SPIRITUALITÉ – Cette écologie qui défrise

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Il fallait laisser passer un peu de temps. Faire place au silence. Mais il faut revenir maintenant sur une tirade récente du cardinal guinéen Sarah évoquant – en passant – l’écologie !

C’est Jean Marie Guénois, du Figaro qui donne la parole au prélat africain émérite qui continue de publier des ouvrages de spiritualité et de parcourir le monde pour les présenter. Pas sur que le bilan carbone soit très positif.

Ces ouvrages et ces conférences et ces entretiens sont aussi autant d’occasions de se situer dans le panorama actuel de l’Eglise et ses défis pour l’avenir. L’homme détonne rappelant la centralité des enjeux de la foi, de la pratique religieuse, des trésors de la spiritualité. Quitte à fricoter, par moments, avec les franges les plus conservatrices de l’Eglise catholique.

Dans l’entretien de début juillet accordé au journal Le Figaro, le prélat présente son dernier ouvrage, un traité de spiritualité, sous la forme d’un catéchisme accessible. Puis, comme il en a l’habitude, enfonce quelques banderilles au passage.

Petit décryptage critique proposé par E&E :

Cal Sarah : (…) La sainteté n’est pas réservée à une petite élite. Elle est pour tous. Être saint, c’est se laisser aimer par Dieu, suivre le Christ. Chacun peut commencer à sa mesure tous les jours.

JMG : Mais les prêtres et les évêques parlent-ils suffisamment de l’enjeu de cette vie spirituelle ?

Sarah : Ils sont parfois tentés de se rendre intéressants aux yeux du monde en parlant de politique ou d’écologie. Mais je crois qu’alors ils n’intéressent personne. On vient voir un prêtre parce qu’on cherche Dieu, pas parce qu’on veut sauver la planète.

E&E : Voilà une question qui tombe bien : mais que font les prêtres ? Pas assez visiblement pour l’ami journaliste. Ah, ces prêtres qui aiment se rendre intéressants aux yeux du monde en parlant de tout et de rien.

Et tombe alors cette phrase mémorable : « On vient voir un prêtre parce qu’on cherche Dieu. Pas parce qu’on veut sauver la planète. » Quelques commentaires :

– on vient donc voir le prêtre pour des questions religieuses et rien d’autres, selon le cardinal Sarah. De quoi sortir le prêtre de sa condition de frère pour le mettre à celle d’expert. Pourquoi pas, après tout, si cela permet à des personnes d’avancer sur leur chemin de vie.

– Mais l’expérience montre aussi qu’on vient voir un prêtre bien souvent pour plein d’autres choses aussi : pour un sandwich parce qu’on a faim. Un conseil pour la vie de couple. Un partage d’un moment difficile. Un soutien pour une épreuve. Une aide pour un déménagement ou un coup de peinture. Une bénédiction pour un voyage. Un taxi pour un rendez-vous médical. Une aide pour une démarche administrative etc. Et parfois aussi, c’est le prêtre qui vient voir des gens, pour avoir des conseils, recevoir du soutien et partager une prière.

– De plus en plus, on vient voir des prêtres aujourd’hui parce que se projeter dans ce monde meurtri par les crises contemporaines met à mal notre capacité à vivre et à donner la vie. Et du coup, on parle souvent d’écologie. Si, si. Et parfois même on prie ensemble pour la Création, pour les plus pauvres, pour les responsables. Et même pour les cardinaux qui ne le savaient pas.


JMG : Ce positionnement vous classe parmi les «conservateurs» alors que ce retour à la vie intérieure est célébré, admis et bien reçu par le monde occidental pour des traditions comme le bouddhisme, voire l’islam?

Sarah : Les étiquettes, comme «conservateurs» ou «progressistes» n’ont guère d’intérêt. En revanche, le silence concerne tout homme de bonne volonté. Nous savons bien que sans silence, sans prière, l’homme ne vit pas à l’altitude qui lui convient. Il s’asphyxie dans le matérialisme. Je ne suis pas inquiet pour l’avenir de l’Église. L’intérêt des Occidentaux pour les religions orientales manifeste à quel point ils sont en manque de spiritualité et de prière. Sans détour, j’ai voulu leur proposer une vie intérieure chrétienne, une mystique évangélique accessible à tous et libératrice.

