
Dans quelques semaines, le mois de prière pour la Création va se dérouler, du 1er septembre au 4 octobre 2022. À cette occasion, un texte du pape est publié. Ce 16 juillet 2022, son message a été rendu public sur le thème de cette année « Écoutez la voix de la Création ». En voici l’essentiel, commenté par E&E
Chers frères et sœurs ! (…) Si nous apprenons à l’écouter, nous remarquons une sorte de dissonance dans la voix de la création. D’un côté, elle est un chant doux qui loue notre Créateur bien-aimé ; de l’autre, elle est un cri amer qui déplore nos mauvais traitements humains. Le doux chant de la création nous invite à pratiquer une « spiritualité écologique » (2), attentive à la présence de Dieu dans le monde naturel. C’est une invitation à fonder notre spiritualité sur « la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle communion universelle » (3).
E&E : On retrouve l’intuition centrale de l’encyclique Laudato si, d’une spiritualité écologique fondée sur l’expérience du « tout est lié ». Cette expérience est une forme de consolation qui nous fait contempler la douceur d’une communion possible avec le monde créé.
Pour les disciples du Christ, en particulier, cette expérience lumineuse renforce la conscience que « c’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui » (Jn 1, 3). En ce Temps de la Création, reprenons la prière dans la grande cathédrale de la création, en profitant du « chœur cosmique grandiose » (4) des innombrables créatures qui chantent les louanges de Dieu. Joignons-nous à saint François d’Assise pour chanter : « Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures » (5). Joignons-nous au Psalmiste pour chanter : « Que tout être vivant chante louange au Seigneur ! » (Ps 150, 6).
E&E : en filant la métaphore du chant qui fait communion, le pape évoque la Création comme une immense cathédrale où s’élèvent la louange des fidèles. Avec ce rappel que chaque créature a son chant propre à donner. Une manière de rappeler l’urgence théologique à protéger la biodiversité du vivant.
Malheureusement, cette douce chanson est accompagnée d’un cri amer. Ou plutôt, par un chœur de cris amers. D’abord, c’est la sœur mère terre qui crie. À la merci de nos excès de consommation, elle gémit et nous supplie d’arrêter nos abus et sa destruction. Ensuite, ce sont les différentes créatures qui crient. À la merci d’un « anthropocentrisme despotique » (6), aux antipodes de la centralité du Christ dans l’œuvre de la création, d’innombrables espèces sont en voie de disparition, cessant à jamais leurs hymnes de louange à Dieu. Mais ce sont aussi les plus pauvres d’entre nous qui crient. Exposés à la crise climatique, les pauvres subissent le plus durement l’impact des sécheresses, des inondations, des ouragans et des vagues de chaleur qui continuent à devenir plus intenses et plus fréquents. Encore une fois, nos frères et sœurs des peuples autochtones crient. En raison d’intérêts économiques prédateurs, leurs territoires ancestraux sont envahis et dévastés de toutes parts, provoquant « une clameur vers le ciel » (7). Enfin, nos enfants crient. Menacés par un égoïsme à courte vue, les adolescents nous demandent avec anxiété, à nous adultes, de faire tout notre possible pour empêcher ou du moins limiter l’effondrement des écosystèmes de notre planète.
E&E : A la douceur d’un chant de communion se surajoute le cri des victimes de nos excès. Cris des créatures et cris de nos frères et soeurs les plus pauvres. Le pape cite notamment la réalité douloureuse des peuples autochtones qui sont sur bien des frontières de la maltraitance écologique actuelle (cf. son voyage à venir au Canada). Mais aussi celle des adolescents qui intègrent l’angoisse d’un monde à venir si durement pollué et détruit.
