Extraits de l’entretien
Johannes Herrmann : La démarche écologique, pour nous, ne peut être que radicale, au sens où, puisque l’on s’intéresse à la crise écologique, on doit s’intéresser à ses fondements, c’est-à-dire l’incompatibilité de notre mode de vie avec les exigences des écosystèmes. Cela nous force à revenir aux fondamentaux : comment vivre sur terre en respectant la nature dans laquelle on vit ? La radicalité, c’est revenir à la racine. Concrètement, le premier acte que nous posons concerne l’alimentation : nous achetons des produits bruts à des producteurs locaux qui pratiquent des modes de culture respectueux de l’environnement (polyculture, petites exploitations).
Mahaut Herrmann : Le fait de devoir tout cuisiner soi-même donne une autre temporalité au quotidien, plus apaisée. Nous fabriquons nos produits ménagers nous-mêmes, nous ne changeons nos ordinateurs ou nos téléphones portables qu’en cas d’absolue nécessité, et nous ne prenons jamais l’avion – pour les vacances, nous passons quinze jours en Normandie. Tout cela change notre rapport à la consommation. Est-ce qu’on a vraiment besoin d’avoir en permanence un énorme choix, comme le propose la grande distribution ? En fait, on se rend compte que ce dont on se « prive », c’est avant tout du superflu.(…) Pour nous, rechercher la vérité, c’est rechercher le Christ, qui dit « Je suis le chemin et la vérité ». Cela suppose d’avoir toujours à l’esprit l’exigence qu’Il a lui-même vis-à-vis de nous. Cette exigence de vérité envers le monde et surtout envers soi-même, c’est le seul garde-fou contre une radicalisation délirante où on remplacerait la vérité par des fantasmes. La recherche de radicalité est donc une démarche positive si elle est bien menée, mais aussi dangereuse qu’un sentier de montagne à pic. L’idée de radicalité signifie aussi retrouver notre vocation, ce à quoi Dieu nous appelle individuellement, mais aussi en tant qu’être humain au sein de cette Création. (…)
M. H. : Ce n’est pas parce que nous avons fait ce choix que nous sommes imperméables aux critiques. Parfois, des amis nous invitent à dîner mais ils précisent « par contre, je vous préviens, ce n’est pas bio », ou « ce n’est pas local ». En fait, les gens sont bienveillants avec nous, mais ils ont peur qu’on ne le soit pas avec eux… J. H. : … alors que s’il doit y avoir une forme d’intransigeance, c’est uniquement avec soi-même, jamais avec les autres. Nous ne nous prenons pas pour des « purs », et nous ne voulons pas être pris comme tels. L’écologie intégrale ne doit pas avoir prétention d’être une écologie parfaite. Nous essayons juste de réduire autant que possible la violence que nous infligeons au monde.
(…)M. H. : La notion de « sobriété heureuse » est très importante dans notre démarche, elle joue comme un garde-fou : tout notre engagement est fondé sur l’envie d’être heureux, sur l’émerveillement aussi. Revenir à la racine du projet de Dieu pour la Création implique de revenir à ce qui a fondé l’acte créateur de Dieu, c’est-à-dire l’amour. Il aurait très bien pu ne pas créer le monde, mais il l’a fait pour avoir des créatures à aimer. Essayer de se laisser guider par l’amour et l’émerveillement nous évite de devenir des « ayatollahs verts », ce que nous ne voulons surtout pas être. Bien sûr, il y a des sacrifices et des renoncements, mais on peut les faire par amour, comme ceux qu’on fait dans le couple ou pour ses enfants.
(…) M. H. : La foi est un soutien précieux : en acceptant d’être radicaux, on accepte aussi parfois de lâcher prise, de s’en remettre à Dieu quand parfois, à vue humaine, les choses semblent impossibles. La Bible d’ailleurs est là pour nous donner d’innombrables exemples de gens qui se sont tournés vers Dieu dans des moments de désespoir ou de découragement. Notre conversion écologique a rendu notre vie de prière, et même notre rapport à la liturgie beaucoup plus intense. Nous avons aussi découvert la liturgie des heures, enracinée dans les rythmes de la Création. J. H. : Nous sommes portés par l’espérance, la certitude que nous ne sommes pas seuls et que l’Esprit travaille, qu’on ne fait pas tout à la force du poignet. Je me dis que si le Christ est venu, c’est bien qu’il doit croire un peu en l’humanité. Cela nous sauve de la misanthropie qui peut guetter l’écologiste qui en a marre parce qu’il se démène et ne voit pas de résultats !