
On a eu Notre-Dame-des-Landes. On aura désormais Sainte-Soline. La liste des sites chrétiens qui sont devenus désormais des synonymes de contestation écologique devrait nous interroger.
Bien sûr, la toponymie de ces sites est un hasard. Ni les opposants à l’aéroport de Nantes, ni ceux aux immenses retenues dans les Deux-Sèvres, n’ont vu là le moindre signe du ciel. Mais c’est l’occasion aussi de rappeler que ces territoires ruraux, souvent bien loin de nos préoccupations, ont été accompagnés et structurés notamment par le maillage des églises.
L’histoire du village de Notre-Dame-des-Landes, par exemple, est celle d’une église plantée dans ces landes locales pour regrouper plusieurs petits hameaux ruraux, entre Fay-de-Bretagne et Hérix. C’est l’abbé Bidet qui a lancé le projet, posant la première pierre de l’église en 1846 sur le lieu dit de la Primaudière où il n’y avait jusque là… qu’une seule ferme. Ce n’est que vingt-cinq ans plus tard que l’ensemble territorial deviendra une paroisse à proprement parlé. Aujourd’hui, le territoire de la commune fait intégralement partie de la paroisse Notre-Dame-de-la-Paix-sur-Isac, dans la zone pastorale Sillon (diocèse de Nantes).

Qu’en est-il de Sainte-Soline ? D’abord, il y a là une figure un peu oubliée de l’Histoire. Les sources historiques ne permettent pas de retracer l’existence de cette jeune chrétienne de la première génération, native du Mellois, et peut être martyrisée à Chartres où ses restes auraient été inhumés à l’église abbatiale Saint-Père-en Vallée. L’église locale qui lui est dédiée (la seule du diocèse) porte sans doute ce nom sous l’influence de l’ abbé Louis-Edouard Pie ancien vicaire justement à Saint-Père de Chartres.
Mais l’édifice a sans doute un passé bien plus lointain puisque le contexte régional est celui d’une présence antique bien visible, près d’une voie romaine qui reliait Poitiers (Limonum) à Saintes (Mediolanum). La région a aussi un enracinement bien plus ancien encore comme en témoigne la présence de très imposants tumuli, dont certains remontent à plus de trois mille ans avant notre ère.
L’église Saint Soline, dépendance d’une abbaye augustine, fut lourdement remaniée au fil des siècles. Le chevet en hémicycle du XIIIe siècle a disparu, tout comme le portail roman et la dernière restauration du XIXe siècle a aussi remplacé les platins – ces pierres plates de couverture très utilisées dans la région – par des ardoises.

A côté de cet aspect historique, qu’en est-il aujourd’hui de la présence chrétienne au sein de ces mouvements de contestation qui se perdent parfois dans la violence ? À Nantes, des chrétiens précurseurs ont accompagné la contestation à Notre-Dame-des-Landes en lançant notamment une enquête pour mieux comprendre la manière dont chacun se situait face à ce projet d’aéroport depuis lors abandonné.
Depuis, autour du label Eglise verte, les choses se sont structurées et récemment un site a été lancé pour regrouper toutes les équipes présentes sur le terrain

Du côté de Sainte-Soline et du diocèse de Poitiers, les choses paraissent moins claires. Aucune réaction pour l’heure sur le site diocésain quant au conflit en cours autour des méga-bassines. D’ailleurs, l’onglet qui renvoie à une simple « veille écologique » n’évoque qu’un documentaire récent produit par la chaîne KTO.

