Pas mal d’informations récentes témoignent de la bonne avancée des travaux du futur synode sur l’Amazonie (du 6 au 27 octobre) qui s’annonce prometteur. Pour rappel, le thème est « Amazonie, nouveaux chemins pour l’Eglise et pour une écologie intégrale ».
D’abord le rapporteur général a été nommé : il s’agit du cardinal Claudio Hummes. Le cardinal brésilien, archevêque émérite de Sao Paulo est un franciscain très proche du pape (c’est lui qui lui a soufflé le souci des pauvres au moment de son élection). A 85 ans, il reste président du Réseau ecclésial panamazonien (REPAM), après une carrière qui l’a mené aussi à la tête de la Congrégation pour le clergé (2006-2010). Il a participé récemment à l’assemblée plénière des évêques brésiliens à Aparecida qui, à travers différents thèmes, s’est penchée sur la préparation de ce Synode qui concerne particulièrement le Brésil. Dans ce pays, tous les diocèses ont été activement consultés en vue de ce synode.
« Ici, au Brésil, ce sera un moment fondamental. Moi je dis toujours que ce Synode sera un Synode historique qui amènera de nouvelles routes pour l’Amazonie et ceci se reflètera dans le monde entier. Il s’insère dans le grave contexte de la crise climatique et écologique de la planète, nous sommes dans ce moment historique précis. Le Synode advient dans un moment grave de l’histoire de l’humanité, et c’est pourquoi l’Esprit de Dieu nous amènera à trouver de nouvelles voies pour sauver l’Amazonie, les gens de l’Amazonie, et aussi pour sauver la planète. (…) Je crois que l’Église a un grand besoin de trouver de nouveaux chemins, et quand moi je faisais mes visites dans le territoire, j’ai visité toute la forêt amazonienne et aussi les autres pays des territoires amazoniens, nous avons toujours ressenti un peu cette angoisse de l’Église, des agents de la pastorale, des évêques, des prêtres, qui ne sont pas dans de bonnes conditions pour réaliser la mission. Il est nécessaire de créer de nouveaux chemins pour qu’il soit vraiment possible de réaliser la mission en Amazonie, dans ce moment historique. Ce thème des nouveaux chemins sera fondamental aussi parce que le Pape disait que durant le Synode, on ne parlera pas de choses déjà dites. Nous devons parler de choses nouvelles, de perspectives nouvelles, sans avoir peur du neuf. C’est quelque chose qui me rend heureux et qui me donne beaucoup d’espérance.»
Pour ce synode, il s’appuyera sur deux secrétaires spéciaux : un évêque espagnol, Mgr David Martinez de Aguirre Guinea, (vicaire apostolique de Puerto Maldonado, aux portes de l’Amazonie, où il avait accueilli le Pape François en janvier 2018) et un jésuite canadien Michael Czerny, sous-secrétaire de la Section Migrants et Réfugiés du Dicastère pour le Service du Développement humain intégral. (Source ici).
A noter aussi que du côte du Conseil des évêques d’Amérique latine (CELAM), c’est aussi un franciscain qui vient d’être élu, en l’occurence Mgr Miguel Cabrejos Vidarte, archevêque de Trujillo et président de la Conférence des évêques du Pérou.
Il y a quelques semaines, s’est tenu aussi le 2e conseil pré-synodal de l’Assemblée spéciale du Synode des évêques pour la région panamazonienne qui s’appuie notamment sur le travail du REPAM. Le cardinal Pedro Barreto, archevêque de Huancayo au Pérou vice-président du réseau ecclésial panamazonien, souligne qu’il y a deux aspects dans ce synode : « Le premier est la région et ceux qui y vivent, qui sont les derniers, aux périphéries, le deuxième est toute une vision universelle avec le grand défi du changement climatique. » Il rappelle aussi que le « visage amazonien » de l’Eglise dont parle le pape François est un rappel de la nécessité à apprendre à vivre « en harmonie avec la transcendance, avec Dieu, entre nous… et aussi avec la nature». De quoi nourrir un nouvel élan missionnaire à partir de l’expérience amazonienne elle même. Un vrai retournement de l’Histoire en quelque sorte.
