ÉVÊQUES – Il est urgent… d’attendre

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La dernière rencontre des évêques à Lourdes vient de s’achever. Et avec elle un cycle de travail de 3 ans sur la question de l’écologie intégrale.. qui déraille à la fin…

Voici la déclaration finale d’Eric Moulins Beaufort, en conclusion de l’assemblée plénière de printemps à Lourdes.

Reprenons ce texte si étonnant qui est proclamé là, après 3 ans de travail collaboratif sur les enjeux de l’écologie intégrale (climat, agriculture, précarité) et près de 7 ans après la publication de Laudato si !!


L’urgence climatique, l’urgence de la situation écologique, l’urgence de la dégradation mesurable de la biodiversité, nous les avons ressenties à travers nos invités diocésains, pendant le premier jour de notre assemblée. Le rapport du GIEC, publié il y a quelques jours, a établi, s’il en était besoin qu’il était trop tard pour atteindre l’objectif fixé à Paris lors de la COP 21 de limiter le réchauffement à 1, 5° par rapport au début de l’ère industrielle. Des actions sont ou seraient encore
possibles mais elles exigent un changement drastique de nos modes de consommation, de production, de transport, de chauffage… Nos sociétés y sont-elles prêtes ? Y sommes-nous prêts, nous réunis ici pour ce discours de clôture ?

Commentaire E&E : A voir les circonvolutions du texte, on comprend que EMB marche sur des oeufs (pas bio). Par exemple, que veut dire la phrase « l’urgence de la dégradation mesurable de la biodiversité » ? L’urgence est pourtant dans l’action à mener pour ralentir cette dégradation, pas dans le constat. Pourtant, nos frères évêques en sont encore dans des constats qu’ils ne peuvent faire visiblement que grâce à leurs « invités diocésains » (on sait dans quelle condition certains l’ont été…). Le constat sur le rapport du GIEC (qui n’a sans doute pas été distribué aux participants, je me trompe ?) se termine par un constat d’échec : voulons-nous vraiment changer au fond ? Le croyons nous possible ?
Posons une question simple : combien d’évêques sont venus à Lourdes en avion ou y ont renoncé ?


Or, nous l’avons réalisé une fois encore, ce sont certains pays parmi les plus pauvres de la planète et, dans ces pays, les plus pauvres de leurs habitants, qui vont subir les premiers les conséquences de ce réchauffement que nous ne maîtrisons pas, que nous peinons à chercher à maîtriser même un peu. L’urgence, que nos invités nous ont fait ressentir encore, est celle de leurs enfants, jeunes adultes ou adolescents, dont certains sont très mobilisés par toutes les problématiques
du changement de mode de vie, dont beaucoup vivent dans l’anxiété ou l’angoisse pour demain.

E&E : Comment ils « vont subir » ? Non, ils subissent. Et par ailleurs, ce ne sont pas que les pauvres des pays démunis qui vont déguster. Dans nos pays riches aussi, les plus précaires dégustent déjà, coincés dans un système économique de plus en plus injuste.
Quand EMB évoque cette génération de jeunes très mobilisés et très touchés par ce qui les attend, on se demande si nos communautés chrétiennes et leurs responsables sont encore à l’écoute de ce monde là : faut-il que leurs parents viennent nous raconter cet état de fait pour que nous nous en rendions compte ?
Posons une autre question : combien de moins de 25 ans ont participé aux trois années de réflexion ?

Notre pays, la France, est, nous le savons, spécialement privilégié : nous l’avons éprouvé encore en le traversant pour venir ici à Lourdes, sous un soleil radieux, dans la splendeur du printemps, où tout paraît facile et fécond. Nous n’ignorons pas pourtant les violences toujours possibles du climat, qui peuvent détruire les espoirs de récolte ; nous savons, nous les avions entendus s’il en était besoin en novembre dernier, l’angoisse que connaissent certaines personnes et certaines familles devant le renchérissement du coût des carburants dont ils ont besoin pour aller travailler, en particulier dans le monde rural, et qui obère leur capacité à se nourrir et à nourrir leurs enfants, l’impossibilité pour ceuxlà de se nourrir d’une manière suffisante et en tout cas saine.

