Décidément, ce futur synode sur l’Amazonie fait parler les bavards qui sortent du bois. Deux exemples récents, dans les sphères anglo-saxonne et germanique conservatrices.
Ainsi, le cardinal allemand Walter Brandmüller, a exprimé récemment son mécontentement sur le travail en cours. L’homme est un habitué du genre. Déjà, le synode sur la famille lui avait permis, avec trois autres charmants petits camarades (les éminents Joachim Meisner, Carlo Caffarra et l’inénarrable Raymond Burke), de redire sa fidélité à l’Eglise de Rome tout en dénonçant les dérives dangereuses du pape actuel. Bis repetita donc avec le document préparatoire du synode amazonien. Pour lui, le document contredit, rien de moins, que l’enseignement de l’Eglise et peut donc être considéré comme « hérétique ». Tremblez chaumières !
Sa critique la plus vive ne concernecependant pas les ouvertures pastorales que se document soumet à réflexion pour l’animation des communautés chrétiennes (et que les médias ont relayé à grand coup de raccourcis faciles sur le mariage des prêtres). Le site très pro-life et conservateur LifeSite News publie sa lettre en intégralité qui dénonce le fait qu’un synode puisse s’immiscer dans les affaires séculières de l’Etat brésilien et de sa société (pour un ancien professeur d’histoire de l’Eglise, cette affirmation est quand même bien rigolote…). Et d’annoncer, triomphant :
« Qu’est ce que l’écologie, l’économie et la politique ont à faire avec le mandat et la mission de l’Eglise ? Plus important encore : quelle expertise professionnelle autorise un synode ecclésial d’évêques à s’exprimer sur de tels sujets ? »
On croirait entendre des prélats similaires nous expliquer la même chose au moment de la publication de Laudato si. Qui sont nos prélats pour avoir quelque chose à dire sur le réchauffement climatique ? L’Eglise – qui se veut experte en humanité – n’est, selon ces mêmes prélats conservateurs, experte en rien qui ne touche directement la vie humaine, (si ce ne sont les sciences médicales !).
Autrement dit, toute l’élaboration de la doctrine sociale depuis 130 ans (et bien plus) ne relève donc pas de l’exercice ordinaire du discernement théologique ecclésial. L’Eglise doit annoncer le salut du Christ, sans tenir compte, selon eux, des conditions politiques, économiques, sociales des humains à qui l’Eglise s’adresse. Pourtant, il étrange que ces mêmes prélats n’ont pas beaucoup élevés la voix lorsque Benoît XVI, dans Caritas in veritate, fait un brillant état des lieux du monde économique actuel, pour en dénoncer les dérives et proposer un contre-modèle, d’une économie du don et de la communion.
Bref. Tout le travail pastoral du pape François pour prendre en compte le monde dans ses périphéries comme fronts contemporains de la lutte contre les structures du péché chères à Jean Paul II, est systématiquement mis en doute et dénigré dans ces milieux. Tant pis pour les populations locales, leur histoire, leurs élans et leurs luttes.
C’est aussi le site LifeSite news, très en verve qui publie maintenant la voix d’un prélat bénédictin, Dom Giulio Meiattini, théologien lui aussi déjà critique du synode sur le mariage. L’analyse, en fait, a été publié par le journaliste Aldo Maria Valli le 2 juillet dernier.
Tout comme le cardinal bavarois, Dom Meiattini remet simplement en cause l’idée de l’Eglise et de la foi chrétienne que déploie cet instrumentum laboris.Rien ne trouve grâce dans ce document : ni sa christologie (absente selon le prélat, noyée dans la forêt tropicale), ni son éloge du continent amazonien (réduit à une nostalgie païenne d’un paradis perdu). Du coup, précisant la pensée du cardinal allemand, le bénédictin préfère parler carrément d’apostasie plutôt que d’hérésie. Les experts en dérives sectaires apprécieront la nuance. Le document ainsi n’est pas chrétien, n’étant pas assez enraciné dans la tradition évangélique selon lui. Du coup, il n’est que le fruit d’une régression infantile, et d’une fascination du primitif. On comprendra que l’attaque est aussi frontale sur toute la prise de conscience écologique en cours qui ne serait, selon le bénédictin, qu’une nième résurgence de la génération Flower power et son modèle culturel décadent, shamanique et infantilisant. Qui mène évidemment aussi aux dérives sociétales telles que les idéologies homosexuelles et trans. Pour lui, les choses sont claires : un tel document n’a plus aucune racine thomiste et ne sera donc pas durable. L’ironie du bénédictin culmine dans sa conclusion :
« Un tel document ne peut que prétendre à être biodégradable. »
La proposition faite par la démarche synodale d’aider l’Eglise à trouver son visage amazonien n’intéresse donc pas ces théologiens qui ne voient dans le monde contemporain qu’une humanité perdue à sauver de toute urgence. C’est donc le visage du Christ seul qu’il faut proposer aux peuples d’Amazonie et rien d’autre.
Tout cela serait intéressant si cela ne révélait une terrible dureté de coeur. A croire que l’Histoire des cinq derniers siècles ne nous a rien appris en ce qui concerne la manière dont le visage du Christ a été proposé à l’Amazonie. Comme si ces peuples, mêmes autochtones, ne sont pas déjà accompagnés par les communautés chrétiennes locales courageuses et persévérantes, maltraités par des grands propriétaires terriens et des industriels sans vergogne. Dire que le document n’évoque rien de la nécessité de la croix du Christ comme oeuvre de salut à proposer est une affirmation terrible quand on connait la croix que portent déjà les plus pauvres de ces continents surexploités.
On le comprend bien : ce que ce genre de prélat bénédictin ou cardinalice dénoncent, ce sont toutes les ouvertures théologiques et pastorales du pape actuel (dont beaucoup étaient déjà celles que faisaient ces mêmes milieux théologiques aux ouvertures des théologies contemporaines contextuelles des dernières décennies, dont la théologie de la libération sud américaine). Si la critique est nécessaire et stimulante, elle montre aussi le vrai visage de ses auteurs quand ils cherchent à démontrer une thèse et une idéologie à combattre où tout, du coup, prendrait sens et où l’Eglise devrait redevenir cet ultime citadelle de vérité dans un monde perdu et confus.
Le combat à mener est donc sérieux et les synodes du pape François touchent bien au coeur des ces postures théologiques ainsi mises en lumière. Ces synodes seront des clés pour évaluer la capacité qu’a eu l’Eglise actuelle à répondre aux défis colossaux de ce temps.
E&E