Ca y est. Un premier texte commence à s’ébaucher pour préparer la conclusion du synode. Mais le pacte signé dimanche, dans les catacombes romaines, pourrait bien être l’appel le plus important du synode pour les années à venir.
Les travaux se poursuivent. Un climatologue de Potsdam est intervenu dans l’assemblée pour évoquer les changements climatiques en cours.
Une autre intervenante, Judite da Rocha, coordinatrice du mouvement des victimes des barrages (MAB) a évoqué la situation dramatique liée au développement des centrales hydroélectriques en Amazonie. Car celles-ci ne sont pas simples projets de production d’énergie électrique (qui n’a rien de propre, vu les dégats environnementaux et humains) : elles servent souvent d’avant-poste pour l’installation d’industries minières et extractives qui accélèrent le processus de destruction, avec son lot de violences, de pollutions, de dégradations sanitaires.
La prise de parole du Cardinal Fridolin Ambongo Besungu, capucin, archevêque de Kinshasa (RD-Congo) et vice-président du Réseau ecclésial panamazonien (Repam), fut à noter aussi. Issu du bassin du Congo, il a noté les parallèles à faire avec sa réalité sociale et environnementale. A l’exception du peuple pygmée qui est en danger, ce sont surtout les populations locales qui sont menacées.
Plusieurs intervenants ont souligné le caractère particulier de ce synode qui a été précédé de deux années de travail. Que va-t-il se passer après ? Peut être cela passera-t-il par un organisme spécifique amazonien qui pourrait être créé pour mettre en pratique les décisions du synode.
Peut être un début de réponse est à trouver dans le geste du renouvellement du Pacte des catacombes qui fut signé en 1965 par une quarantaine de participants du Concile Vatican II. A la question d’une Eglise pauvre à l’écoute des pauvres, les nouveaux signataires ont rajouté dimanche l’urgence de défendre la « maison commune ». En voici le texte, pour un engagement qui est un des fruits de cinquante années d’expérience conciliaire dont l’option préférentielle pour les pauvres est des plus beaux :
Nous, participants au Synode panamazonien, nous partageons la joie de vivre parmi de nombreux peuples indigènes, quilombolas, d’habitants des rives de fleuves, de migrants et de communautés des périphéries des villes de cet immense territoire de la planète. Avec eux, nous avons fait l’expérience de la puissance de l’Évangile qui agit dans les plus petits. La rencontre avec ces peuples nous interpelle et nous invite à une vie plus simple, de partage et de gratuité. Marqués par l’écoute de leurs cris et de leurs larmes, nous accueillons chaleureusement les paroles du Pape François : « Beaucoup de frères et sœurs en Amazonie portent de lourdes croix et attendent la consolation libératrice de l’Évangile, la caresse de l’amour de l’Église. Pour eux, avec eux, nous marchons ensemble » (1).
Souvenons-nous avec gratitude de ces évêques qui, dans les catacombes de sainte Domitille, à la fin du concile Vatican II, ont signé le Pacte pour une Église servante et pauvre. Nous nous souvenons avec vénération de tous les martyrs membres des communautés ecclésiales de base, des organismes pastoraux et des mouvements populaires, des leaders indigènes, des missionnaires hommes et femmes, des
laïques et des laïcs, des prêtres et des évêques, qui ont versé leur sang en raison de cette option pour les pauvres, de la défense de la vie et de la lutte pour protéger notre Maison commune. À la gratitude pour leur héroïsme, nous joignons notre décision de poursuivre leur lutte avec fermeté et courage. C’est un sentiment d’urgence qui s’impose face aux agressions qui dévastent aujourd’hui le territoire amazonien, menacé par la violence d’un système économique prédateur et consumériste. Devant la Très Sainte Trinité, devant nos Églises particulières, devant les Églises d’Amérique latine et des Caraïbes et devant celles qui sont solidaires avec nous en Afrique, en Asie, en Océanie, en Europe et dans le Nord du continent américain, aux pieds des Apôtres Pierre et Paul et de la multitude des martyrs de Rome, d’Amérique latine et surtout de notre Amazonie, en profonde communion avec le Successeur de Pierre, nous invoquons l’Esprit Saint et nous nous engageons personnellement et collectivement à :1. Assumer, face à l’extrême menace du réchauffement climatique et de l’épuisement des ressources naturelles, l’engagement à défendre la forêt amazonienne sur nos territoires et par nos attitudes. C’est d’elle que proviennent les dons de l’eau pour une grande partie de l’Amérique du Sud, la contribution au cycle du carbone et à la régulation du climat mondial, une biodiversité incalculable et une riche diversité sociale pour l’humanité et pour la Terre entière.