E&E : cette vision bucolique du monde rural « où tout parait facile et fécond » laisse songeur. La visite annuelle des évêques au salon de l’agriculture laisse visiblement des traces. Bon, EMB précise bien qu’entre la dépendance à la météorologie des saisons et aux circuits économiques mondiaux (on parle de l’essence, pas des engrais et des pesticides, tiens ?), le monde agricole est en première ligne des mutations en cours. Au point que la sécurité et l’autonomie alimentaire n’est même plus garantie pour ces familles. Un constat terrible, non, pour des gens censés « nourrir la planète » ?

Or, « urgence », à nous évêques, évoque sans doute une urgence d’un autre ordre. Un verset de saint Paul, dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, au chapitre 5, l’évoque de manière saisissante : Caritas Christi urget nos, « l’amour du Christ nous presse, nous saisit, dit désormais la traduction liturgique, quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous. » L’amour du Christ nous presse de nous faire proches des frères et sœurs lointains qui, les premiers, souffrent et souffriront des effets du changement climatique ; l’amour du Christ nous presse de faire proches de toute forme de vie ou même d’être, en nous réjouissant d’être interdépendants les uns des autres, devant la possibilité de notre existence à l’atmosphère, à l’eau, à l’air, à des microorganismes innombrables, aux minéraux,aux végétaux, aux animaux, en qui nous reconnaissons des traces, des vestiges, des signes du Créateur et de sa bonté et l’amour du Christ nous presse lorsque nous constatons combien notre maison commune est abîmée, cette maison commune que lui, le Fils bienaimé du Père, est venu habiter luimême, pour y vivre avec nous et y mourir par nous et pour nous.

E&E : c’était donc la minute théologique du discours. Le « monde des évêques » est celui du salut chrétien et ce n’est donc qu’à ce titre qu’ils sont censés se rendre proches de ceux qui souffrent. Ah bon ? Quel dommage que nos évêques ne savent pas parler d’abord comme des humains, avec des mots simples : la proximité concrète, solidaire est la manifestation même d’une communion qui annonce le Christ.
A force de ne voir dans les autres créatures que des « traces, des vestiges, des signes du Créateur », pas étonnant que personne dans l’Eglise de France ne se mobilise sur les enjeux de la biodiversité. A quoi bon prendre soin de traces et de vestiges ?

Plus que jamais sans doute, nous devons constater que le moindre de nos actes : nous nourrir, nous habiller, nous déplacer, nous informer, nous rencontrer, déclenche une série de causes dont beaucoup abîment durablement la « maison commune ». Il y a urgence donc à agir, urgence à nous convertir, pour que le Christ puisse être aimé et pour que le Père qui l’a envoyé puisse être glorifié sans réserve. Les fortes interventions du P. Serge Sollogoub et de M. Martin Kopp nous ont aidés et peutêtre même nous ont appris à mieux aimer le Seigneur Jésus, dans le mystère de son Incarnation, en le contemplant entré dans la création,dévoilant notre péché jusqu’au péché contre l’œuvre créatrice, et étant en luimême, jusque dans sa chair ressuscitée, l’affirmation initiale et définitive : que tout cela est très bon.

E&E : la prise de conscience d’EMB en dit long d’un constat terrible à faire : la théologie de la Création est éteinte depuis trop longtemps dans nos cours de théologie et nos parcours catéchétique !! A quand le réveil ?

Certains de vous qui m’écoutez, certaines et certains de nos invités de mardi et mercredi, beaucoup peutêtre qui se sont intéressés à nos travaux sur l’écologie intégrale, seront déçus peutêtre que nous ne publiions pas aujourd’hui, malgré ce que nous avions annoncé, un texte de proclamation de foi en Dieu créateur et sauveur ni des engagements fermes. Le temps nous a manqué. L’urgence de la situation et l’amour du Christ nous pressent, nous en sommes conscients. Un texte avait été préparé, lu et relu, soumis au regard de tous les évêques et de la commission doctrinale, mais il a manqué de temps pour l’élaborer ensemble, pour que tous et chacun des évêques et audelà d’eux, pour que nos communautés puissent se l’approprier en vérité.

