PÂQUES 12/50 – La crise écologique comme une guerre

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Le texte de l’appel du pape François pour le désormais traditionnel mois de prière pour la Création en septembre 2023 vient d’être publié (daté du 13 mai 2023). E&E vous en propose un décryptage

Chers frères et sœurs !

« Que la justice et la paix jaillissent » est cette année le thème du temps œcuménique de de la Création, inspiré des paroles du prophète Amos : « Que le droit jaillisse comme une source ; la justice, comme un torrent qui ne tarit jamais » (5, 24). Cette image expressive d’Amos nous dit ce que Dieu désire. Dieu veut que règne la justice, essentielle à notre vie d’enfants à l’image de Dieu, comme l’est l’eau à notre survie physique. Cette justice doit émerger là où elle est nécessaire, et non pas se cacher en profondeur ou disparaître comme l’eau qui s’évapore, avant qu’elle n’ait pu nous soutenir. Dieu veut que chacun cherche à être juste en toute situation, qu’il s’efforce toujours de vivre selon ses lois et de permettre ainsi à la vie de s’épanouir pleinement. Lorsque nous cherchons d’abord le royaume de Dieu (cf. Mt 6, 33), en maintenant une juste relation avec Dieu, l’humanité et la nature, alors la justice et la paix peuvent jaillir, comme un courant inépuisable d’eau pure, nourrissant l’humanité et toutes les créatures.

Par une belle journée d’été de juillet 2022, j’ai médité sur ces questions lors de mon pèlerinage sur les rives du lac Sainte-Anne, dans la province d’Alberta, au Canada. Ce lac a été et est toujours un lieu de pèlerinage pour de nombreuses générations d’autochtones. Comme je l’ai dit à cette occasion, accompagné par le son des tambours : « Combien de cœurs sont arrivés ici, anxieux et essoufflés, appesantis par les fardeaux de la vie, et ont trouvé près de ces eaux la consolation et la force pour aller de l’avant ! Ici aussi, immergé dans la création, se fait entendre un autre battement, le battement maternel de la terre. Et comme le battement des bébés, depuis le sein maternel, est en harmonie avec celui des mères, ainsi pour grandir en tant qu’êtres humains, nous avons besoin d’ajuster les rythmes de la vie avec ceux de la création qui donne la vie » (1).

E&E : il est touchant de voir que le pape François fasse un lien entre ce besoin de justice (les écologistes parlent de justice climatique) qui traverse aujourd’hui bien des mobilisations en cours, s’inscrit aussi, tout au fond de nous, avec cette quête de la paix intérieure, de l’harmonie avec soi, les autres créatures humaines et non-humaines et Dieu lui-même. Rappel aussi de ce point si peu développé dans la doctrine de la Création actuelle : la nature comme espace de consolation et de reconnexion avec le désir de Dieu pour chacun. Le pape fait aussi le lien avec sa visite auprès des peuples autochtones du Canada. Une des visites les plus émouvantes de ces dernières années, avec cette peine partagée avec les survivants des écoles où les enfants étaient souvent contraints à oublier leur propre culture, leur propre connexion.

En ce Temps de la création, attardons-nous sur ces battements de cœur : les nôtres, ceux de nos mères et de nos grands-mères, les battements de cœur de la création et du cœur de Dieu. Aujourd’hui, ils ne sont pas en harmonie, ils ne battent pas ensemble dans la justice et la paix. Trop de gens sont empêchés de s’abreuver à ce fleuve puissant. Écoutons donc l’appel à être aux côtés des victimes de l’injustice environnementale et climatique, et à mettre fin à cette guerre insensée à la création.

E&E : dans une approche très féminine (les battements de coeur de nos mères et nos grands mères), le pape François en arrive aussi à nommer le noeud de notre situation : la réalité est que nous sommes dans un « état de guerre ». Une violence organisée contre la Création de Dieu. L’expression est forte et va marquer les esprits. Il ne s’agit donc pas de simplement changer quelques comportements ou de réajuster notre liturgie. Il s’agit de regarder en face notre collusion avec ce monde là porteur de guerre.

