
Visite au Vatican suite. Plusieurs témoignages et articles rendent compte de ce qui s’est dit lors de cette rencontre presqu’informelle.
Le Figaro et le magazine La vie, par exemple, racontent comment le pape s’est rapidement éloigné du discours officiel pour improviser en italien. Dans la foulée, le pape a également expliqué comment il avait décidé de hâter l’écriture de l’encyclique Laudato Si’, afin que le texte soit prêt au moment de la Conférence pour le Climat de 2015 à Paris. Et ce, après sa visite aux institutions européennes à Strasbourg, où il avait été accueilli par Ségolène Royal, ministre de l’Écologie.Et de raconter comment sa rencontre avec Ségolène Royal, en 2014 à Strasbourg, l’a poussé à accélérer la publication de son encyclique dont il a rédigé la version finale publiée le 24 mai et officialisée le 18 juin 2015, soit six mois avec la COP21 à Paris.
Son engagement pour l’écologie – qu’il a décrit comme un cheminement – a commencé après la fameuse conférence d’Aparecida de 2006, dont il fut une des principales chevilles ouvrières, et il a été nourri notamment, par les échanges avec les peuples autochtones.
«Quand je suis allé à Strasbourg à l’Union européenne, le président Hollande avait envoyé pour me recevoir la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal. Avant de quitter la ville nous avons dû attendre un peu et nous avons pu parler. Madame Ségolène Royal m’a alors demandé : ‘Est-il vrai que vous écrivez quelque chose sur l’écologie ?’ Oui, c’était vrai. Elle me répondit alors : ‘S’il vous plait, publiez-la avant la rencontre de Paris’ . J’ai alors appelé l’équipe qui travaillait sur cette encyclique, une équipe de scientifiques et une équipe de théologiens, et je leur ai dit : ‘Cette encyclique doit sortir avant le sommet de Paris !’. Mais ‘pourquoi’ ont-ils questionné ? ‘Pour faire pression !’ . »
Autre information intéressante : le pape, lui aussi, a vécu une forme de conversion écologique. Elle s’origine notamment lors des travaux de la conférence des épiscopats latino-américains dans la ville d’Aparecida au Brésil, en 2007. Il en a été une des principales chevilles ouvrières, et y a été nourri notamment, par les échanges avec les peuples autochtones.
« Les Brésiliens nous ennuyaient toujours avec leur insistance sur l’Amazonie. Mais qu’est-ce que l’Amazonie pouvait bien avoir à faire avec l’évangélisation ? C’était en 2007, puis j’ai publié l’encyclique Laudato Si en 2015. Entre-temps, il y a eu un parcours de conversion, de compréhension du problème écologique. Avant, je n’y comprenais rien. Je voudrais souligner ceci : je suis passé de cette incompréhension en 2007 à la rédaction de cette encyclique en 2015. Je veux en donner le témoignage : il y a eu un chemin intérieur. Nous devons travailler pour que tous aient ce chemin de conversion écologique.»
Avant de finir sur la dimension sociale de cette prise de conscience, qui est alimentée par l’urgence des espaces de dialogues à inventer.
« La conversion écologique doit aboutir à l’harmonie générale, la corrélation de toutes choses. Or nous avons perçu le sens des corrélations humaines dans nos sociétés (…), cette relation humaine qui crée l’harmonie humaine. Mais nous avons aussi perdu le sens des racines, de l’appartenance. Et quand un peuple perd le sens des racines, il perd sa propre identité. (…) La parole clé c’est l’harmonie. La parole humaine clé est la tendresse, la capacité de caresser. Les structures politiques sont nécessaires, mais la structure humaine c’est le dialogue entre les vieux et les jeunes».
Le site Vatican.news apporte d’autres informations en reprenant le témoignage de Gaël Giraud : témoignage personnel de la part de François, celui d’une conversion écologique vécue «comme un chemin» à partir de la conférence d’Aparecida organisée par le Conseil épiscopal latino-américain (CELAM) en 2007; ensuite la mise en avant de la sagesse des peuples autochtones, et de leur capacité à utiliser en harmonie la tête, les mains et le cœur; le thème de l’intelligence artificielle et de ses limites, notamment concernant son incapacité à imiter ce qui vient du cœur de l’homme, sa tendresse; puis l’importance de la solidarité intergénérationnelle, à cultiver par le dialogue et la prise de conscience de ses racines personnelles; enfin la différence entre le combat politique et le combat pour la sauvegarde de la maison commune – pour le premier, les compromis sont indispensables, tandis que pour le second, ils sont inacceptables.
