce texte, l’Eglise tend à emprunter le chemin qu’avaient tracé pour elle il y a quelques décennies les tenants de la théorie de la libération, contre laquelle le pape Jean-Paul II s’était vigoureusement battu. Aujourd’hui, il est maintenant à espérer que l’Eglise catholique, apostolique et romaine ne perde pas définitivement son âme dans la jungle…

Constance Prazel Déléguée générale de Liberté politique

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