Nous voyons les effets de cette guerre en beaucoup de fleuves qui s’assèchent. « Les déserts extérieurs se multiplient dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands », a déclaré Benoît XVI (2). Le consumérisme rapace, alimentée par des cœurs égoïstes, bouleverse le cycle d’eau de la planète. L’utilisation effrénée des combustibles fossiles et l’abattage des forêts entraînent une hausse des températures et de graves sécheresses. Des pénuries d’eau effrayantes touchent de plus en plus nos habitations, des petites communautés rurales aux grandes métropoles. En outre, les industries prédatrices épuisent et polluent nos sources d’eau potable par des pratiques extrêmes telles que la fracturation hydraulique pour l’extraction du pétrole et du gaz, les projets de méga-extraction incontrôlée et l’élevage intensif d’animaux. « Sœur eau », comme l’appelle saint François, est pillée et transformée en « marchandise sujette aux lois du marché » (Enc. Laudato si’, n. 30).

E&E : s’appuyant habilement sur le travail précurseur du pape théologien allemand, le pape François souligne les liens entre notre attitude égoïste et l’impact à grande échelle sur la vie même de ce monde. Asséchement du coeur et asséchement des fleuves. Il nomme aussi plus clairement que dans Laudato si, des dérives de plus en plus criantes aussi bien dans le monde des grandes entreprises d’énergie fossile et minières que dans celui de l’agriculture industrielle. C’est la marchandisation du monde qui est ainsi nommée et dénoncée ! Une contestation en règle donc aussi des dérives d’un néo-capitalisme matérialiste et cupide.

Le Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) affirme qu’une action urgente pour le climat nous permettrait de ne pas manquer l’occasion de créer un monde plus durable et plus juste. Nous pouvons, nous devons, empêcher les pires conséquences de se produire. « Il y a tant de choses que l’on peut faire ! » (ibid., n. 180), si, comme autant de ruisseaux et de torrents, nous finissons par nous réunir en un puissant fleuve pour irriguer la vie de notre merveilleuse planète et de notre famille humaine pour les générations à venir. Joignons nos mains et accomplissons des pas courageux pour que la justice et la paix coulent sur toute la Terre

Comment pouvons-nous contribuer au puissant fleuve de la justice et de la paix en ce Temps de la création ? Que pouvons-nous faire, en particulier en tant qu’Églises chrétiennes, pour restaurer notre maison commune afin qu’elle grouille à nouveau de vie ? Nous devons décider de transformer nos cœurs, nos modes de vie et les politiques publiques qui régissent nos sociétés.

E&E : reprenant l’image très puissante des fleuves régénérateurs que les prophètes bibliques avaient déjà utilisée, le pape appelle à passer à l’action à tout niveau. Il s’agit de « restaurer », de faire « grouiller ce monde de vie » !!! Il le propose au moins à trois niveaux

TRANSFORMER LES COEURS

Tout d’abord, contribuons à ce puissant fleuve en transformant nos cœurs. C’est essentiel pour que toute autre transformation puisse commencer. C’est la “conversion écologique” que saint Jean-Paul II nous a exhortés à entreprendre : le renouvellement de notre relation avec la création, de sorte que nous ne la considérions plus comme un objet à exploiter, mais que nous la chérissions comme un don sacré du Créateur.

E&E : référence à Jean Paul II maintenant qui dès 1979 avait compris l’enjeu de la crise émergente. Ces rappels à ses deux prédécesseurs peuvent aussi être lus comme un appel du pied aux catholiques qui se réfugient souvent derrière ces figures tutélaires idéalisées dans leurs discours philosophiques et théologiques, mais souvent réduits à presque rien dans leurs nombreux discours sociaux.

Rendons-nous compte donc qu’une approche d’ensemble exige que nous pratiquions le respect écologique selon quatre directions : envers Dieu, envers nos semblables d’aujourd’hui et de demain, envers l’ensemble de la nature et envers nous-mêmes.