«Le Pape a montré beaucoup de sagesse, d’humilité», confie le chercheur Pablo Servigne, théoricien du concept de “l’effondrement”, pour qui l’encyclique Laudato Si’, publiée il y a cinq ans, constitue un «remarquable écrit». Damien Nodé-Langlois, professeur de SVT, apiculteur, travaillant à la protection judiciaire des jeunes à Bobigny, a apprécié les propos du Saint-Père sur les racines, dont les jeunes semblent souvent déconnectés, alors qu’il est «nécessaire de savoir d’où l’on vient pour porter du fruit». Pour Maxime de Rostolan, entrepreneur écologiste engagé depuis l’âge de 17 ans, cette rencontre, et plus largement cette expérience commune depuis le départ du sol français semblent avoir amorcé une «réconciliation avec l’Église et la religion». C’est bien là la force de l’esprit insufflé par l’encyclique Laudato Si’, dont le retentissement a largement dépassé le cadre de l’Église depuis sa parution: construire des ponts, bâtir une fraternité universelle au sein de la maison commune, révéler un visage de la foi attentionné, libre de toute querelle ou intérêt personnel, engagé dans les défis actuels tout en restant fidèle à ses convictions. (…) «Cette expérience montre combien il est important que nous, chrétiens, rencontrions des personnes de bonne volonté», témoigne quant à lui Laurent Landete, directeur général délégué du Collège des Bernardins. «Ce qui me peine», ajoute-t-il en expliquant que le Saint-Père avait douloureusement acquiescé à sa remarque, «c’est l’indifférence écologique de certains catholiques», la difficulté de faire des liens entre les «disciples missionnaires» et les disciples de Laudato Si’. Les médias ont une «responsabilité (…) pour faire avancer les chrétiens dans leur responsabilité écologique», estime-t-il.
Le pape a aussi insisté sur l’importance du dialogue intergénérationnel, citant le prophète Joël : « Ce sont les vieux qui rêvent et les jeunes qui prophétisent », et appelant les uns et les autres à travailler main dans la main pour que chacun puisse accomplir sa mission
L’actrice Juliette Binoche, qui est marquée par le Dialogue avec l’ange (un livre qu’elle a offert au pape) raconte :
« Rencontrer le pape, c’est une drôle d’histoire. On s’imagine beaucoup de choses, mais dans sa présence, il devient tangible, possible, un être humain qui essaye de faire autant qu’il peut, qui demande de prier pour lui… » Et de parler de la « révélation » qu’a été pour elle Laudato Si’ : « Souvent on met le profane d’un côté et le sacré de l’autre, mais pour moi tout instant est sacré, tout est sacré si on le veut bien, si l’on fait renaître cette présence entre nous, en mettant nos téléphones, nos peurs et nos barrières de côté, en changeant notre relation à la nature, en retrouvant l’émerveillement devant ce qui nous est donné… L’écologie c’est savoir être dans la présence les uns des autres. »

En 2015, Valérie Cabanes avait elle-aussi été profondément touchée par la lecture de Laudato Si’. Juriste internationale, spécialiste des droits des peuples autochtones, elle plaide depuis dix ans, pour la reconnaissance du crime d’écocide. Et elle explique : « Le texte du pape renversait la table, car il nous invitait à nous reconnaître comme éléments de la nature et à descendre du piédestal où nous nous croyions posés… Je critiquais souvent l’Église sur la manière dont le christianisme avait contribué à promouvoir la domination de l’homme sur le vivant en utilisant certains versets comme le verset 26 de la Genèse, et tout à coup le pape apportait un autre éclairage. » Lors de l’audience privée, la juriste a sollicité François pour qu’il soutienne une campagne internationale lancée par la fondation Stop Ecocide, pour demander aux États les plus puissants, de soutenir la demande de Vanuatu et des Maldives, durement menacées par la montée des eaux, d’une reconnaissance du crime d’écocide. « Il a l’oreille de plusieurs chefs d’État du monde, et s’il intervient diplomatiquement, il peut faire avancer les choses », a-t-elle souligné.
Et Pablo Servigne, spécialiste de collapsologie, de rajouter
« Laudato Si’ m’a touché au cœur pour plein de raisons, raconte-t-il, la première étant que le pape met l’accent sur les peuples indigènes, les communautés autochtones qui ont beaucoup à nous apprendre, et cela touche mes racines colombiennes. (…) J’aime beaucoup cette anthropologie inversée car les communautés autochtones ont déjà vécu une fin du monde et nous sommes désemparés face à cela. Ils ont beaucoup à nous apprendre, ils nous montrent que faire de l’écologie c’est augmenter la taille de la maison commune aux dimensions de la terre et de la biosphère (…) Le pape s’est vraiment rendu compte que nous étions au bord du précipice, que c’était une question de vie ou de mort. Et l’altruisme peut sortir dès que l’on se rend compte que nous touchons à une question de vie ou de mort. »
Par ailleurs, Audrey Pulvar, qui représente la mairie de Paris, a aussi profité de la rencontre pour inviter le pape François à venir à Paris en décembre 2020 pour commémorer les 5 ans de l’accord de Paris. Pas sûr que le pape puisse répondre à l’invitation, le Vatican venant d’annoncer qu’il ne referait pas de voyage officiel avant un bon moment.


C’est un très beau témoignage que le pape François nous donne : comment il n’est pas tombé dans la « marmite écolo » étant petit mais que les rencontres, la vie l’a amené à une conversion personnelle !!