ECOLOGIE – Carême à visée cathartique

Depuis trois ans, le diocèse de Paris a choisi de donner la parole à un même prédicateur, le P. Guillaume. Cette année encore, il a proposé un parcours intéressant sur les enjeux d’une théologie et d’une pastorale du salut pour les chrétiens d’aujourd’hui. Mais quelle mouche l’a piqué pour caricaturer la question écologique comme il le fait dans sa première méditation ?

Avant de proposer une lecture critique de son texte, soulignons qu’un certain nombre de chrétiens ont décidé depuis lors d’interpeller les autorités ecclésiales parisiennes sur un tel discours souvent réducteur voire méprisant pour des chrétiens, aussi engagés et respectueux que le prédicateur lui-même. Un texte circule en ce sens et de nombreux signataires – laïcs et prêtres – y ont apporté leur soutien.

Un mot rapide sur le prédicateur lui-même. L’homme a sa propre page Wikipedia, excusez du peu. Où l’on découvre un parcours brillant d’un homme devenu prêtre très tôt et enchainant études de théologie de haut vol et des engagements pastoraux dans les plus sélects des paroisses et des établissements scolaires parisiens. Sans oublier son travail de recherche aux Bernardins notamment. Nul doute que l’homme est promis à une belle carrière ecclésiastique. Tant mieux pour lui. D’ailleurs, il a le verbe facile et les citations nombreuses, parfois issues d’un monde ancien pour lequel on sent une indubitable nostalgie.

Plus surprenant, donc, est l’ouverture de son enseignement le 21 février dernier dans le cycle des Conférences de Carême, devant un parterre parsemé de paroissiens, parmi lesquels ont reconnait l’évêque de Paris. Après avoir évoqué la disparition du thème de la « Rédemption » dans la catéchèse contemporaine (une affirmation péremptoire qu’il serait intéressant d’évaluer…), il croit pouvoir repérer trois thématiques au moins, dans ce monde ci où les « fins dernières » sont au moins évoquées, même si elles le sont pour de mauvaises raisons. Avec le sens du slogan qui claque, il les résume autour de la trilogie « hygiénisme, écologisme, transhumanisme ».

Après avoir évoqué l’expérience de la pandémie actuelle avec des accents de prédicateur ironique – un vieux ressort de l’art de la prédication (« Je me suis découvert héroïque, j’ai sauvé des vies par mon courageux far niente »), il fustige le vice de l’oisiveté érigé en vertu qui empêcherait les humains de vivre et les croyants de prier. Tant pis pour l’engagement courageux du corps soignant, en première ligne d’une pandémie nouvelle et indomptable. Il semble plus facile de tirer à boulet rouge sur cette société qui a perdu le sens de la mort courageuse. Et vient, inévitable – comme dans tout bon discours conservateur qui se respecte – une critique en ligne du principe de de précaution caricaturé une fois encore à l’extrême. Tant pis pour la vertu de prudence qui n’est pas invoquée pour le coup, alors qu’elle est, elle aussi chrétienne.

On peut s’interroger sur cette nécessité si médiatique – dans une conférence de Carême ou sur les plateaux télés – de faire de la philosophie existentielle à partir d’une expérience sociale inédite, complexe et douloureuse. Le temps de l’intériorisation de ce qui se passe, en acceptant l’humilité d’abord d’écouter et de partager la vie, semble devenu du temps perdu. Alors hygiénistes, les mesures sanitaires prises pour protéger les ainés ? Posture morale, le fait d’éviter la contamination familiale ? Intéressant de voir que le prélat voit un danger paradoxal : « Ce n’est pas aux médecins de s’ériger comme un nouveau clergé en définissant ce qui est bien ou mal. » Bien sûr, on ne peut qu’acquiescer à ce rappel. Pour autant, l’expression en dit long sur le besoin de préserver les prérogatives de « l’ancien clergé »… Plus insupportable encore est cette tirade comique sur les malades asymptomatiques, « chrétiens non-pratiquants de la médecine » ou même, dans une analogie osée «  ces catholiques asymptomatiques qui ne laissent rien paraître de la foi ». Pour un théologien de sa carrure, oser la comparaison entre une contamination virale et l’expérience de la foi chrétienne me parait bien légère, pour ne pas dire choquante. Après avoir cité – comme il convient le satirique Dr Knock – le prédicateur tient sa chute, théâtrale :  » Ainsi à la faveur paradoxale d’un malheureux pangolin, la question de nos fins dernières est de retour. »

Vient maintenant la pièce de choix qui nous concerne plus directement ici.