En entendant ces cris amers, nous devons nous repentir et changer les modes de vie et les systèmes nuisibles. Dès le début, l’appel évangélique « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche ! » (Mt 3, 2), qui invite à une nouvelle relation avec Dieu, implique aussi une relation différente avec les autres et avec la création. L’état de dégradation de notre maison commune mérite la même attention que d’autres défis mondiaux tels que les graves crises sanitaires et les conflits armés. « Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne » (8). En tant que personnes de foi, nous nous sentons également responsables d’agir, dans nos comportements quotidiens, en accord avec cette demande de conversion. Mais elle n’est pas seulement individuelle : « La conversion écologique requise pour créer un dynamisme de changement durable est aussi une conversion communautaire » (9). Dans cette perspective, la communauté des nations est également appelée à s’engager, notamment dans les réunions des Nations Unies consacrées à la question environnementale, dans un esprit de coopération maximale.
E&E : Ces cris amers poussent à une nécessaire conversion. Conversion personnelle et collective. cette conversion relève de la « vie vertueuse » souligne le pape, et insiste donc pour en rappeler le caractère central et incontournable. Le pape évoque ensuite deux sommets importants à venir : COP 27 sur le climat et la COP15 sur la biodiversité
Le sommet COP27 sur le climat, qui se tiendra en Égypte en novembre 2022, représente la prochaine occasion de promouvoir ensemble une mise en œuvre efficace de l’Accord de Paris. C’est également pour cette raison que j’ai récemment demandé que le Saint-Siège, au nom et pour le compte de l’État de la Cité du Vatican, adhère à la Convention-Cadre de l’ONU sur les Changements Climatiques et à l’Accord de Paris, dans l’espoir que l’humanité du XXIe siècle « pourra rester dans les mémoires pour avoir assumé avec générosité ses graves responsabilités » (10). La réalisation de l’objectif de Paris, qui consiste à limiter l’augmentation de la température à 1,5 °C, est un véritable défi et requiert la coopération responsable de toutes les nations qui doivent soumettre des plans climatiques ou des contributions déterminées au niveau national, plus ambitieux, pour réduire le plus rapidement possible à zéro les émissions nettes de gaz à effet de serre. Il s’agit de « convertir » les modèles de consommation et de production, ainsi que les modes de vie, dans une direction plus respectueuse de la création et du développement humain intégral de tous les peuples présents et futurs, un développement fondé sur la responsabilité, la prudence/précaution, la solidarité, l’attention aux pauvres et aux générations futures. À la base de tout doit se trouver l’alliance entre l’être humain et l’environnement qui, pour nous croyants, est le miroir de « l’amour créateur de Dieu, de qui nous venons et vers qui nous allons » (11). La transition opérée par cette conversion ne peut négliger les exigences de la justice, en particulier pour les travailleurs les plus touchés par l’impact du changement climatique.
E&E : le pape rappel le geste récent de l’adhésion de la Cité du Vatican à la convention cadre de l’ONU et l’accord de Paris. Un geste symbolique mais qui témoigne d’un processus à encourager encore et encore. « L’alliance entre l’être humain et l’environnement » est une expression intéressante, car elle est mise en parallèle avec l’alliance du Dieu créateur avec ses créatures.
À son tour, le sommet de la COP15 sur la biodiversité, qui se tiendra au Canada en décembre, offrira à la bonne volonté des gouvernements l’occasion importante d’adopter un nouvel accord multilatéral pour arrêter la destruction des écosystèmes et l’extinction des espèces. Selon l’antique sagesse des Jubilés, nous avons besoin de « nous souvenir, revenir, nous reposer, réparer » (12). Pour arrêter l’effondrement futur du “réseau de la vie” – la biodiversité – que Dieu nous a donné, nous prions et invitons les nations à s’accorder sur quatre principes clés : 1. construire une base éthique claire pour la transformation dont nous avons besoin pour sauver la biodiversité ; 2. lutter contre la perte de biodiversité, soutenir sa conservation et son rétablissement et répondre aux besoins des personnes de manière durable ; 3. promouvoir la solidarité mondiale, compte tenu du fait que la biodiversité est un bien commun mondial qui nécessite un engagement partagé ; 4. mettre au centre des personnes en situation de vulnérabilité, y compris les plus touchées par la perte de biodiversité ; comme les populations autochtones, les personnes âgées et les jeunes.