E&E : et voilà donc où on en arrive !! Trois ans de travail pour accoucher d’une souris. Si le texte annoncé risquait fort de n’être encore qu’une autre déclaration d’intention (comme l’ont été bien d’autres textes d’évêques, notamment celui produit en …. 2000 (!!) pour réveiller les consciences), on espérait y voir quelques avancées significatives en terme d’engagements apostoliques, catéchétiques, liturgiques, pastoraux. Mais non ! Trois ans de travaux dans un sentiment d’urgence qui aboutissent à un ultime renvoi à … plus tard. Sans avoir de détails de cette impasse, on imagine les blocages internes qui ont du s’exprimer pour que le président de la conférence, très actif dans ce processus d’écologie intégrale, en arrive à ce renoncement public. Le texte était prêt (lu, relu, soumis…) mais il n’a pas pu « être élaboré ensemble ». Que faut-il comprendre en fait ? Pour d’autres textes, on ne prend pas autant de considérations du côté de l’appropriation communautaire notamment.

Des engagements ont été suggérés parles référents écologie des diocèses, ils ont été travaillés ici, entre invités et évêques, mais ce temps n’a pas été suffisant pour qu’ils expriment un désir fort, un désir brûlant, des évêques, de leurs invités,des communautés chrétiennes.

E&E : On croit donc lire entre les lignes une opposition assez simple entre les avancées proposées par les délégués diocésains (souvent laïcs ou prêtres) et les évêques qui les ont appelé. Pas de « désir fort et brûlant » ? Ne cherchons pas plus loin : une fois encore le conservatisme épiscopal a fait marche arrière, refusant de s’engager dans des démarches contraignantes et repoussant à plus tard, plus loin et chez les autres des prises de décision qui, de toute façon, ne les engagerons plus…

Le conseil permanent a donc choisi de confier ces documents (la proclamation de foi et les engagements) au conseil « Famille et Société » et, sous sa conduite, au réseau des référents diocésains, pour qu’ils soient travaillés, pour qu’un jour prochain, à travers eux revus, retravaillés, réélaborés, puisse s’exprimer notre amour à tous pour le Dieu créateur et pour celles et ceux dont il nous donne de nous faire les prochains. Beaucoup se fait déjà : les évêques poursuivront leur conversion écologique, les diocèses et les paroisses enrichiront leurs initiatives en ce sens, tous aidés par les référents dont ils se dotent et nous suivrons avec attention notre progression collective au long des prochaines années. Dans ce pas de côté, qui peut, encore une fois, décevoir, se trahit notre besoin de revoir nos structures de travail commun, afin que toujours mieux, plus souplement, plus adéquatement, l’amour du Christ qui nous presse puisse se traduire en actes et, s’il le faut, en paroles.

E&E : Bref, comme dans toute bonne administration, le blocage de fait est « résolu » par un renvoi en commission de travail pour une élaboration plus lente, qui est sans doute annonciatrice d’une publication lente, sans ampleur et sans engagement forts pour l’Eglise de France. Une fois encore.

Même la proclamation de foi n’a pas été possible sur un sujet si « urgent » ? Faut-il rappeler que le réseau des référents diocésains est à pein émergeant, que beaucoup d’entre eux n’ont pas beaucoup de temps et de moyens pour travailler et qu’ils sont rarement consultés par les autres instances diocésaines quand des décisions sont prises engageant pourtant la cohérence écologique du diocèse ?

Suit un long développement sur les transformations nécessaires pour faire vivre plus de collégialité dans le réseau ecclésial français.

(…) Plus qu’une organisation plus souple et économe, nous désirons être mieux capable de faire entendre la promesse de Dieu à « toute la création » (Mc 16).

E&E : Les non-dits du texte sont impressionnants : la souplesse et l’économie ? Non. Plutôt une belle expression théologique pour emballer la volonté épiscopale ! De fait, on y parle de promesses ! Exactement ce que font les évêques dans ce texte… faut-il y croire ?

(…) Or, quelle est, face à la terre, au sol, au ciel, à tous les êtres que nous y rencontrons, qui nous permettent d’être, la parole de Dieu à entendre ? « Dieu vit que cela était bon » et même : « Dieu vit que cela était très bon ». Comment rendre possible à tous d’éprouver cette bonté originelle, lorsqu’elle se trouve polluée,

défigurée, par les besoins de nos sociétés, par la captation qu’exercent les plus riches, les sociétés les plus riches et les plus riches dans les diverses sociétés. Outre nos fautes personnelles dans le gaspillage ou l’excès de consommation, par exemple, nous appartenons à des structures de péché dont nous ne