2. Reconnaître que nous ne sommes pas les propriétaires de notre mère la terre, mais ses fils et ses filles, formés par la poussière de la terre (Gn 2, 7-8), hôtes et pèlerins (1 Pt 1, 17b et 1 Pt 2, 11), appelés à être ses gardiens zélés (Gn 1, 26). À cette fin, nous nous engageons pour une écologie intégrale, dans laquelle tout est interconnecté, le genre humain et l’ensemble de la création, parce que tous les êtres sont filles et fils de la terre et sur elle plane l’Esprit de Dieu (Gn 1, 2).
3. Accueillir et renouveler chaque jour l’alliance de Dieu avec toute la Création : « Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, tout ce qui est sorti de l’arche. » (Gn 9, 9-10 et Gn 9, 12-17).
4. Renouveler dans nos Églises l’option préférentielle pour les pauvres, en particulier pour les peuples originaires, et garantir avec eux le droit d’être protagonistes dans la société et dans l’Église. Les aider à préserver leurs terres, leurs cultures, leurs langues, leurs histoires, leurs identités et leur spiritualité. Prendre conscience qu’elles doivent être respectées aux niveaux local et mondial et, par conséquent, encourager, avec tous les moyens à notre disposition, à les accueillir sur un pied d’égalité dans le concert mondial des peuples et des cultures.
5. Par conséquent, dans nos paroisses, diocèses et groupes, tout type de mentalité et d’attitude coloniale, en accueillant et valorisant la diversité culturelle, ethnique et linguistique dans un dialogue respectueux avec toutes les traditions spirituelles.
6. Dénoncer toute forme de violence et d’agression contre l’autonomie et les droits des peuples originaires, leur identité, leurs territoires et leurs modes de vie.
7. Proclamer la nouveauté libératrice de l’Évangile de Jésus Christ, en accueillant l’autre et le différent, comme ce fut le cas pour Pierre dans la maison de Corneille : « Vous savez qu’un Juif n’est pas autorisé à fréquenter un étranger ni à entrer en contact avec lui. Mais à moi, Dieu a montré qu’il ne fallait déclarer interdit ou impur aucun être humain. » (Ac 10, 28).
8. Marcher œcuméniquement avec les autres communautés chrétiennes dans l’annonce inculturée et libératrice de l’Évangile, et avec les autres religions et personnes de bonne volonté, en solidarité avec les peuples originaires avec les pauvres et les petits, dans la défense de leurs droits et dans la préservation de la maison commune.
9. Établir dans nos Églises particulières un style de vie synodal, dans lequel les représentants des peuples originaires, les missionnaires, les laïcs hommes et femmes, en vertu de leur baptême et en communion avec leurs pasteurs, ont une voix et un vote dans les assemblées diocésaines, dans les conseils pastoraux et paroissiaux, bref, en tout ce qui les concerne dans la gouvernance des communautés.
10. Nous engager à reconnaître d’urgence les ministères ecclésiaux déjà existants dans les communautés, exercés par des agents pastoraux, des catéchistes indigènes, des ministres – hommes et femmes – de la Parole, en valorisant en particulier leur attention aux plus vulnérables et exclus.
11. Rendre effectif dans les communautés qui nous sont confiées le passage d’une pastorale de la visite à une pastorale de la présence, en assurant que le droit à la Table de la Parole et à la Table de l’Eucharistie devienne effectif dans toutes les communautés.
12. Reconnaître les services et la véritable diaconie du grand nombre de femmes qui dirigent aujourd’hui des communautés en Amazonie, et essayer de les consolider avec un ministère adéquat de leaders féminins de communautés.
13. Chercher de nouveaux parcours d’action pastorale dans les villes où nous opérons, avec les laïcs et les jeunes comme protagonistes, en prêtant attention à leurs périphéries et aux migrants, aux travailleurs et aux chômeurs, aux étudiants, aux éducateurs, aux chercheurs et au monde de la culture et des communications.
14. Face à la vague de consumérisme, assumer un style de vie joyeusement sobre, simple et solidaire avec ceux qui ont peu ou rien ; réduire la production de déchets et l’utilisation du plastique ; encourager la production et la commercialisation de produits agro-écologiques ; utiliser les transports publics autant que possible.
15. Se placer aux côtés de ceux qui sont persécutés pour leur service prophétique de dénonciation et de réparation des injustices, de défense de la terre et des droits des plus petits, d’accueil et de soutien aux migrants et réfugiés. Cultiver de vraies amitiés avec les pauvres, visiter les personnes les plus simples et les malades, exercer un ministère d’écoute, de consolation et de soutien qui soulage et redonne espoir.