JMG : Mais pourquoi l’Église n’ose plus parler de la mystagogie de ses «mystères» qui sont au cœur de sa vie?

Peut-être a-t-elle eu peur d’apparaître démodée? Est-ce un complexe? Pourtant, regardez l’intérêt que suscite en France saint Charles de Foucauld ou sainte Thérèse de Lisieux. Ils n’ont rien réalisé de grand pour la société. Mais ils ont cherché Dieu. L’Église est là pour aider les chercheurs de Dieu. C’est son unique utilité.

Cette voie spirituelle est-elle compatible avec le christianisme social, d’action humanitaire et écologique, aujourd’hui porté par le pape François?

Je crois que le pape François est un homme de prière. Il rappelle souvent que l’Église n’est pas une ONG. Il l’a dit le lendemain de son élection: si elle cesse de chercher Dieu par la prière, l’Église risque de trahir. Le pape a même affirmé que si elle cesse de chercher Dieu, l’Église risque de faire l’œuvre du diable !

E&E : On aura compris que l’ami journaliste a du mal avec ce pape trop « social » à son goût et cherche donc une petite phrase polémique du prélat africain. Celui-ci a l’intelligence de ne pas se laisser piéger.

Mais sa réponse conforte le sous-entendu du journaliste : l’Eglise n’est là que pour la prière, la spiritualité, les sacrements. Elle n’a pas d’autre utilité ! Et de citer quelques saints Français dont la vie semble faire dire que la foi chrétienne n’a pas à avoir d’impact sur la vie quotidienne des gens.

Dommage pour les soeurs dont Thérèse a pris soin. Dommage pour les Bédouins que Charles a soigné et soutenu. Dommage que le frère cardinal Sarah n’évoque pas aussi saint Vincent de Paul, Frédéric Ozanam, Madeleine Delbrel et bien d’autres gens qui perdent leur temps à accueillir les enfants pauvres, à visiter les malades et à être présent dans les quartiers populaires.

On aurait aimé que le prélat africain est aussi un peu de respect devant l’engagement de tant de religieux, religieuses, laïcs (et même des prêtres et des évêques) qui se mettent au service des plus pauvres, des malades, des exclus, des prisonniers, à cause de leur vie spirituelle et non pas sans elle.

On voit l’ambiguïté de ce recentrage sur le spirituel et le mystique. Il cache une peur d l’incarnation et de la complexité du monde. Opposer la vie de prière et l’engagement dans la société arrange bien ceux qui ne veulent pas être remis en cause dans leurs privilèges, ou interpelés sur les inégalités qu’ils entretiennent. Opposer l’engagement chrétien et l’écologie est du même ordre : faire de l’aventure chrétienne une quête spirituelle sans corps, sans cris, sans combats pour la justice.

Il serait bien que le cardinal Sarah accepte de rencontrer aussi d’autres mondes que ceux du Figaro ou de Paris Match où il conforte surtout des lecteurs dans une spiritualité mondaine, la réduisant à de la théologie de haut vol et à un piétisme de l’effort catéchétique.

Quant à l’écologie, n’en déplaise à l’ami journaliste et à l’ami cardinal, de Paul VI à François en passant par Jean Paul II et Benoit, elle a bien été accueillie comme un signe des temps pour tous les hommes et les femmes de bonne volonté de notre siècle. Et une formidable occasion de renouveler notre foi, notre prière, notre spiritualité notre cohérence dans le témoignage et notre suite du Christ.

Puisque c’est bien aussi de cela qu’il s’agit.

De quoi méditer ensemble dans le silence.

CREDIT photo : François BOUCHON pour le Figaro

Source : Figaro

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. Francis Martin (référent écologie du diocèse de nancy) dit :

    Merci Dominique pour ce beau commentaire des propos du cardinal Sarah. La tentation du repli dans le piétisme est bien réelle actuellement dans une partie du clergé. Il suffit pourtant de lire quelques pages d’évangile pour savoir que Jésus ne nous appelle pas d’abord à nous replier dans notre intériorité, mais à aimer notre prochain… amour qui ne peut pas être sans conséquences pratiques !

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