DEBAT – Faut-il canoniser les zadistes ?

2018 ECOLOGIE Zad vidamLe site du journal Lundimatin rend compte d’un intéressant échange entre un philosophe et un évêque. Et de quoi parlent-ils ? De ce qui se joue sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

PREMIER TEMPS

D’abord, ça commence par l’interpellation, le 1er mai dernier (Lundimatin n°144), d’Ivan Segré, universitaire, philosophe et talmudiste sous la forme d’une lettre ouverte aux évêques de France dont voici un résumé et quelques extraits :
Après avoir évoqué le manifeste récent de 250 personnalités demandant aux autorités musulmanes de proposer une lecture critique des versets les plus violents du Coran, le philosophe repart aussi de l’appel à la « réparation » du lien entre l’Eglise catholique et l’Etat français lancé par Emmanuel Macron il y a quelques semaines. Ce « retour du religieux » l’interroge parce que, par ailleurs, le « religieux » ne s’exprime pas beaucoup dans cette zone de violence qu’est devenu la ZAD à Nantes. L’ordre républicain que le président veut y rétablir a demandé une intervention policière musclée. Qu’en pense l’Eglise catholique appelée à dialoguer davantage avec cet Etat de droit là ?

Comme vous ne l’ignorez sans doute pas, l’armée adverse, en l’occurrence, est composée de zadistes, à savoir des hommes et des femmes venus de tout horizon non seulement pour empêcher la construction d’un aéroport à cet endroit, mais aussi, et surtout, pour témoigner qu’il est possible que des individus d’origines géographiques, sociales, ethniques ou religieuses fort diverses construisent ensemble, à partir de rien, un avenir fait de maisons, de cultures, d’élevages, d’artisanats, d’idées, d’amitiés et d’enfants. Certes, cet avenir ne dispose pas de toutes les autorisations préfectorales requises et il soustrait un petit bout de campagne à la norme productiviste qui, partout ailleurs, impose sa loi d’airain. Mais faut-il pour autant y envoyer des blindés afin de rétablir l’ordre républicain ? Et quitte à faire usage de blindés, ne conviendrait-il pas mieux de reconquérir les territoires perdus des finances publiques en les envoyant non pas à la ZAD de Notre Dame des Landes mais dans quelque paradis fiscal, où s’amoncellent des milliards volés à un Etat républicain endetté jusqu’au cou, avec les restrictions budgétaires que cela suppose, lesquelles frappent notamment les plus démunis ?

Pour Ivan Segré, la ZAD rappelle qu’au delà de la loi, il y a aussi ce désir de dépasser les logiques de rentabilité et de production, pour retrouver la place de l’humain comme premier fondement de la vie sociale.

Sa sainteté le Pape actuel me paraît pourtant être proche, en esprit, des zadistes, du moins à en croire certaines de Ses paroles : « Le chômage est la conséquence d’un système économique qui n’est plus capable de créer de l’emploi car il a mis au centre une idole qui s’appelle l’argent ». Or, précisément, ce déploiement de gendarmes sur la ZAD semble avérer que l’actuel président de la République, en cela digne successeur des précédents, ne croit pas en autre chose que cette « idole qui s’appelle l’argent ». En s’adressant à vous ce jour-là et, si j’ose dire, en vous caressant dans le sens du poil, il espérait apparemment s’octroyer un « supplément d’âme », sinon une « indulgence ». À vous de juger s’il est méritant. Sachez toutefois, sauf votre respect, que je n’attendrai pas votre réponse pour observer que dans cette affaire, le Christ est avec les zadistes, pas avec les blindés.

DEUXIEME TEMPS

C’est finalement le tout jeune évêque de Limoges, Mgr Pierre-Antoine Bozo, qui lui répond.

Après avoir souligné que le propos du philosophe s’adressait d’une certaine manière surtout au président de la République et que par ailleurs, l’invitation des évêques le jour de l’évacuation de la ZAD ne cautionnait en rien cette décision, l’évêque entre dans le fond du sujet

Mais au fond, vous nous demandez si nous approuvons cette évacuation. Je ne suis pas certain, comme évêque, d’avoir une grande légitimité pour me prononcer sur cette question « prudentielle ».

On reconnaîtra là la prudence habituelle de bien des évêques quand il s’agit de sujets de société (à l’exception de certains). Quand au caractère « prudentiel », je ne sais pas si l’évêque y voit une acception du juriste qu’il est, mais le vocabulaire relève surtout du monde bancaire. Un lapsus ? Non sans humour, l’évêque veut bien se réjouir de la ZAD telle qu’elle est décrite par le philosophe, mais craint que la « canonisation » des zadistes ne soit un peu rapide.

Mais j’avoue avoir du mal à savoir jusqu’à quel point il est légitime, au motif d’un projet louable, de vivre en dehors du droit et comment il convient le cas échéant de le rétablir. Le risque vous l’imaginez bien, c’est qu’au nom de projets moins louables, ou de ce que chacun déclarera comme une idée légitime, on puisse enfreindre la loi à tout bout de champ (c’est le cas de le dire). N’y a-t-il pas là une source de violence en germe ?