Conscients de nos fragilités, de notre pauvreté et de notre petitesse face à de si grands et si graves défis, nous nous confions à la prière de l’Église. Par-dessus tout, que nos communautés ecclésiales nous aident par leur intercession, leur affection dans le Seigneur et, quand cela est nécessaire, par la charité et la correction fraternelle. Acceptons avec un cœur ouvert l’invitation du Cardinal Hummes à nous laisser guider par l’Esprit Saint en ces jours du Synode et en regagnant nos églises : « Laissez-vous envelopper par le manteau de la Mère de Dieu, Reine de l’Amazonie. Ne nous laissons pas submerger par l’autoréférentialité, mais par la miséricorde devant le cri des pauvres et de la terre. Il faudra beaucoup prier, méditer et discerner une pratique concrète de communion ecclésiale et d’esprit synodal. Ce synode est comme une table que Dieu a dressée pour ses pauvres et Il nous demande de servir à cette table ».Célébrons cette Eucharistie du Pacte comme « un acte d’amour cosmique » : « “Oui, cosmique ! Car, même lorsqu’elle est célébrée sur un petit autel d’une église de
campagne, l’Eucharistie est toujours célébrée, en un sens, sur l’autel du monde”. L’Eucharistie unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute la création. Le monde qui est issu des mains de Dieu, retourne à lui dans une joyeuse et pleine adoration : dans le Pain eucharistique, “la création est tendue vers la divinisation, vers les saintes noces, vers l’unification avec le Créateur lui-même”. C’est pourquoi, l’Eucharistie est aussi source de lumière et de motivation pour nos préoccupations concernant l’environnement, et elle nous invite à être gardiens de toute la création » (2).(1) Pape François, Homélie de la messe d’ouverture du Synode, 6 octobre 2019.
(2) Pape François, Lettre encylique Laudato Si’, 24 mai 2015, n. 236 ; DC 2015, n. 2519, p.66-67.
Pour rappel un article de Christophe Chaland (La Croix) avait fait le point sur ce pacte de 1965
Qu’est-ce que le Pacte des catacombes ?
« Nous, évêques réunis au concile Vatican II, ayant été éclairés sur les déficiences de notre vie de pauvreté selon l’Évangile… avec la force dont Dieu veut bien nous donner la grâce, nous nous engageons à ce qui suit… » Le 16 novembre 1965, trente-neuf pères conciliaires célèbrent dans la catacombe Sainte-Domitille à Rome une eucharistie présidée par Mgr Charles-Marie Himmer, évêque de Tournai (Belgique). Le pape Paul VI a lui-même célébré la messe quelques jours plus tôt dans ce lieu de mémoire de l’Église des commencements. Après la célébration, ils signent un texte en 13 points affirmant leur intention de changer de style de vie et de pastorale pour mieux évangéliser les pauvres.
Ils veulent « vivre selon le mode ordinaire de (leur) population en ce qui concerne l’habitation, la nourriture, les moyens de locomotion et tout ce qui s’ensuit ». Ils renoncent « pour toujours à l’apparence et à la réalité de richesse spécialement dans les habits (…), les insignes en matière précieuse (ces signes doivent être en effet évangéliques). Ni or ni argent. » Ils entendent donner leur temps et leurs moyens au service des « personnes et groupes économiquement faibles ». Ils veulent transformer les œuvres de bienfaisance en œuvres sociales où justice et charité sont associées. Ils souhaitent vivre la collégialité épiscopale en prenant en charge ensemble « les masses humaines en état de misère physique, culturelle et morale – les deux tiers de l’humanité ». Ils s’engagent à « partager dans la charité pastorale leur vie avec leurs prêtres, les religieux et laïcs » pratiquant avec eux la révision de vie. Ils susciteront des collaborateurs « davantage animateurs selon l’Esprit que chefs selon le monde ». « Nous chercherons à être plus humainement présents, accueillants ; nous nous montrerons ouverts à tous, quelle que soit leur religion », affirment-ils encore.