SUR LE FOND, que peut-on penser de ce conflit autour des bassines dans ce coin des Deux-Sèvres ?
Quelques éléments de réflexions :
- d’abord, faire mémoire de ce qui s’est passé à Sivens, en 2014, où des activistes écologistes et paysans, ont lutté contre le projet d’une retenue d’eau qui détruisait notamment plusieurs ha d’une zone humide. La présence policière, là aussi, particulièrement offensive, n’ a apporté aucune solution. Pire, la mort du jeune Rémi Fraise (dont E&E a parlé) a mis fin à ce premier cycle de confrontation directe. En juillet 2016, le tribunal administratif de Toulouse annule les trois arrêtés fondateurs du projet de barrage, en particulier la déclaration d’utilité publique.
- c’est donc bien la gestion partagée des ressources en eau qui est au cœur de ces conflits. Si on peut comprendre que le monde paysan ait besoin d’un accès suffisant à l’eau pour maintenir son activité, cela justifie-t-il des choix de production qui ne jouent pas la modération ? D’autres agriculteurs montrent qu’il n’y a pas que des monocultures de maïs ou de tournesols qui pourront sauver les exploitations, surtout avec les dérèglements climatiques en cours. C’est donc aussi un conflit de modèles agricoles qui est mis à jour ici, et qui est latent depuis des décennies dans la société française. La course en avant productiviste repose sur un modèle d’épuisement des terres et des humains qui y vivent.
- L’eau est un bien commun qui ne peut pas être privatisé par quelques uns, même pour la bonne cause. Laissé entendre cela est une manière de préparer le pire. On comprend qu’un certain nombre de personnes luttent activement contre ces projets agricoles, municipaux, industriels qui utilisent l’eau potable comme une ressource consommable, privatisable et dont l’enjeu premier est de maintenir une rentabilité suffisante de leurs projets. Ce refus de la privatisation de l’eau est au coeur de la doctrine sociale de l’Eglise et a été rappelé à maintes reprises par le pape François au cours des années passées.
- La prise de conscience écologique est née de ces réalités de terrain où une forme de violence muette et discrète est mise publiquement à jour. Violence contre la terre. Violence contre les générations futures. Violence contre les paysans ou les ouvriers de ces projets. Violence contre les biens communs etc. Cette mise à jour, douloureuse, mobilise en retour, de la part de ceux qui trouvent un intérêt (économique notamment) dans ces projets, une violence plus grande encore, refusant d’être contestés dans leur légitimité souvent validée par la puissance publique si sensible aux choix de ses électeurs les plus influents. Sivens et bien d’autres projets de ce genre témoignent de la réalité d’une collusion d’intérêts de plus en plus courante entre des acteurs économiques et politiques locaux et nationaux. Ces habitudes, qui frôlent bien souvent la corruption (des esprits pour ne pas parler du reste), doivent être contestés dans l’exercice démocratique.
- Sivens, Bure, ND des Landes, Sainte-Soline racontent aussi un rapport au paysage, à la nature et aux écosystèmes complètement faussé de la part de responsables politiques ou d’acteurs économiques qui, malgré les beaux discours de circonstances, ne font que multiplier des projets destructeurs de foncier agricole, de milieux naturels, de réseaux hydriques, de zones humides, de forêts anciennes. Il suffit de regarder une photo de ces « méga-bassines » pour comprendre que nous avons quitté là le monde de l’agriculture pour entrer dans celui de l’industrie agro-alimentaire.

- Qu’en est-il de la frange la plus violente des contestataires sur ces terrains ? Là encore, ne soyons pas simplistes. Elle est composée de plusieurs acteurs : des activistes aguerris dont l’idéologie est souvent imprégnée d’une contestation frontale du système politique lui-même (veine trotskiste de l’ultra-gauche). Ils sont souvent les boute-feu d’une violence qui ensuite devient incontrôlable. Ensuite, chacun se retrouve en situation de « légitime défense » : les forces de l’ordre, convoquées par la puissance publique fière de montrer sa capacité à gérer le désordre, se retrouvent exposées à des affrontements brutaux. Leur réaction, avec les outils qui sont les leurs,est censée être proportionnée et destinée à juguler la violence. Mais, Sivens l’a montré, dans ce genre d’action, il n’y a plus d’action juste : les gaz lacrymogènes et les grenades de désencerclement, tirés dans des foules mouvantes, ne peuvent que provoquer des accidents. De l’autre côté, devant la disproportion des moyens employés, des activistes modérés se sentent agressés à leur tour et résistent de plus en plus durement, au fil de l’accumulation des blessures et des coups.
- Tout cela interroge aussi sur le silence des acteurs ecclésiaux. Mais là encore, mettons de la nuance. Sur le terrain, de nombreux militants sont chrétiens et engagés à ce titre. Mais ils avancent souvent seuls, sans soutien d’aucune structure officielle. Les acteurs diocésains – on peut le comprendre – cherchent à ne pas se laisser prendre dans des conflits clivants et tentent souvent de prendre une position de conciliation ou de modération. Mais, là aussi, l’expérience montre qu’au final, cela témoigne surtout d’une méconnaissance des dossiers de fond, d’une peur de s’engager dans le champs politique (au moins sur ces sujets, puisqu’elle le fait bien sur d’autres…), et d’une incohérence de plus en plus plus visible entre la prétention des discours (l’écologie intégrale, comme nouveau mantra diocésain) et la réalité des faits. Plus encore, c’est un manque cruel de savoir-faire dans l’action non-violente qui est ainsi manifesté.
merci d’oser insérer ces luttes citoyennes et paysannes et de les associer à l’ecologie intégrale dont ells defendent les mêmes valeurs.
Cette eau des forages, cristalline, pour aroser les plantes alors que dans nombre de campagnes françaises dont la région de SAINTE SOLINE, l’eau du robinet dépasse les normes acceptables et de notabilité en raison des rejets de l’agriculture industrielle.
La Nature est puissante mais pas violente … la meme force déterminée serait plus juste pour la défendre devant les agressions humaines.
cordialement
marie christine
Je vous remercie de parler de cette actualité terrifiante. La violence contre les manifestants est inacceptable, injustifiable, disproportionné. Les images sont surréalistes avec ces forces de l’ordre surarmé, comme pour une guerre. Prions pour nous et pour eux.
Merci d’avoir abordé ce sujet et de prendre une si juste position