En ce qui concerne la première de ces dimensions, Benoît XVI a identifié un besoin urgent de comprendre que la Création et la Rédemption sont inséparables : « Le Rédempteur est le Créateur et si nous n’annonçons pas Dieu dans cette grandeur totale qui est la sienne – de Créateur et de Rédempteur – nous dévalorisons également la Rédemption » (3). La création fait référence au mystérieux et magnifique acte de Dieu qui consiste à créer cette majestueuse et belle planète et cet univers à partir de rien, ainsi qu’au résultat de cet acte, toujours en cours, que nous expérimentons comme un don inépuisable. Au cours de la liturgie et de la prière personnelle dans la « grande cathédrale de la création » (4), nous nous souvenons du Grand Artiste qui crée tant de beauté et nous réfléchissons au mystère du choix amoureux de créer le cosmos.

E&E : c’est là sans doute que se jouera une bonne partie du renouveau de la théologie de la Création que ces papes appellent de leurs voeux depuis des décennies. Penser et vivre la foi au Dieu créateur et sauveur comme un geste unique !! Préserver la Création n’est donc pas un exercice secondaire, après la quête personnelle et collective du salut. Il s’agit, au contraire de manifester à tous notre foi au Dieu sauveur, salut qui touche tout ce qu’il a créé.

TRANSFORMER NOS MODES DE VIE

Deuxièmement, nous contribuons à l’écoulement de ce puissant fleuve en transformant nos modes de vie. Partant de l’admiration reconnaissante du Créateur et de la création, repentons-nous de nos “péchés écologiques”, comme le dit mon frère, le Patriarche Œcuménique Bartholomée. Ces péchés blessent le monde naturel, et aussi nos frères et sœurs. Avec l’aide de la grâce de Dieu, adoptons des modes de vie avec moins de gaspillage et moins de consommation inutile, en particulier là où les processus de production ne sont pas durables et toxiques. Cherchons à être attentifs le plus possible à nos habitudes et à nos choix économiques, afin que tous s’en portent mieux : nos semblables, où qu’ils soient, et aussi les enfants de nos enfants. Collaborons à la création continue de Dieu par des choix positifs : en faisant un usage le plus modéré possible des ressources, en pratiquant une sobriété joyeuse, en éliminant et en recyclant les déchets, et en utilisant les produits et services, de plus en plus disponibles, qui sont écologiquement et socialement responsables.

E&E : Le pape François réitère cet élément qu’il a reçu du patriarche Bartholomée, en contexte orthodoxe : la notion de péché écologique. Il faudra voir dans les années à venir comment le droit canon va prendre en compte cette réalité. Et aussi la pastorale ordinaire de nos paroisses !! Elle offre en tout cas une grille de lecture renouvelée sur notre cohérence et nos incohérences.

TRANSFORMER LES POLITIQUES PUBLIQUES

Enfin, pour que le fleuve puissant continue de couler, nous devons transformer les politiques publiques qui régissent nos sociétés et qui façonnent la vie des jeunes d’aujourd’hui et de demain. Des politiques économiques qui favorisent l’enrichissement scandaleux de quelques-uns et la dégradation des conditions de vie du plus grand nombre signifient la fin de la paix et de la justice. Il est évident que les nations les plus riches ont accumulé une “dette écologique(5). Les dirigeants mondiaux participant au sommet COP28, prévu à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre de cette année, doivent écouter la science et entamer une transition rapide et équitable pour mettre fin à l’ère des combustibles fossiles. Selon les engagements de l’Accord de Paris visant à réduire le risque de réchauffement global, il est absurde de permettre la poursuite de l’exploration et de l’expansion des infrastructures liées aux combustibles fossiles. Élevons la voix pour mettre fin à cette injustice faite aux pauvres et à nos enfants, qui subiront les pires impacts du changement climatique. J’en appelle à toutes les personnes de bonne volonté pour qu’elles agissent en fonction de ces orientations concernant la société et la nature.