Plus de la moitié sont latino-américains. Dom Helder Camara, archevêque de Recife, dans une zone pauvre du Brésil, est l’un des huit Brésiliens. Les Français Guy-Marie Riobé, évêque d’Orléans, Gérard Huyghe d’Arras et Adrien Gand, évêque auxiliaire du cardinal Liénart à Lille sont présents, ainsi que Georges Mercier, évêque de Laghouat au Sahara. Georges Hakim, évêque melkite de Nazareth, futur patriarche Maximos V est également parmi les 39. La plupart sont familiers d’un groupe d’évêques dit « de l’Église des pauvres » ou « du Collège belge », ainsi nommé car il se réunit depuis le début du Concile au Collège belge de Rome, sous la présidence du cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, mais dont les animateurs sont Dom Helder Camara, le cardinal Lercaro, archevêque de Bologne, ou encore Mgr Haki. Plus tard, le texte du Pacte est diffusé, et d’autres évêques – on parle de 500, surtout latino-américains – s’engagent, à leur tour, à adopter le style de vie qu’il décrit.
Qui a rédigé le texte ?
Le manifeste spirituel est présenté à la presse par Dom Helder Camara et publié en janvier 1966 par les Informations catholiques internationales, mais nul ne sait où se trouve l’exemplaire original signé dans la catacombe. Le texte est le fruit d’un travail collectif dont les auteurs principaux semblent être le P. Paul Gauthier, venu au Concile comme expert de Mgr Georges Hakim, et Mgr Grégoire Haddad, évêque grec-melkite de Beyrouth, surnommé « l’Abbé Pierre de l’Orient ». Paul Gauthier, prêtre du diocèse de Dijon devenu prêtre-ouvrier, a fondé en 1957 à Nazareth « Les compagnons et compagnes de Jésus charpentier » et rédigé une réflexion en vue du Concile. Ce document, « Jésus, l’Église et les pauvres », est remis à au moins 400 pères conciliaires. C’est aussi la base de travail du groupe d’évêques « du Collège belge » – le lieu à Rome où loge son secrétaire, le P. Gauthier.
Mais le Pacte des catacombes doit être considéré comme le fruit d’une évolution des mentalités sur plusieurs années. Ainsi, un mois avant l’ouverture du Concile, le pape Jean XXIII affirme dans son Message au monde (11 septembre 1962) : « En face des pays sous-développés, l’Église se présente telle qu’elle est et veut être : l’Église de tous et particulièrement l’Église des pauvres ». Le 6 décembre 1962, à la fin de la première session conciliaire, le cardinal Lercaro est vivement applaudi lorsqu’il expose, en écho au pape, ce qu’il estime être le thème central de Vatican II, l’Église en tant précisément qu’Église des pauvres. « Si l’Église est fidèle à la pauvreté, elle y trouvera la lumière et la méthode la plus apte pour prêcher intégralement l’Évangile », proclame le cardinal.
Quelle est sa postérité ?
C’est toute l’Église de l’après-Vatican II qui se déleste, peu à peu, d’usages encombrants hérités des siècles précédents. Sitôt rentré au Brésil, alors sous la dictature militaire, Dom Helder Camara, lui, met en actes le pacte, à la lettre. Le nonce au Brésil lui reproche de perdre son temps à faire la queue pour attendre le bus car il a renoncé à sa voiture avec chauffeur. Il prend la parole pour défendre les pauvres et, pendant les années les plus dures de la dictature, le pouvoir le réduit au silence. Mais sa façon de vivre est éloquente.
D’autres évêques en Amérique latine adoptent également une vie sobre qui leur permet d’être proches du peuple. Dom Helder Camara est aussi une des chevilles ouvrières du Conseil épiscopal latino-américain (Celam), laboratoire d’idées pour réaliser l’aggiornamento de l’Église expressément demandé par Paul VI aux évêques latino-américains. En 1968, à Medellin (Colombie), le Celam développe les idées du groupe conciliaire de « l’Église des pauvres » : l’Église doit changer. À Puebla (Mexique) en 1979, il affirme « l’option préférentielle (de l’Église) pour les pauvres », que le pape Jean-Paul II intégrera à la doctrine sociale de l’Église. Ces réflexions modifient profondément l’Église catholique du continent, non sans tensions.
Cinquante ans après le Pacte des catacombes, le pape François, qui était étudiant en théologie à Buenos Aires à la fin du Concile, incarne au plus haut niveau de l’Église l’esprit du texte. Dès le début de son ministère d’évêque de Rome, il refuse d’emménager dans les appartements pontificaux. En voyage à l’étranger, il circule non pas dans les limousines officielles mais dans la voiture de monsieur tout-le-monde. Ses interlocuteurs sont unanimement marqués par sa simplicité. Le pape François exhorte régulièrement ses frères évêques à fuir la mondanité et demande aux nonces de repérer de futurs évêques qui seront « proches des gens ». Et son exemple fait des émules. Ou met en évidence le comportement de ceux qui n’auraient pas renoncé à l’apparat ou au luxe, autant d’entraves à la liberté de celui qui annonce l’Évangile.