En octobre dernier, le pape François a donné un discours à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation animée par la FAO, appelant cette institution à “combattre sans répit la faim ainsi que les causes qui la provoquent”
Il s’adressait notamment au professeur Jose Graziano Da Silva, directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en réfléchissant sur le thème 2018 de cette journée : « Nos actions sont notre avenir. Un monde Faim Zéro pour l’année 2030 est possible »,
Extraits du texte :
1. La célébration annuelle de la Journée mondiale de l’alimentation porte au-devant de l’actualité internationale les besoins, les angoisses et les espérances de millions de personnes qui manquent du pain quotidien. Ceux qui font partie de ce nombre important d’êtres humains n’ayant rien, ou presque rien, à porter à la bouche sont toujours plus nombreux. Ce devrait être le contraire et pourtant les statistiques récentes sont une évidence déchirante qui montre comment la solidarité internationale semble se refroidir. Et, alors que la solidarité s’effrite, nous sommes tous aujourd’hui conscients que les solutions techniques et les projets, y compris les plus élaborés, ne sont pas en mesure de répondre à la tristesse et à l’amertume de ceux qui souffrent de l’impossibilité de se nourrir suffisamment et sainement.
Le thème qui nous occupe cette année, « Nos actions sont notre avenir. Un monde Faim Zéro pour l’année 2030 est possible », en vient à être un appel pressant à la responsabilité de tous les acteurs qui sont d’accord avec les objectifs de l’Agenda 2030 pour le Développement Durable, un cri pour nous faire sortir de la torpeur qui nous paralyse et nous inhibe. Cette Journée ne peut pas être une de plus ; nous ne pouvons pas nous contenter de recueillir des informations ou de satisfaire notre curiosité. Nous devons « prendre une douloureuse conscience, (…) oser transformer en souffrance personnelle ce qui se passe dans le monde, et ainsi (…) reconnaître la contribution que chacun peut apporter » (1). (…) 2. Les pauvres attendent de nous une aide efficace qui les fasse sortir de leurs prostrations, pas de simples projets, ou des accords qui, après avoir étudié dans les détails les racines de leur misère, ont comme résultat uniquement des événements solennels, des engagements qui n’arrivent jamais à se matérialiser ou de luxueuses publications qui ne sont destinées qu’à grossir des catalogues de bibliothèques. En ce XXIe siècle, qui a vu des progrès considérables dans le domaine de la technique, de la science, des communications et des infrastructures, nous devrions rougir de n’avoir pas obtenu les mêmes avancées en humanité et en solidarité, et ainsi de satisfaire les besoins primordiaux des plus démunis. Nous ne pouvons pas non plus être tranquilles pour avoir fait face aux urgences et aux situations désespérées des pauvres. Nous sommes tous appelés à aller au-delà. (…) 3. L’un des principes qui doit guider notre vie et notre engagement, c’est la conviction que « le temps est supérieur à l’espace » (3), ce qui signifie que nous devons promouvoir, avec clarté, conviction et ténacité, des processus soutenus dans le temps. L’avenir n’habite pas dans les nuages mais se construit en suscitant et en accompagnant des processus d’une humanisation croissante. Nous pouvons rêver d’un avenir sans faim, mais cela n’est légitime que si nous nous engageons dans des processus tangibles, dans des relations vitales, dans des plans opérationnels et dans des actions réelles.(…) 5. Nous avons, en effet, les instruments adéquats et un cadre pour que les belles paroles et les bonnes intentions se transforment en un vrai programme d’action qui aboutisse, effectivement, à l’éradication de la faim dans notre monde. (…) 6. Passer des paroles à l’action dans l’éradication de la faim ne requiert pas seulement la décision politique et des plans opérationnels. Il faut également surmonter une approche réactive, en adoptant une vision plus proactive. Un regard superficiel et fugace, dans le meilleur des cas, peut susciter des réactions ponctuelles. Nous oublions ainsi la dimension structurelle que cache le drame de la faim : l’extrême inégalité, la mauvaise distribution des ressources de la planète, les conséquences du changement climatique ou les conflits interminables et sanglants qui frappent beaucoup de régions, pour ne mentionner que quelques-unes de ses causes. Il nous faut développer une approche plus proactive et plus soutenue dans le temps ; nous avons besoin d’une augmentation des fonds destinés à la promotion de la paix et du développement des peuples. Nous devons faire taire les armes et leur commerce pernicieux pour écouter la voix de ceux qui pleurent, désespérés, en se sentant abandonnés sur les rivages de la vie et du progrès. Si nous voulons vraiment que la population mondiale adopte cette perspective, il est indispensable que la société civile organisée, les moyens de communication et les institutions éducatives unissent leurs forces dans la bonne direction. D’ici à 2030, nous avons une douzaine d’années pour déployer une action vigoureuse et consistante ; non pas pour nous laisser porter à flots par les titres de journaux intermittents et passagers, mais pour combattre sans répit, grâce à la solidarité, à la justice et à la cohérence, la faim ainsi que les causes qui la provoquent.
(1) Pape François, Lettre encyclique Laudato Si’, n. 19 ; DC 2015, n. 2519, p. 10. / (2) FAO : Organisation des Nations unies pour l’alimentation. / (3) Pape François, Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 222 ; DC 2014, n. 2513, p. 64.
DL
Source : La Croix , le 16/10/2018