Durant la session du 14 au 15 mai dernier, le conseil a aussi adopté le document de travail (Instrumentum laboris) qui servira de base aux travaux du Synode. Il s’agit d’une synthèse des consultations réalisées et de documentations issues d’un séminaire qui a eu lieu en février, en lien avec différents évènements organisée par le Repam. Le document présente la situation pastorale de la région amazonienne pour initier de nouveaux chemins pour une évangélisation plus incisive. C’est aussi, dans le même temps, un réflexion sur le problème écologique qui concerne la région amazonienne. Ce document approché va maintenant être distribué à tous les niveaux pour impliquer le tissu ecclésial dans son entier dans le processus synodal. Le document se compose de trois parties : après avoir évoqué la « voix de l’Amazonie », le document parle du « cri de la terre et des pauvres » puis de l’« Eglise prophétique en Amazonie: défis et espérances ».
A la manière de l’encyclique Laudato si, la première partie fait un état des lieux des richesses et de la réalité la zone amazonienne qui s’étend sur neuf pays. Les communautés autochtones consultées par l’Église n’ont pas caché leur préoccupation face à la déforestation et à l’impunité dont font preuve les acteurs qui exploitent économiquement l’Amazonie. Sont recensés par exemple les assassinats des défenseurs de la biodiversité ou encore les exemples de privatisation des biens naturels comme l’eau, au mépris de toute convention internationale.
Puis la réflexion reprend la thème de l’écologie intégrale comme clé de lecture pour comprendre la douleur et la violence qui marque cette terre. A l’inverse, les peuples autochtones ont une sagesse de vie à transmettre, rappelant à tous le respect nécessaire de la Création.
Enfin, dans une partie plus pastorale, les pères synodaux sont invités à réfléchir sur les nouveaux chemins à explorer pour établir une Église à l’identité amazonienne, selon le souhait du Pape François, plus participative, présente aux diverses réalités sociales, politiques, économiques, culturelles, écologiques etc. Il faut passer d’une « Eglise qui visite » à une « Eglise qui reste » auprès des communautés. La question de la responsabilité des communautés locales est ainsi posée.
Le 16 mai dernier s’est tenu aussi un colloque à l’Université grégorienne sur le sujet du synode. Occasion d’entendre des voix de cette région du monde soulignant la réalité pastorale contrastée de ces terres. Ainsi, par exemple, Mauricio Lopez, secrétaire exécutif du REPAM a organisé ces derniers mois 260 « moments d’écoute » rassemblant 22 000 personnes à travers les neuf pays de l’Amazonie (1).La région est aussi un espace géopolitique majeur. « L’Amazonie n’a jamais été aussi menacée qu’aujourd’hui », souligne le cardinal Hummes, mettant en cause le « paradigme technocratique » qui a, peu à peu, mis au second plan l’être humain au profit d’un « néocolonialisme économique » se manifestant notamment dans l’avidité des entreprises agricoles ou d’extraction. Du coup le soin de la maison commune sur ces terres doit concilier soin pastoral et résistance aux dérives économiques libérales, seul moyen d’annoncer la foi en un Dieu Créateur et la bonne nouvelle de l’incarnation du Christ. Il est intéressant de noter que ce Synode tient aussi en éveil les milieux conservateurs catholiques proches des sphères libérales, américaines notamment. Certain d’entre eux voient dans ce Synode le faux-né d’avancées pastorales à venir autour de la question de l’ordination des prêtres ou de leur possibilité de se marier. Ces mêmes milieux conservateurs sont eux mêmes très sensibles au discours très virulents du nouveau président brésilien qui veut accélérer la colonisation de cet espace au nom de la souveraineté nationale. Pour le cardinal Barreto, ces peurs révèlent que l’Église est sur le bon chemin. « L’Évangile rappelle que “les fils de ce monde sont plus habiles que les fils de la lumière”. Or, aujourd’hui, on voit que les fils de ce monde – l’argent, les grands intérêts – semblent un peu préoccupés. Cela me fait penser que le pape réveille l’Église de sa léthargie : nous ne sommes plus dans les documents mais dans l’action. » Mais il s’agit surtout, pour les pasteurs sur le terrain « de changer de logiciel », plaidant pour « une spiritualité écologique qui soit l’occasion d’une conversion personnelle et communautaire pour cultiver le bien vivre comme projet d’harmonie entre Dieu, les peuples et la nature ». Le cardinal Barreto a souligné aussi sa découverte de la place de l’Amazone, comme fleuve de vie, pour tant de communautés. Du coup, « l’identité amazonienne » est que « le plus important est d’être avant d’avoir ». « Je suis convaincu qu’il faut “amazonifier” l’Église et “Laudatosiser” la société », résume-t-il.