pouvons pas dire jusqu’à la fin des temps qu’elles échappent à notre responsabilité. Pour nous chrétiens, c’est par le péché que la mort, la vraie mort, la mort qui renvoie vers le néant, est entrée dans le monde. Nous ne pouvons, face au Christ, esquiver longtemps la question de notre péché et de notre esclavage à son égard, mais nous le recevons comme une bonne nouvelle libératrice : nous ne

sommes pas condamnés, nous les humains, à nous comporter en prédateurs sur cette terre, nous ne sommes pas condamnés à y semer la mort et la désolation, nous ne sommes pas voués à ne pouvoir vivre qu’au détriment de l’existence des autres, des plus pauvres et des plus fragiles. Nous pouvons être les intendants de Dieu, les serviteurs fidèles et sensés, qui contemplent la sagesse de Dieu et en font fructifier les dons pour le bien de tous. Nos sociétés occidentales prennent conscience que leur développement remarquable s’est fait, malgré tout, au détriment d’autres régions du monde et que sa course en avant dans la croissance continue à n’être possible que par la pollution ou la destruction d’autres espaces et d’autres êtres. Nous devons oser dénoncer les structures de péché. Nous voulons proclamer à tous que d’autres manières de vivre en humains sont possibles et qu’elles peuvent être

réjouissantes, nous unissant davantage à notre Créateur et Sauveur.

E&E : Ces textes annoncés ne devaient-ils pas être un appel retentissant à dénoncer ces structures de péché (expression du pape Jean-Paul II) ? On préfère penser qu’il faudra les dénoncer… un jour.

Notre envoi de mercredi matin, nous l’avons fait devant des collégiens des établissements lassaliens du Sud-Ouest de la France venus en pèlerinage. C’était une chance. Si modeste notre texte puisse-t-il être, il veut dire aux générations qu’aucune épreuve, aucune difficulté, aucun drame ne peut totalement empêcher d’être des artisans de la réconciliation avec Dieu et en Dieu. Nous n’avons pas

la solution à la crise écologique, nous ne savons comment produire sans susciter des déchets ou polluer. Mais nous sommes pleins d’espérance que toute recherche des humains en ce sens prépare le matériau du Règne à venir, ce que le Christ pourra récapituler pour la vie éternelle. Face à la crise écologique, nous sommes conduits à être lucides comme nous avons appris à l’être à l’égard des violences et agressions sexuelles. (…)

E&E : Quel constat terrible devant ces lycéens : voilà des évêques, pasteurs de leurs troupeaux, qui reconnaissent qu’ils n’ont pas réussi, après trois années de travail, à se mettre d’accord pour exprimer leur point de vue sur l’urgence écologique et climatique. Et tout cela devant ces générations futures qu’ils sont censés éclairer à la lumière de l’Évangile ?

Suit un long dégagement sur la gestion des scandales sexuels dans l’Eglise, la crise ukrainienne et l’enjeu des élections françaises et épiscopales.

EN CONCLUSION : Heureusement que les médias ne s’intéressent plus beaucoup à ce que disent les conférences épiscopales réunies à Lourdes. S’ils avaient relevé cet échec dans le processus d’écologie intégrale calmement assumé à Lourdes (terre où une jeune fille a su tenir tête aux prélats de son temps pour annoncer un élan missionnaire étonnant), il est fort à parier que l’image de l’Eglise de France aurait encore pris un autre terrible coup sur la tête !

2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Merci pour ces commentaires très pertinents et incisifs. Les chrétiens ont également leur part de responsabilité, mais effectivement ce sont les évêques qui devraient les stimuler. Cependant le problème n’est pas simple comme le constate Dennis Meadows dans un récent article du Monde: « Il faut mettre fin à la croissance incontrôlée, le cancer de la société » Peu de chose ont changée depuis la publication de son rapport (les limites de la croissance) il y a cinquante ans.

  2. cormier dit :

    Je suis bien d’accord avec toi, Dominique. Par contre, j’étais présent à cette rencontre, au titre de référent écologie. J’étais seul car on fait ce qu’on peut dans notre diocèse! Si j’ai senti une légère évolution chez certains évêques avec qui j’ai parlé à table, à la pause ou en petits groupes, le document final m’a sidéré!! Travaillant moi-même en théologie de la création, j’ai bien senti que peu de théologiens avaient été consultés. C’est une approche anté-Laudato si et surtout très classique de la théologie de la création qui ne tient pas compte de la « nouvelle théologie verte » ou de la « théologie de l’écologie ».

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