Le journal Le Point a réalisé un reportage au Sénégal pour évoquer ces femmes qui, tout près d’un sanctuaire marial réputé, ont décidé de protéger leur forêt.
Ce lieu, le sanctuaire de Popenguine, est un pèlerinage réputé du pays. Récemment encore le ministre sénégalais de l’Intérieur, Aly Ngouille ndiaye, en charge des cultes, y a exalté “à sa juste valeur, la cohabitation pacifique et légendaire“ entre les confessions, musulmane, chrétienne, et animiste dans le pays. Il était présent pour la 131e édition du pèlerinage marial de ce lieu au moment de la Pentecôte et qui a rassemblé cette années plus de 10 000 participants, dont des musulmans et des chefs coutumiers.
Le sanctuaire, qui avait reçu en 1992 la visite du pape Jean Paul II venu bénir la Vierge noire du lieu, est un lieu qui a été institué en 1888 par un missionnaire français, Mgr Mathurin Picarda, vicaire de la Sénégambie, et fondateur du sanctuaire, dont il a fait une copie de celui de Notre de la Délivrande de Bayeux, en France. Les pèlerinages ont été relancés en 1965, après des décennies compliquées et devient, de plus en plus, l’occasion d’offrir un espace de dialogue au sein de ce pays. Popenguine est connu aussi pour avoir la plus vieille église du pays (350 ans).
Mais le lieu peut aussi inviter à réconcilier les pèlerins avec leur terre. En effet, la petite ville balnéaire de Popenguine, 12 000 habitants, lieu traditionnel de villégiature des dirigeants sénégalais, accueille aussi une réserve naturelle, espace protégé depuis 1936 mais officiellement créée en 1986. Sur ces 1000 ha, on peut rencontrer notamment d’intéressantes espèces d’animaux : le guib harnaché, le céphalophe de Grimm, la hyène tachetée, la civette, la genette, la loup africain, le Porc-épic etc. Sans oublier les singes Patas et Cercopithèque, les écureuils fouisseurs et les lièvres du Cap. Il faut citer aussi les oiseaux : monticoles bleus, bruants d’Alexander, pintade de Numidie et la poulette de roche, francolin à double éperons, outarde à ventre noir, caille des blés et turnix d’Andalousie, balbuzards et circaètes Jean-le-Blanc etc. Il faut dire que la falaise qui s’élance de l’océan offre une magnifique façade maritime, permettant à de nombreux oiseaux migrateurs ou non de nicher dans de bonnes conditions.
Là dans les années 1980, des femmes se sont levées pour lutter contre le péril de la déforestation liée au prélèvement de bois de chauffage. L’article du Point raconte
Katy Ndione, actuelle cheffe de la zone protégée, se souvient : « Un jour de 1986, en allant chercher de l’eau avec un groupe de femmes, nous sommes tombées sur des agents des parcs nationaux dans la forêt de Popenguine. On leur a demandé ce qu’ils faisaient. Ils nous ont répondu On plante des arbres. Alors, nous leur avons dit : Pourquoi pas nous ? » Et de reprendre en expliquant le contexte, et ce triste constat : « On s’était déjà rendu compte qu’il y avait un problème avec notre brousse. On savait que c’était de notre faute si les réserves venaient à manquer, mais on ne savait pas quoi faire. Quand on a rencontré les agents de parcs nationaux, on a tout de suite été partantes. » Après une réunion au village pour proposer aux autres personnes de les aider à retrouver leur forêt d’origine, un regroupement d’une centaine de femmes s’est formé. À l’origine, le projet est mené par Woulimata Thiaw, suivie de 128 femmes, et un seul homme. À la question de savoir pourquoi les hommes ne participent pas à l’initiative, Katy Ndione sourit et raconte les nombreux obstacles qui se sont dressés sur leur chemin. Comme elles n’ont à l’époque aucun savoir en la matière, elles passent de nombreux mois à suivre l’enseignement des rangers. Techniques de pépinière, assainissement, aménagement et protection… « Nous avons tout appris au fur et à mesure », explique Katy. Par chance, le site est volcanique, et très fertile. Sur les 1 900 hectares, les femmes plantent des arbres fruitiers, des acacias, des cocotiers… Des espèces d’arbres autochtones et utiles à la vie du village. Petit à petit, les espèces qui avaient disparu de l’environnement reviennent. « On voit de plus en plus de hyènes, de gazelles ou d’oiseaux qui avaient déserté », explique-t-elle.
Les femmes ont du résister à la peur des hommes du village qui ne voyaient pas d’un bon oeil cette cohabitation avec les rangers du parc. Mais bientôt ce furent plus de 1500 femmes qui se sont mobilisées, à partir de huit villages de la région.
Une guide de la réserve raconte : « Elles quittaient Popenguine avec des seaux d’eau sur la tête, grimpaient la falaise et allaient jusqu’à Guéréo et La Somone (des villages voisins) pour reboiser », plusieurs heures de marche au cœur de la brousse, sous un soleil de plomb. Derrière l’aspect climatique, il y a quelque chose de sacré dans la nature pour Katy : « Cette terre, on l’a empruntée, et on doit la sauver pour nos petits-enfants. » À Popenguine, « on dit souvent que la nature est dans nos sangs », continue-t-elle. Le travail est bénévole et éprouvant, mais, avec le temps, les hommes du village ont compris que les femmes disaient « la vérité » et se sont mis à participer.
Désormais, la prévention est entrée dans les moeurs et les enfants sont formés très jeunes pour replanter, ramasser le plastique des plages etc. Bientôt la plantation de 10 000 cocotiers en quelques jours va rassembler la population. Un petite économie locale s’est développée, avec une mutuelle pour tous, une vente de bonbonnes de gaz, une distribution solidaire d’aides financières aux familles. Désormais c’est le manque d’eau qui se révèle un défi redoutable pour la réserve et les populations locales.
Source : Le Point Jane Roussel, | Le Point.fr / Cath.ch