Quand le journal américain (très conservateur) Breitbart parle du Synode sur l’Amazonie, on voit le coup venir : revoilà la peur d’un « programme néo-païen » qui viendrait infiltrer l’Eglise. Des rumeurs qu’on aime aussi reprendre dans certains milieux en France comme en témoigne une récente chronique dans le Figaro.
« les missionnaires chrétiens actuels davantage comme des défenseurs des cultures indigènes et de leurs coutumes plutôt que des prédicateurs de l’Évangile de Jésus Christ. »

Le monde chrétien classique croyait à l’éternité de l’âme, et veillait à préparer son salut. L’objectif d’éternité est aujourd’hui descendu du Ciel vers la terre, l’obsession de sauver la planète a remplacé le désir de sauver son âme. À trop se poser la question de la pérennité des ressources énergétiques, l’homme tend à oublier que la seule durée qui vaille est celle de l’éternité de la vie en Dieu. Comment rétablir l’ordre des priorités ? Comme inventer un modèle écologique qui mette en valeur le respect de la Création, l’enracinement et la transmission, seuls à même de préserver les équilibres sociaux et naturels ?

Le discours écologiste s’intéresse moins à la sauvegarde d’un environnement désirable pour l’Homme qu’à la lutte contre son anthropisation, même lorsqu’elle est justifiée sur le plan utilitariste, c’est-à-dire pour le bien-être de l’Homme. L’ultime solution pour contrarier les sociétés modernes est donc de déchoir l’utilité humaine de son rang d’étalon de valeur.
Pour l’écologie anthropophobe, l’Homme est la seule espèce privée du droit de participer à cette lutte. Sa désacralisation est d’autant plus perfide qu’elle mise sur la corruption de la culture judéo-chrétienne qui, aux côtés de la philosophie grecque, l’a longtemps placé au sommet de la hiérarchie des espèces.
On cite là Lynn White, précurseur de cette mauvaise conscience écologique chrétienne. Et voilà, en deux coups de cuillère à pot… le pape François et son fameux animisme latent.
Désireux d’invalider les critiques écologistes contre un christianisme «excessivement anthropocentré», le Pape François, dans sa seconde encyclique intitulée Laudato Si’, multiplie les sous-entendus animistes et panthéistes que les traditionalistes assimileraient volontiers à de l’hérésie.Selon cette idéologie, Dieu n’est plus exclusivement l’Être qui transcende le monde. Il imprègne une nature immanente. On comprend dans ces conditions que «tout crime envers la nature est un péché envers Dieu», ainsi que le clame le Pontife
L’auteur s’interroge ainsi naïvement sur ce que peut encore être alors un « crime » contre la nature. Couper un arbre est-il un crime ? Tuer un rat aussi ?
Reste à savoir ce qu’est un «crime» envers «la nature». Faut-il réprimer tous les bûcherons et les dératiseurs comme certains proto-terroristes persécutent les bouchers au nom de cet autre anti-humanisme qu’est l’antispécisme? Que certains conservateurs se réclament de cette «écologie intégrale» qui porte en elle les germes de la destruction de l’idée occidentale illustre la victoire intellectuelle des écologistes.
Ce discours rationnel peut-il triompher d’un animisme à deux doigts de considérer la loi de la jungle supérieure au Code civil? Ou faut-il renouer avec une certaine conception du sacré pour relégitimer l’existence humaine?
L’écologie politique n’est donc plus seulement le nouvel avatar d’un collectivisme totalitaire. Il est le stade logique d’une aigreur anti-capitaliste qui, non contente d’avoir échoué à transformer cette vile nature humaine égoïste au siècle dernier, rêve désormais de la voir dépérir.
L’Eglise va-t-elle se perdre dans la jungle ?
Au mois d’octobre prochain, se tiendra une réunion mondiale des évêques qui aura pour sujet : « Amazonie : de nouveaux chemins pour l’Église et pour une écologie intégrale ». La formulation a de quoi surprendre. Ce synode a tout l’air d’être l’occasion rêvée pour un mélange des genres dangereux : réforme liturgique, pastorale, et écologique ; enjeux locaux, et lois de l’Eglise universelle. On peut légitimement s’alarmer, d’autant que le document de travail, l’Instrumentum laboris préparatoire, qui vient de paraître, présente quelques directions plus qu’inquiétantes.Bien qu’il s’attache à un territoire spécifique, l’espace amazonien, le document prétend avoir vocation à élargir les conclusions à l’ensemble de l’Eglise, dans des directions totalement à rebours de la Tradition, au motif « qu’il faut dépasser les positions rigides qui ne tiennent pas suffisamment compte de la vie concrète des gens et de la réalité pastorale pour répondre aux besoins réels des peuples et des cultures autochtones. » [sic] Comment les missionnaires de Chine et d’Afrique auraient-ils semé la graine de la foi catholique s’ils avaient cherché par-dessus tout à « répondre aux besoins des cultures autochtones » ? Est-ce à la foi du Christ de s’adapter localement ? Et si le texte a portée universelle, jusqu’où va-t-on pousser « l’adaptation », dans nos sociétés occidentales ? C’est introduire le ferment du relativisme le plus absolu au sein de la transmission de la foi.Par ailleurs, l’Instrumentum laboris pousse jusqu’au bout l’idée, présente de manière diffuse dans les textes du Concile, qu’une partie de la Révélation peut se trouver, d’une manière ou d’une autre, dans des cultes non-chrétiens. Mais il va jusqu’à inverser l’ordre des valeurs, en recommandant tout simplement l’enseignement de la théologie indienne « dans toutes les institutions éducatives » en vue d’« une meilleure et plus grande compréhension de la spiritualité indigène », et afin de « prendre en considération les mythes, traditions, symboles, rites et célébrations originels ».
L’Amérique latine fut tirée du paganisme et convertie par la foi des missionnaires jésuites… cette même ardeur qui fait qu’un certain Bergoglio, en Argentine, put hériter d’une foi catholique transmise au fil des siècles jusqu’à faire de lui un pape. Cette histoire terrible et belle, tumultueuse et émouvante, incarnée dans le chef-d’œuvre qu’est le film Mission, chantée dans les œuvres musicales sacrées si intenses du baroque mulâtre, est aujourd’hui foulée au pied au profit d’un néo-paganisme aux relents d’écologisme frelaté. Il est demandé au catholicisme, sans le moindre discernement, de se prêter au jeu du panthéisme, à travers « la foi en Dieu Père-Mère créatrice », « les relations avec les ancêtres », « la communion et l’harmonie avec la terre » ou encore la connexion avec « les différentes forces spirituelles ».Mais le séisme en germe dans le texte préparatoire ne s’arrête pas à ces considérations. Il va plus loin en remettant en cause le célibat des prêtres, là encore, dans un souci affiché de s’adapter aux réalités locales. En Amazonie, l’espace est immense, et les pasteurs peu nombreux : il faut donc envisager l’union des prêtres, et un « ministère officiel pour les femmes ». Et que dire de l’Europe déchristianisée, aujourd’hui immensément vide de prêtres ? Le débouché d’une telle expérimentation est malheureusement limpide.
A travers ce texte, l’Eglise tend à emprunter le chemin qu’avaient tracé pour elle il y a quelques décennies les tenants de la théorie de la libération, contre laquelle le pape Jean-Paul II s’était vigoureusement battu. Aujourd’hui, il est maintenant à espérer que l’Eglise catholique, apostolique et romaine ne perde pas définitivement son âme dans la jungle…
Constance Prazel Déléguée générale de Liberté politique