E&E : Le pape évoque la pratique vétérotestamentaire et ecclésiale des jubilés, ces années anniversaires qui sont des moments collectifs de repos pour réfléchir et laisser reposer. Quatre clés sont mises en lumière ici : la dimension éthique, la nécessaire action à mener, la mise en avant de la notion de bien commun et la préoccupation première des personnes vulnérables.
Je le répète : « Je veux demander, au nom de Dieu, aux grandes entreprises d’extraction – minières, pétrolières – forestières, immobilières et agroalimentaires d’arrêter de détruire les forêts, les zones humides et les montagnes, d’arrêter de polluer les rivières et les mers, d’arrêter d’intoxiquer les gens et les aliments » (13). On ne peut pas ignorer l’existence d’une « dette écologique » (14) des nations économiquement plus riches, qui ont le plus pollué au cours des deux derniers siècles ; il leur revient de faire des pas plus ambitieux tant à la COP27 qu’à la COP15. Cela implique, en plus d’une action déterminée à l’intérieur de leurs frontières, de tenir leurs promesses de soutien financier et technique aux nations économiquement plus pauvres, qui subissent déjà le lourd fardeau de la crise climatique. En outre, il serait également opportun de réfléchir urgemment à un soutien financier supplémentaire pour la conservation de la biodiversité. Les pays économiquement moins riches ont aussi des responsabilités significatives mais « diversifiées » (15) ; les retards des autres ne peuvent jamais justifier leur inaction. Il faut agir, tous, avec détermination. Nous parvenons à « un point de rupture » (16).
E&E : Le pape appelle à agir d’urgence, en commençant par les entreprises extractivistes et les nations les plus développées qui ont une dette à l’égard des pays les plus pauvres. Le « point de rupture » est là.
Au cours de ce Temps de la Création, prions pour que les sommets COP27 et COP15 puissent unir la famille humaine (17) afin d’affronter résolument la double crise du climat et de la diminution de la biodiversité. En rappelant l’exhortation de saint Paul à se réjouir avec ceux qui se réjouissent et à pleurer avec ceux qui pleurent (cf. Rm 12, 15), pleurons avec le cri amer de la création, écoutons-la et répondons par nos actes, afin que nous et les générations futures, nous puissions encore nous réjouir au doux chant de vie et d’espérance des créatures.
E&E : La lutte à partir des cris amers ne doit pas atteindre la joie des chants de communion. Surtout s’ils sont partagés par les différentes générations qui se passent le relais.
EN CONCLUSION : un beau texte qui peut être une belle porte d’entrée pour ceux qui n’ont toujours pas lu l’encyclique Laudato si (si, si il y en a !!). La dualité entre la douceur et l’amertume, le chant et le cri forment des rappels simples à saisir, qui ont des racines profondes dans l’annonce évangélique.
(*) Version française de la salle de presse du Saint-Siège. Titre de La DC. // (1) Cf. Pape Paul VI, discours, à l’occasion du 25e anniversaire de la FAO, 16 novembre 1970. / (2) Pape François, Lettre encyclique Laudato si’, 24 mai 2015, n. 216. / (3) ibid., n. 220. / (4) S. Pape Jean-Paul II, Audience générale, 10 juillet 2002. / (5) cf. Cantique de frère soleil / (6) Pape François, Lettre encyclique Laudato si’, 24 mai 2015, n. 68. / (7) Pape François, Exhortation apostolique post-synodale Querida Amazonia, 12 février 2020, n. 9. / (8) Pape François, Lettre encyclique Laudato si’, 24 mai 2015, n. 217. / (9) ibid., n. 219. / (10) ibid., n. 165. / (11) Pape François, Discours lors de la Rencontre “Foi et Science vers la COP 26”, 4 octobre 2021. / (12) Pape François, Message pour la 6e Journée Mondiale de Prière pour la Sauvegarde de la Création, 1er septembre 2020. / (13) Pape François, Message vidéo aux Mouvements populaires, 16 octobre 2021. / (14) Pape François, Lettre encyclique Laudato si’, 24 mai 2015, n. 51. / (15) cf. ibid., n. 52./ (16) cf. ibid., n. 61. / (17) cf. ibid., n. 13.