L’occasion était trop belle pour ne pas faire de la critique de la gestion de la crise sanitaire, comme parangon de la mentalité hygiéniste contemporaine, le premier pas vers une attaque frontale contre la pensée écologique contemporaine.

Dessinons les étapes de ce raisonnement si peu subtil :

  • la prise de conscience écologique contemporaine relève de la ferveur religieuse. En effet, pour le prédicateur, appeler à un changement de comportement relève de la pensée religieuse. Citant au passage, la puissance de pensée de Jean Yanne qui doit être flatté là où il est : « Tout le monde veut sauver la Planète, mais personne ne veut descendre la poubelle« , il sous-entend évidemment que tout cela ne relève que d’une hypocrisie de plus.
  • Puisque l’écologie veut changer nos vies, il lui faut un motif supérieur, donc transcendant. Ce motif n’est pas le référentiel chrétien. CQFD : « la conversion écologique doit  » soit trouver un appui dans les religions existantes soit, plus probablement, se substituer à elle« . (Au passage, petite analogie pseudo-paulinienne sur le tri des déchets et celui du tri à mener dans notre vie intérieure à la suite du Christ, sans oublier le tri ultime, eschatologique).
  • Le mépris s’affiche plus clairement encore en posant en comparaison le souci environnemental et le souci spirituel, comme si ils étaient obligatoirement en concurrence. Au lieu de se réjouir de voir que ces prises de conscience réveillent aussi notre sens moral, il est plus simple, une fois encore de dénoncer l’autre « grand remplacement » (un autre bon truc de l’art prédicatoire) : ce sens moral n’est plus porté par les « clercs » (tant pis pour le peuple de Dieu) mais «  par des adolescentes nordiques qu’angoisse la disparition des phoques ou des chimpanzés, prémices et prophétie de notre propre disparition. » On appréciera cette délicate expression condescendante que l’on retrouve, une fois encore, dans bien des milieux autorisés. Le mépris des « ainés qui savent » contre les « jeunes qui n’ont qu’à se taire » est lui aussi biblique, pour y être dénoncé à bien des reprises…
  • Étape suivante : réduire la prise de conscience écologique à quelques idées simplistes. Du genre : « en plus, ils ne sont même pas joyeux ces écolos… de mon temps au moins on avait des idéologiques enthousiasmantes ». On appréciera quand on sait oh combien le marxisme et l’existentialisme ont fait des générations de gens heureux et enjoués. Le discours écologique est donc réduit à un propos catastrophiste (tant pis pour les appels des scientifiques qui se multiplient) et l’ambition à un simple coup de frein contre « la décadence ».
  • Enfin, le bouquet final arrive. Après avoir dénoncé la prétention scientiste des discours sur les commencements et les fins du monde tels que les décrit la science contemporaine, la pointe est là: tout cela relève d’une « propagande verte ». Bien sur, les choses sont dites avec élégance : l’écologie comme vertu de tempérance n’est pas l’écologisme qui est une « idéologie terrifiante, anti-humaniste ». Avec un culot certain, le prédicateur assimile toute la richesse et la complexité de cette quête contemporaine a son aspect le plus arrangeant pour lui, dans certains milieux de l’écologie profonde qui en arrivent à critiquer l’emprise de l’humain sur son monde. Faut il s’étonner que l’évocation de la « Déesse Nature » arrive à toute vitesse pour assimiler l’écologisme contemporain à un paganisme sanguinaire qui s’installe à nouveau ? Ainsi les militants sont assimilés à des défenseurs d’ours polaires qui n’aiment pas la vie humaine et qui passent leur temps à prôner la contraception chimique autour d’eux. Bref, on y est :  » Cette idéologie verte s’apparente à l’exécrable hérésie des cathares qui promouvaient le mépris de la chair, le végétarisme, le refus de la natalité et la promotion du suicide assisté, ce qui n’excuse pas d’ailleurs les violences qui furent exercés contre ces zadistes du Moyen-âge. Loin des ébahissements des touristes du Languedoc, il faut le dire : le catharisme fut une secte d’épouvante. En vouant l’homme périmé au rebut, son héritier, l’écologisme, constitue le fer de lance de ce que Jean-Paul II appelait la culture de mort. »