Puisque vous déclarez ne pas attendre notre réponse « pour observer que dans cette affaire, le Christ est avec les Zadistes, pas avec les blindés », je me permets quant à moi de ne pas attendre votre autorisation pour observer dans l’Evangile que le Christ n’est pas venu que pour les « gentils » (à supposer qu’ils ne soient que dans un des deux camps) : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades, je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs », et que son Père « fait briller son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 45). Bref, tout cela me rend moins affirmatif que vous pour dire où est le Christ dans tout cela, ou du moins pour ne restreindre sa présence qu’à un supposé camp des purs. Mais ça ne m’empêche pas de louer votre souci de justice, ni de vous remercier de nous avoir écrit et de prier pour vous.+ Mgr Pierre-Antoine Bozo, évêque de Limoges

 

TROISIEME TEMPS

Une laïque, Marie Javori, a aussi pris le temps de répondre au philosophe en apportant quelques éléments historiques supplémentaires pour souligner la possibilité et la nécessité d’être « présent » à ce qui se joue à la ZAD.

On se souvient de ce jeune catholique et révolutionnaire italien, Pier-Giorgio Frassati, béatifié par Jean-Paul II, qui s’indignait en son temps des manœuvres hypocrites de Mussolini face à l’Église. Il voyait dans l’approbation des méthodes violentes des milices fascistes et la connivence avec les puissants au détriment des classes défavorisées un mariage scélérat entre les gardiens de la paix et Mussolini, « qui (…) laisse faire tant d’autres saletés, cherchant à couvrir ces méfaits en mettant le crucifix dans les écoles [1]. » Caresser dans le sens du poil, donc, une méthode éprouvée par les dirigeants à la poigne de fer tel Mussolini, voilà à qui nous fait penser le président avec son discours aux évêques de France.

Marie Javori invite ensuite son interlocuteur à lire un peu davantage de textes du pape François pour comprendre toute la portée de sa critique qui va jusqu’à prôner certaines pratiques de décroissance (LS 193). Jean Paul II lui même appelait à ne pas faire du droit à la propriété privée un absolu, pour privilégier plutôt la notion de bien commune (Laborem exercens). Alors qu’au XVIIIe siècle, Benoit XIV, dans Vix Pervenit, condamnait l’usure et donc l’activité spéculative etc.

 

Puisque vous terminez votre lettre convaincu que “le Christ est avec les zadistes, pas les blindés”, je termine moi aussi ma réponse avec la place occupée par le Christ. Jésus est d’abord venu pour les pauvres, des fragiles, les opprimés. Les évangiles le prouvent [7]. Mais il est aussi et surtout auprès de chaque homme, jamais dans un camp, jamais dans un parti. Il est permis de penser que si le Christ est à NDDL du côté des zadistes, partageant avec chacun sa révolte, ses espoirs, ses joies et ses peines, il est aussi avec chacun des flics, espérant qu’en leur cœur s’ouvre une petite porte par laquelle il pourrait infiltrer sa lumière. Car le Christ ne s’impose pas, c’est d’ailleurs aussi à cela qu’on le reconnait. Je souhaite que de nombreux chrétiens comprennent l’invitation qui leur est faite de rejoindre les rangs de ceux qui œuvrent pour la justice sociale, pour une sobriété heureuse, pour un mode de vie durable, équitable, sain.. et j’implore : Notre Dame des Landes, priez pour nous !

DL

3 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Je ne m’oppose pas comme beaucoup d’entre nous à l’état de droit, comme le dit si bien notre philosophe, à condition d’être en premier ferme avec les plus puissants, et ceux qui détiennent le pouvoir. A mon humble niveau, je pourrai vous citer nombre de collectivités locales qui ne respectent pas la loi ou qui la détourne quand ça les arrange. Certes certains zadistes radicaux n’ont pas facilité les négociations avec la préfecture, mais ils ne dérangent pas grand monde, la violence policière n’arrangera rien.
    Michel

  2. ducrestblog dit :

    Bel échange, que je lis ce jour même où l’État doit décider de valider un certain nombre de projets déposés par les zadistes. Oui Jésus est venu aussi bien pour les zadistes que pour les gendarmes mobiles, mais oui aussi j’ai le sentiment qu’un Chrétien ne peut pas vivre dans ce monde sans être révolté car il ne correspond pas à la Promesse (voir Ellul ou Moltmann). Le Royaume de Dieu est à la fois présent et et non présent, promis et déjà là, mais c’est notre mission de le faire advenir. Il adviendra me semble-t-il mieux dans les cultures maraichères des zadistes que sous les roues des véhicules blindés que j’ai vus en face de nous, sur la Zad.
    Merci à l’évêque de Limoges de contribuer au débat. Nous avons essayé, en tant que Chrétiens de Loire-Atlantique, d’y apporter aussi notre pierre. https://nddlbiencommun.wordpress.com/.
    Arnaud du Crest

  3. Jean-Noël Hallet dit :

    Entièrement d’accord Arnaud avec ton analyse de notre société et de ses dérives mais je regrette que tu tombes dans cette ornière si fréquente d’opposer deux problèmes qui ne sont pas du même ordre comme le fait ce philosophe Talmudiste. En prenant parti pour l’abandon complet de l’état face à la ZAD ( ce que supposerait une non intervention policière) tu légitimes toutes les actions de rébellions y compris hyper violentes au seul motif que Dieu serait dans le camp des révoltés. Je sais que beaucoup de zadistes sont de gentils idéalistes et que certains de leurs projets méritent surement d’être expérimentés mais de la à penser qu’une nouvelle société dans le contexte actuel pourrait fonctionner sur le principe d’un retour à une agriculture communautaire et à des modes de vie s’émancipant de tout système d’organisation (je penses à la santé, à l’école) s’est faire fi de la faillite historique de nombreuses expériences du même type. Je me sens par contre bien proche des réponses du jeune évêque en rappelant aussi une phrase du Christ: « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».

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