E&E : en ce jour où des chrétiens ont manifesté en France contre le projet EACOP, voilà un soutien bienvenue pour rappeler à tous que nous devons sortir de l’ère des énergies fossiles et rapidement. Et pas pour continuer les bonnes affaires comme avant, mais pour rééquilibrer les systèmes économiques au service du plus grand nombre et non de quelques uns. C’est là encore une fois une critique frontale des dérives du capitalisme contemporain

Une autre perspective parallèle est spécifique à l’engagement de l’Église catholique pour la synodalité. Cette année, la fin du Temps de la création, le 4 octobre, fête de saint François, coïncidera avec l’ouverture du Synode sur la Synodalité. Comme les fleuves alimentés par mille petits ruisseaux et de plus grands torrents, le processus synodal qui a commencé en octobre 2021 invite toutes les composantes, au niveau personnel et communautaire, à converger en un fleuve majestueux de réflexion et de renouveau. L’ensemble du peuple de Dieu est engagé dans un passionnant chemin de dialogue et de conversion synodale.

De même, comme un bassin fluvial avec ses nombreux affluents, grands et petits, l’Église est une communion d’innombrables Églises locales, de communautés religieuses et d’associations qui se nourrissent de la même eau. Chaque source apporte sa contribution unique et irremplaçable, jusqu’à ce que toutes confluent dans le vaste océan de l’amour miséricordieux de Dieu. De même qu’un fleuve est une source de vie pour l’environnement qui l’entoure, de même notre Église synodale doit être une source de vie pour la maison commune et tous ceux qui y vivent. Et de même qu’un fleuve donne vie à toutes sortes d’espèces animales et végétales, de même une Église synodale doit donner vie en semant justice et paix dans tous les lieux qu’elle atteint.

E&E : la métaphore des fleuves est ici filée jusqu’au bout, en faisant le lien aussi avec un autre processus ecclésial en cours, la démarche synodale. Il s’agit bien de lever les barrages et de laisser les écosystèmes naturels d’irrigation se remettre en place.

En juillet 2022 au Canada, j’ai évoqué la mer de Galilée où Jésus a guéri et consolé beaucoup de personnes, et où il a proclamé “une révolution de l’amour”. J’ai appris que le Lac Sainte-Anne est aussi un lieu de guérison, de consolation et d’amour, un lieu qui nous rappelle que « la fraternité est véritable si elle unit ceux qui sont éloignés, que le message d’unité que le Ciel envoie sur la terre ne craint pas les différences et nous invite à la communion, à la communion des différences, pour repartir ensemble, parce que tous – tous ! – nous sommes des pèlerins en marche » (6).

En ce Temps de la création, en tant que disciples du Christ dans notre marche synodale commune, vivons, travaillons et prions pour que notre maison commune regorge à nouveau de vie. Que l’Esprit Saint continue de planer sur les eaux et qu’il nous guide pour « renouveler la face de la terre » (c. Ps 104, 30).

E&E : on l’aura compris, ce texte, publié quelques mois avant la COP28 à Dubaï est un nouveau coup de butoir contre les systèmes aveuglés dans la toute puissance et un vrai soutien pour toutes les petites rivières qui ont recommencé à couler !!! A lire, partager et mettre en oeuvre !!!

(*) Version française de la Salle de presse du Saint-Siège. Titre de La DC.

(1) Pape François, homélie près du Lac Sainte-Anne, Canada, 26 juillet 2022.

(2) Pape Benoît XVI, homélie de la messe inaugurale du pontificat, 24 avril 2005 ; DC 2005, n. 2337, p. 545-549.

(3) Pape Benoît XVI, rencontre avec le clergé du diocèse de Bressanone, 6 août 2008.

(4) Pape François, message pour la Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création, 21 juillet 2022.

(5) « Il y a, en effet, une vraie “dette écologique”, particulièrement entre le Nord et le Sud, liée à des déséquilibres commerciaux, avec des conséquences dans le domaine écologique, et liée aussi à l’utilisation disproportionnée des ressources naturelles, historiquement pratiquée par certains pays ». (Laudato si’, n. 51).

(6) Pape François, homélie près du Lac Sainte-Anne, Canada, 26 juillet 2022.

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. chenebeau dit :

    De très bonnes réflexions, à méditer et à mettre en pratique.

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