On peut noter aussi la réflexion de Marcia Maria de Oliveira, professeure en sociologie et bonne connaisseuse de la culture amazonienne à l’Université Fédérale de l’Etat du Roraima (UFRR), au nord du Brésil, qui évoque le néologisme “amazoniser” qui pourrait apparaître bientôt dans la grammaire de la langue portugaise. Il s’agit d’un verbe qui indiquerait d’abord la nécessité d’“un vaste et intense processus d’étude et de connaissance de l’Amazonie”. Mais aussi, sur un autre plan, il dénonce les dérives de l’internationalisation de l’Amazonie. « Amazoniser » appelerait de ses voeux un autre sens, fait de sensibilité, de contemplation et d’engagement issu de l’expérience même de l’exubérance amazonienne. Avec tout ce que ce monde stimule dans le champ symbolique de l’organisation sociale et politique, en terme de durabilité et de respect. « Amazoniser » repose ainsi des questions fondamentales sur la notion de propriété face à des bien communs universels.
“Ce n’est ni un terrain, ni un champ qui se négocie sur le marché de l’immobilier. C’est un territoire imaginé, senti et vécu. Un lieu de mémoire et de respect des ancêtres. C’est le lieu de l’agro-écologie, de l’extraction responsable des ressources, à des fins de survie, de pêche, de fêtes, de jeux et de danses traditionnelles”.
Cela nécessite aussi de mener des combats contre les violences en cours (et depuis des siècles) car le pillage de cet eden est moralement intenable et il est donc temps de lutter contre l’extractivisme des multinationales. Ce travail doit s’accompagner du buen vivir des peuples amérindiens. Un être au monde qui refuse le progrès pour le progrès (qui ne profite qu’aux plus riches) pour privilégier le lien social et environnemental. « Amazoniser » contient donc les germes d’une révolution mentale et philosophique, en interpellant la science, la technologie, l’innovation pour privilégier le respect et la réciprocité, bases de l’écologie intégrale.
Par ailleurs, le 25 mai dernier, le président de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB), Mgr Walmor Oliveira de Azevedo, a annoncé la création d’une commission épiscopale chargée des sujets liés à l’environnement et au développement. L’annonce de cette création prochaine a été faite lors du séminaire “Exploitation minière et protection de la Maison Commune“, qui s’est déroulé à l’Université pontificale catholique du Minas Gerais (PUC-Minas), au cours duquel ont été évoqués notamment les suites du terrible accident de Brumadinho (au centre du Brésil), survenue le 25 janvier dernier et les menaces que l’activité minière fait peser dans de nombreuses régions du Brésil. Mgr Bruno-Marie Duffé, secrétaire du Dicastère pour le service du développement humain intégral s’est d’ailleurs rendu sur place pour rencontrer les familles des 270 victimes. Le pape avait reçu le 3 mai dernier un survivant de l’accident, venu lui présenter les photos de toutes les victimes, à l’occasion de sa participation au congrès sur “l’industrie minière pour le bien commun”. Un séminaire a été organisé à la mi-mai par l’archevêché de Belo Horizonte, par la CNBB et le réseau “Églises et activité minière“, une plateforme œcuménique qui intègre différentes Églises d’Amérique latine, unies pour apporter leur soutien aux communautés victimes de l’exploitation minière.
Le 27 mai, le pape François a aussi reçu au Vatican le chef indigène de l’Amazonie Raoni Metukire, leader du peuple Kayapo. Le chef Raoni est en tournée européenne depuis le 14 mai, et ce pour trois semaines, afin de sensibiliser les gouvernements et l’opinion publique à la tragédie de la déforestation en Amazonie, poumon vert de la planète. Le chef indigène brésilien recueille également des fonds pour la protection de la réserve du Xingu, dans l’État du Mato Grosso.
DL
Source ; Art. La Croix Nicolas Senèze,
Rappel : le synode pour l’Amazonie a été annoncé par le Pape François le 15 octobre 2017.
Merci pour ce message et ces informations. Je retiens ce nouveau verbe, AMAZONISER …
Oui, prendre en compte cette forêt, ce poumon, cette biodiversité.
Thérèse