CARÊME 26/40 – Le nucléaire n’est pas l’énergie de la paix

Dans une tribune récente, un collectif d’associations militant pour la paix rappellent à tous, et aussi aux responsables religieux du pays, que la possession d’armes nucléaires est une réalité qui doit nous interroger, voire nous déranger.

Pourquoi parler d’armements sur un blog consacré à l’écologie chrétienne ? Le site Reporterre rappelle que les liens sont bien plus étroits qu’il n’y parait de prime abord. Inès Lopes, membre de ICAN France explique :

La production, la modernisation, l’entretien des armes nucléaires nuisent quotidiennement à notre environnement et gaspillent nombre de ressources : financières, humaines et naturelles. Les 210 essais nucléaires, atmosphériques comme souterrains, menés par la France entre 1960 et 1996, en Algérie et en Polynésie, ont ainsi eu de nombreux effets sur la faune, la flore et sur les humains qui perdurent toujours près de soixante ans plus tard. Pour Roland Oldham, président de l’association Moruroa e tatou, « nos enfants marchent sur du plutonium » en raison des nombreuses retombées radioactives. En Polynésie, 170 000 personnes auraient ainsi été exposées aux radiations lors des essais menés sur l’archipel. Et, comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement français a enfoui dans les sables des déchets (chars, voitures, métaux) en quantité inconnue, pour la plupart radioactifs, et en a « océanisé » (autrement dit « jeté ») près des atolls. Selon l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), pour la Polynésie, la quantité serait de plus de 3 000 tonnes. En 2021, ces déchets sont toujours sur place. Il ne faut pas oublier non plus la masse importante de matières radioactives de haute activité que chacune des explosions souterraines a enfermées dans les entrailles de la Terre — pour combien d’années ? (…)

La France se veut championne de la protection environnementale, mais maintient dans le même temps une importante politique de dissuasion nucléaire, qui lui a coûté, en 2020, 4,7 milliards d’euros, soit une dépense de 8 969 euros par minute ! C’est autant d’argent qui n’a pas été consacré à l’environnement et à la santé de ses citoyens. Et la facture s’annonce lourde, puisque le montant total qu’elle consacrera de 2021 à 2025 à ses forces nucléaires est estimé à 27,85 milliards d’euros ! Sans oublier qu’il s’agit là de sommes « officielles », donc qui ne comprennent pas l’ensemble des coûts liés à ces armes.

Cette politique de dissuasion pousse également la France à rejeter le TIAN et à contredire l’ensemble de ses efforts environnementaux et écologiques. Malgré ce refus d’ouvrir le débat sur le TIAN par le pouvoir exécutif, 31 parlementaires français ont décidé de soutenir le Traité en signant l’Engagement parlementaire lancé par ICAN France. Tous sont conscients que, sans désarmement nucléaire, la protection de l’environnement ne pourra être effective.

Le collectif d’associations pour la paix poursuit la réflexion sur le sens même de la possession d’armes nucléaires.

 » Nous avons le choix entre trois attitudes.

La première est le déni de la réalité du risque. Nul ne peut contester l’existence de ce danger, ni les conséquences humanitaires et environnementales qui en résulteraient. Cette situation doit interroger chacun de nous sur les raisons de ce déni volontaire.

La deuxième s’appuie sur l’idée répandue de l’efficacité de la dissuasion depuis 1945, aucun État n’ayant utilisé, dans le cadre d’une guerre, d’arme nucléaire. Une affirmation qui, comme son contraire, ne peut être prouvée. En revanche, nous pouvons constater que la possession de la force nucléaire a permis à la Russie d’envahir l’Ukraine. La possession de l’arme ne crée donc pas la paix, mais elle permet de faire la guerre. En novembre 2017, le pape François soulignait cette réalité de la dissuasion : « Les armes atomiques n’engendrent qu’un sentiment trompeur de sécurité et ne peuvent constituer la base d’une coexistence pacifique entre les membres de la famille humaine, qui doit en revanche s’inspirer d’une éthique de solidarité. »

La troisième attitude est celle de la responsabilité. Ce sujet ne doit pas être réservé aux experts, car il n’est nul besoin d’entrer dans une problématique technique pour s’interroger sur cette possession d’armes, dont l’immoralité est soulignée par le pape François. Et n’oublions pas un élément essentiel : ces armes, si elles étaient utilisées, frapperaient des populations civiles. Chaque citoyen peut examiner les facettes de ce sujet, en articulant éthique de conviction et éthique de responsabilité.

Le texte rappelle ensuite que le traité du Tian posait un cadre lentement élaboré d’interdiction progressive de ces armes. Un traité signé par 122 pays… sauf les pays détenteurs d’armes de ce genre.

Une écrasante majorité des États s’est posé toutes ces questions de 2010 à 2016 à travers une série de rencontres, notamment à l’ONU. En toute conscience, en 2017, après avoir négocié les termes du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian), 122 États ont apporté leur réponse pour engager une nouvelle sécurité internationale en interdisant ces armes, et notamment la politique de dissuasion. En vigueur depuis le 22 janvier 2021, le Tian a été signé à ce jour par 92 États et ratifié par 68, dont le Saint-Siège. Comme les autres puissances nucléaires, la France a quant à elle fait jusqu’ici le choix de bouder ce processus démocratique onusien.

Nul ne clame que le désarmement nucléaire sera une chose aisée. Au contraire, nous savons que nous faisons face à une montagne de complexité. Mais, au regard de la situation actuelle et des avancées juridiques internationales, il est plus que temps qu’un dialogue approfondi et sans tabou s’ouvre sur le nucléaire militaire au sein des organisations politiques, des cercles éthiques et philosophiques, des communautés spirituelles et des Églises. La dernière prise de position de la Conférence des évêques de France remonte à 1983, alors qu’on négociait les traités de limitation, puis de réduction des armes stratégiques. Le moment d’une actualisation de la pensée de l’Église de France sur ce sujet n’est-il pas venu ? Le monde est imparfait, nous le savons. Mais nous devons affronter les défis avec réalisme et honnêteté pour l’avenir de l’humanité. « Si eux se taisent, les pierres crieront ! » (Lc, 19, 40)

Signataires  : Jean-Marie Collin, directeur d’Ican France (Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires, prix Nobel de la paix 2017) / Étienne Godinot, membre de l’Institut de recherche sur la Résolution non-violente des conflits (IRNC) / Patrick Hubert, membre de la Communauté Mission de France / Michel Roy, secrétaire général de Justice et Paix France / Alfonso Zardi, délégué général de Pax Christi France

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. Bertrand Puel dit :

    Le nucléaire n’est pas l’énergie de la paix, c’est l’énergie de l’équilibre de la terreur. Il faut relire ce que disait Lanza del Vasto à ce sujet et que l’on peut trouver dans un cahier récent de l’association des amis de Lanza del Vasto intitulé « De la Bombe et l’Eglise face au problème de la guerre » cf le site:
    http://www.lanzadelvasto.com

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