La suite du propos critique la pensée transhumaniste qui « semble d’ailleurs prendre l’exact contrepied du précédent. L’homme que l’écologisme entend restreindre ou supprimer, le transhumanisme entend l’améliorer ou le dépasser. » Et de conclure, triomphant :

« Hygiénisme, écologisme, transhumanisme : comme des serpents maléfiques, ces trois « ismes » insinuent leur venin d’angoisse dans nos esprits. Longtemps on a voulu nous faire croire que tout était sous contrôle. Que les politiques, les économistes, les scientifiques nous assureraient sous peu un avenir radieux. Cela ne prend plus, on ne veut plus se vouer à ces saints-là. Les palliatifs ne nous suffisent plus, il nous faut la solution de l’énigme, le dénouement de l’affaire, l’aboutissement du projet. Par delà les sauveteurs occasionnels, nous en appelons, sans trop oser y croire, à un Sauveur providentiel. »

Bref.

L’art de la prédication est un art difficile. Et il faut reconnaître au P. de Menthière un art consommé de la formule et des effets oratoires.

On lui reconnaitra moins facilement le droit d’avoir des propos aussi simplistes et méprisants pour des chrétiens et des non-chrétiens qui s’engagent depuis longtemps pour le bien commun, au nom même, pour beaucoup, des valeurs de l’Evangile. Et dans une perspective sotériologique tout à fait assumée qui elle aussi s’inscrit dans une perspective paulinienne : c’est parce que la « Création toute entière » est appelée au salut du Christ (Rom 8), qu’ils s’engagent, sans séparer l’engagement pour défendre la dignité des humains (notamment les plus pauvres) et celle des autres créatures dont nous sommes appelés à être de bons gardiens.

Que de tels propos puissent être tenus en temps de Carême dans un grand diocèse français interroge. Ils éclairent sans doute avec acrimonie le fait que ce même diocèse est un des plus lents à enclencher une vraie pastorale Laudato si depuis des années.

Heureusement, là aussi, sur le terrain, des laïcs, des prêtres, des communautés, des congrégations avancent, en silence, sans joute oratoire inutile. Capables de dialoguer avec d’autres, avec nuances et convictions bien assumées. Accompagnant au plus près les quêtes spirituelles et humaines, les joies et les peines des hommes et des femmes de ce temps. Et vivant une forme d’écologie intégrale qui n’a pas peur de la complexité du monde. Loin des vieux rêves de reconquête et des luttes éternelles contre les hérésies de tout temps.

E&E

3 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Pourrait-on au moins obtenir que l’archevêque de Paris nous épargne une 4e année de prédication du Père Guillaume?
    Comment se joindre à la pétition déjà publiée dans La Vie et la diffuser davantage pour que d’autres puissent la signer?

  2. dlang dit :

    Le site de La Vie devrait vous aider. Par ailleurs, pas nécessaire d’en faire une question de personne… même si la biodiversité humaine est source de renouveau ;p Pour le reste, les mots passent… A nous de témoigner que l’idéologie ne nous intéresse pas…

  3. Philippe VACHETTE dit :

    Un trés grand MERCI, cher Dominique pour cette mise au point respectueuse mais à la quelle une ironie discrète apporte une grande force ! Sais tu si il a été discrètement remis au pas par sa hiérarchie, ou bien si on le lausse donner ainsi des gages à l’aile la plus réactionnaire de l’église en France et à la Curie ? Je vais tout e même me plaindre à l’Archevéque de Paris qui devrait un peu contrôler ses troupe , à moins que le Guillaume de M ait été autorisé à dire tout haut ce que d’aucun au diocése pense tout bas !!!
    Dans quelle paroisse ou quelle instance sévit il ?

    Tiens bon, dans le joyeux esprit de Laudato Si !
    Philippe V

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